b) Les autres chevaux de Troie du droit civil

Il semblerait que l’ASBO ait initié une nouvelle tendance à la criminalisation par la petite porte : elle a ainsi été qualifiée de cheval de Troie du droit civil375. Il est vrai que la loi sur la prévention du harcèlement de 1997 (The Prevention of Harassment Act) avait déjà brouillé la distinction entre le droit civil et le droit pénal en permettant à une victime de harcèlement de demander une injonction civile, dont le non-respect pouvait déclencher des poursuites criminelles376. Cependant, l’ASBO est allée plus loin377 et, depuis 1997, toute une gamme d’injonctions et d’ordonnances civiles a été créée afin de faire face au problème du comportement antisocial ; les plus notoires d’entre elles seront étudiées ci-dessous.

Un premier exemple d’ordonnance qui se sert du droit civil pour pénaliser des comportements dits antisociaux est la Dispersal Order, créée par l’article 30 de la loi sur les comportements antisociaux de 2003. Désormais, la police peut disperser des groupes de deux personnes ou plus se trouvant sur un lieu public lorsque le policier considère qu’un ou plusieurs citoyens ont été intimidés, harcelés, effrayés ou bouleversés en raison de la présence de ces personnes ou de leur comportement, du moment que ce dernier constitue un problème considérable et tenace dans la zone où le policier est en faction. Un policier gradé doit « classer » cette zone avec l’accord de l’autorité locale et elle devient ainsi une designated area pour une période allant jusqu’à six mois. Ensuite, la police a le pouvoir d’exclure des groupes de la zone pour un maximum de 24 heures. Elle peut également escorter chez lui un jeune âgé de moins de 16 ans s’il se trouve dans la rue entre 21 heures et 6 heures et si elle considère que ce jeune est susceptible d’être vulnérable à ou menacé par un comportement antisocial ou s’il existe un risque qu’il se rende coupable d’un tel comportement.

Ce dernier pouvoir renforce et élargit les pouvoirs créés par la loi sur le crime et le désordre de 1998 et la loi sur la justice pénale et la police de 2001. La loi de 1998 avait confié aux autorités locales le pouvoir de mettre en place un couvre-feu (local child curfew scheme) interdisant aux enfants de moins de 10 ans d’être présents entre 21 heures et 6 heures dans une zone classée sans être accompagnés par un parent ou toute autre personne responsable âgée de plus de 18 ans. Puis la loi de 2001 a étendu ce pouvoir afin qu’il s’applique aux enfants jusqu’à l’âge de 15 ans. D’après le Youth Justice Board aucun couvre-feu n’a été mis en place par les lois de 1998 ou de 2001 mais les pouvoirs de la loi de 2003 ont été utilisés378. Le ministre de l’Intérieur a publié un rapport préliminaire en 2005 qui établit que, depuis l’entrée en vigueur la loi en janvier 2004 jusqu’en juin 2005, un total de 809 zones ont été classées par les 42 forces de l’ordre interrogées. Le ministère a estimé que 14 375 personnes ont été exclues de 293 zones classées et que 520 jeunes âgés de moins de 16 ans ont été escortés chez eux dans 236 zones379.

Ces nouveaux pouvoirs ont suscité de vives critiques. Roger Howard, directeur général de Crime Concern (une organisation caritative œuvrant à la réduction de la criminalité au Royaume-Uni) a déclaré : « Outside of a major civil emergency and wartime situation, I cannot think of any other period when there has been such a powerful piece of legislation at the disposal of the police380. » Roger Smith, directeur deJUSTICE, considère que ces pouvoirs peuvent se révéler draconiens et discriminatoires dans leur application381. En effet, ils ont été invoqués à l’encontre de manifestants, la cour d’appel ayant décrété la légitimité d’une telle utilisation dans un verdict de 2006382. Mais, surtout, ils visent les enfants, et ont même été invoqués à l’encontre d’enfants qui n’étaient pas soupçonnés de comportement antisocial, ce qui a mené Liberty à les contester en cour d’appel pour atteinte aux droits de l’homme. L’affaire a été entendue le 11 mai 2006 et la Cour a décrété que les pouvoirs sont limités aux enfants qui sont coupables, ou qui risquent de se rendre coupables, de comportement antisocial383.

La Penalty Notice for Disorder (PND), créée par la loi sur la justice pénale et la police de 2001 (The Criminal Justice and Police Act), et mise en place en 2004, permet à la police d’émettre un avis d’amende fixe pour les comportements susceptibles de provoquer « harassment, alarm or distress », ainsi que pour d’autres comportements plus précis tels que l’achat d’alcool par une personne âgée de moins de 18 ans ou des dégradations criminelles. Elle complète le système des Fixed Penalty Notice s (FPN) qui existent depuis longtemps pour sanctionner des infractions mineures telles que les contraventions pour stationnement interdit et le dépôt illégal d’ordures, mais elle vise des infractions plus graves et entraîne souvent des sanctions financières plus lourdes. Tout comme l’ASBO, la PND est souvent présentée par le gouvernement britannique actuel comme un progrès significatif dans la lutte contre les nuisances et les incivilités. D’après Tony Blair, elle a réduit le nombre de condamnations criminelles et allégé la bureaucratie, tout en rendant l’application de la loi plus efficace384.

En effet, il est extrêmement facile d’émettre une PND : il n’est même pas nécessaire qu’elle soit émise par un policier – elle peut également être imposée par des Police Community Support Officers (le personnel de soutien à la police créé par la loi sur la réforme de la police de 2002 et chargé de s’attaquer à la petite délinquance, le désordre et les comportement antisociaux) ou, depuis la promulgation de la loi de 2003, par d’autres personnes agréées (par exemple, des Neighbourhood Wardens – personnes employées par les autorités locales pour remplir des fonctions similaires à celles des Police Community Support Officers). Elle peut être émise dans un délai de seulement 15 minutes et les policiers ne sont pas obligés d’assister aux audiences du tribunal. Cependant, tout le monde n’est pas aussi enthousiaste en ce qui concerne les PND. The Daily Telegraph, remarquant l’augmentation du nombre de PND émis – 20 % en 2006 –, a exprimé son inquiétude que le PND représenterait une réponse trop légère à des infractions graves385 : James Brokenshire, député conservateur, a déclaré : « It is adding insult to injury for victims of crime when the criminals get little more than glorified parking tickets386. » Le journal cite également la réaction du British Retail Consortium (une association professionnelle de commerçants) : « This sends the wrong message to criminals. It tells them they have a licence to steal and won’t get any serious punishment387. »

Pourtant, une toute autre approche est adoptée par les organismes de surveillance de la justice pénale. Par exemple, dans un rapport de 2005, la Harm and Society Foundation (un groupe de réflexion anciennement connu sous le nom de Crime and Society Foundation basé au Centre for Crime and Justice Studies) constate : « Far from being a soft option, PND contribute to the creation of a new class of semi-criminal who face being put on the fast-track to arrest, prosecution and punishment in, what is effectively, a justice-free zone388. » Les raisons d’une telle critique sont les suivantes : le paiement d’une amende suite à une PND ne nécessite aucun aveu de culpabilité, mais si l’on refuse de la payer, il faut la contester devant un tribunal et risquer une condamnation criminelle si l’on est déclaré coupable. Selon la Harm and Society Foundation, deux problèmes de justice se posent : d’abord, cela pourrait pousser quelqu’un à payer une amende pour une infraction pour laquelle il n’est même pas coupable, et, deuxièmement, une personne aisée est mieux placée qu’un citoyen pauvre pour payer l’amende et ainsi éviter des poursuites criminelles389. D’ailleurs, même s’il n’y a pas d’aveu de culpabilité lorsqu’on paye une PND, la police a le droit de prendre les empreintes digitales, des échantillons d’ADN et des photographies des contrevenants et de les ajouter au Police National Computer – l’ordinateur central de la police britannique qui comprend un fichier nominatif recensant les données concernant les criminels, les délinquants et les personnes recherchées ou disparues, auquel on peut accéder afin de prouver le mauvais caractère d’un prévenu lors d’un procès criminel390. En outre, parce que les PND opèrent en dehors des paramètres traditionnels de la justice pénale, elles contournent les protections habituellement offertes aux citoyens poursuivis en justice391.

Mais le plus grand problème avec les PND, dont fait également état le Children’s Commissioner – le Commissaire en charge des enfants qui représente les intérêts des jeunes vivant en Angleterre et au pays de Galles (créé par la loi sur les enfants de 2004, The Children Act) –, est leur tendance apparente à prendre davantage de personnes au piège du filet pénal392. En effet, depuis la mise en place des PND, le nombre d’avertissements émis pour des infractions mineures a baissé de façon significative. Par exemple, un rapport du ministère de l’Intérieur paru en 2006 établit que la mise en place des PND en 2004 a provoqué une diminution du nombre de délinquants réprimandés pour s’être trouvés en état d’ivresse sur la voie publique de 16 800 en 2003 à 12 400 en 2004, puis à 7 800 en 2005, ce qui représente une baisse de 53 % en seulement deux ans393. Par contre, 26 000 PND ont été émises pour cette infraction en 2004, et encore 37 000 en 2005394. La majorité des PND ont été délivrées pour cause d’« harassment, alarm or distress » : en 2004, 28 790 PND ont été émises pour cette infraction – ajoutées aux PND émises pour état d’ivresse sur la voie publique, cela représente 87 % de tous les PND délivrées cette année-là395. D’après la Harm and Society Foundation, cette infraction est subjective et ambiguë, et il serait particulièrement difficile pour les enfants de savoir quels comportements sont admissibles et quels comportements ne le sont pas396. Le Children’s Commissioner a declaré sur ce point : « Given the broad definition of “harassment, alarm or distress” the Children’s Commissioner is concerned that public perception of anti-social behaviour will drive police responses to behaviour by children and young people rather than clear and objective law397. » La possibilité est devenue tout à fait réelle suite à certaines modifications législatives qui ont élargi l’application des PND aux enfants : la loi sur le comportement antisocial de 2003 a permis leur application aux jeunes âgés de 16 et 17 ans, alors qu’un acte réglementaire de 2004398 a mis au banc d’essai l’application des PND aux jeunes âgés de 10 à 15 ans. Dernière critique des PND : elles visent davantage certaines minorités ethniques. D’après un rapport de la police de Lancashire, le nombre de PND imposées aux noirs a augmenté de façon significative, de 14,16 ‰ de la population noire totale en 2004-2005 à 22,96 ‰ en 2005-2006, ce qui montre qu’il est trois fois plus probable qu’un noir soit soumis à une PND qu’un blanc399.

Tout comme l’ASBO, la PND et la Dispersal Order ont eu deux principaux effets : la criminalisation accrue de certains groupes, notamment les plus marginalisés, et le nombre plus élevé de personnes prises au piège du filet pénal. Bien qu’elles aient été critiquées pour leur laxisme, il serait difficile de contester le potentiel punitif de ces deux tendances, qui ont été exacerbées par la prolifération de la législation pénale et la montée inexorable de la population carcérale. Cependant, il est peut-être plus difficile d’affirmer leur nouveauté. Tout d’abord, le droit pénal est depuis longtemps étayé par le droit civil : par exemple, aux termes de l’article 222 de la loi sur l’administration locale de 1972 (The Local Government Act) les autorités locales peuvent demander une injonction – une ordonnance civile avec des conséquences pénales en cas d’infraction – auprès des tribunaux civils (le County Court ou le High Court en Angleterre) afin d’empêcher des comportements antisociaux tels que la prostitution, le racolage, la vente de drogues… Deuxièmement, on a longtemps suggéré que la prolifération des peines, même celles qui sont censées représenter des alternatives à l’incarcération, tend à prendre un plus grand nombre de personnes au piège du filet pénal. À la fin des années 1890, tout comme dans les années 1990, le système pénal était perçu comme étant en crise. À ces deux époques, il semblerait que l’État était préoccupé par la légitimité d’un système remis en question principalement à cause de son inefficacité apparente à s’attaquer à la criminalité. On s’inquiétait tout particulièrement du problème du criminel récidiviste. En effet, le pourcentage de détenus qui avaient déjà été déclarés coupables d’un délit ou d’un crime a progressivement augmenté au cours de la seconde moitié du XIXesiècle, d’environ 30 % dans les années 1850 à 55 % au début des années 1890400. Quelles que soient les raisons de cette hausse – soit une véritable augmentation du nombre de délinquants récidivistes, ou, comme Weiner le suggère, la conséquence de nombreux changements dans les politiques criminelles qui ont fait gonfler les statistiques (tels que la fin du transport vers les bagnes coloniaux ou encore l’augmentation des effectifs policiers)401 –, elle a inquiété tant le grand public que les décideurs politiques. De la même façon, la montée inexorable de la criminalité depuis la Deuxième Guerre mondiale (voir le graphique ci-dessous) a suscité de fortes critiques du système. Dans les deux cas, on a cherché la solution dans la création de nouvelles peines402.

Fig. 7 : Nombre de délits enregistrés par la police (pour 1 000 personnes de la population totale) en Angleterre et au pays de Galles de 1900 à 1997 Source : Joe Hicks et Grahame Allen, A Century of Change : Trends in UK statistics since 1900 [en ligne], House of Commons Research Paper 99/111, 21 décembre 1999, p. 14. Disponible sur : http://www.parliament.uk/commons/lib/research/rp99/rp99-111.pdf [page consultée le 28 mai 2007].

Selon David Garland, le début du XXesiècle a vu la création de peines inspirées par le « positivisme »404. Le terme « positivisme » fait allusion à une nouvelle approche scientifique au problème de la criminalité qui se caractérise par l’individualisation du délinquant et sa classification dans le but soit de l’amender, soit de l’éliminer. En opposition aux réponses à la criminalité dites « classicistes » qui insistaient sur l’égalité juridique, le « positivisme » cherche délibérément à distinguer entre des types de délinquants différents afin de trouver la réponse la plus adaptée à chaque cas. Ainsi, pour les délinquants « amendables », des institutions spécialisées ont été créées, comme celle pour les ivrognes patentés (déjà établie par une loi de 1879 (Habitual Drunkards Act) et renforcée par l’Inebriates’ Act de 1898). Pour les récidivistes – les « incorrigibles » – la loi sur la prévention de la criminalité de 1908 (Prevention of Crime Act) a créé des peines indéterminées pour ceux qui avaient déjà effectué une peine de trois ans de servitude pénale405. Pour Garland, l’incarcération est devenue « a welfare sanction »406, expression qui désigne un système par lequel les institutions pénales étayent et élargissent celles du domaine social407. Il explique que les nouvelles mesures d’amendement avaient une portée plus considérable qu’auparavant, étant donné qu’elles ne se limitaient pas aux définitions traditionnelles de la criminalité, visant aussi les vagabonds, les alcooliques et d’autres classes d’« indésirables »408. Il suggère qu’en dépit du discours social, ces nouvelles peines avaient la capacité d’être plus sévères, insidieuses et pénétrantes que jamais. Selon sa logique, s’il était possible de justifier l’incarcération par sa capacité à « guérir » le délinquant, il était également possible, en principe, de passer outre les considérations classicistes de proportionnalité : on pouvait le détenir aussi longtemps que nécessaire pour le traiter. Les principaux outils de contrôle et de sujétion n’étaient plus les verrous et les barreaux de la structure carcérale : même si ces derniers ont continué à occuper une place très importante dans le maintien du contrôle, leur rôle a diminué avec un changement subtil dans la signification du concept de contrôle. Il ne s’agissait plus simplement de restreindre physiquement le détenu mais aussi de l’influencer, voire de le manipuler.

Garland considère que la politique pénale de la période de 1895 à 1914 était influencée principalement par le développement de la criminologie comme discipline scientifique, influencée en particulier par la psychiatrie et la biologie qui expliquait la criminalité par des différences innées qui existeraient entre les délinquants et la population respectueuse des lois409. En effet, The Times, dans un article sur la mort de l’Italien Cesare Lombroso, qui développa le concept du « criminel né », incapable de contrôler ses propres actions en raison de sa pathologie innée, cita la loi de 1908 comme « a striking recognition of some of the principles for which Lombroso contended »410. Les historiens pénaux, Bill Forsythe et Victor Bailey, par contre, réfutent l’idée que la politique pénale de l’époque était fortement influencée par les nouvelles sciences positivistes411. Pour eux, elle était davantage influencée par le nouveau libéralisme chrétien épousé par T. H. Green et ses disciples, se caractérisant plus par sa bienveillance que par sa sévérité et mettant davantage l’accent sur les facteurs liés à l’environnement comme cause de la criminalité412. Neil Davie soutient cette thèse, avançant que l’idée de l’existence d’un criminel né était limitée à une petite minorité de délinquants, l’idéal de l’amendement étant applicable à la majorité413. En effet, les peines qui étaient potentiellement les plus sévères – notamment la loi de 1908 – étaient peu appliquées en pratique414. Plus significatif encore, l’incarcération a en réalité baissé de manière significative (voir fig. 1 ci-dessus415) pendant la période en question. Les historiens whigs tels que Radzinowicz et Hood, ont constaté que la fin de la période victorienne et de la période édouardienne marquent « a mass movement away from reliance on incarceration »416, point de vue soutenu par Bailey qui parle de la « diminution massive de l’incarcération »417 au profit de châtiments alternatifs, tels que le sursis avec mise à l’épreuve418.

Visiblement, donc, la mise en application des idées positivistes en Angleterre n’a pas eu les effets punitifs que Garland décrit. Il semblerait que Michel Foucault, lui-aussi, se trompe lorsqu’il parle des effets punitifs du positivisme qui, selon lui, date du début du XIXesiècle419. Cependant, leurs thèses sont peut être plus facilement défendables lorsqu’elles sont appliquées à la situation actuelle au Royaume-Uni. Aujourd’hui, tout comme au tournant du dernier siècle, un discours punitif s’associe à un discours plus social : le New Labour promet d’être « tough on crime » (intransigeant envers la criminalité), en même temps qu’il fait référence à la nécessité de se montrer également « tough on the causes of crime » (intransigeant envers les causes de la criminalité). Ceci est particulièrement manifeste dans le discours du gouvernement concernant la politique adoptée pour lutter contre les comportements antisociaux, présentée simultanément comme une politique soucieuse de faire appliquer des peines strictes et comme une façon de s’attaquer aux causes de la délinquance. Louise Casey, responsable du plan d’action pour inculquer le « respect » dans la société britannique420, a déclaré lors d’un entretien avec The Guardian : « Many people think Respect is all about Asbos, but for me it is about a Trojan horse so that we can deal with a lot of other things such as child poverty, repeat homelessness, repeat offending and under-attainment in schools421. » En effet, nous avons vu comment le traitement et l’assistance sociale font partie intégrante de bien des nouvelles peines, qu’elles soient civiles ou criminelles : la Detention and Training Order, la Single Community Order, la Drug Treatment and Testing Order, le Anti-Social Behaviour Contract… Nous avons fait remarquer que ces nouvelles interventions socio-pénales ont la capacité d’avoir un effet de netwidening significatif. Ces offres d’assistance restent coercitives, étant toujours sous-tendues par la menace d’une sanction criminelle, souvent l’incarcération. Elles peuvent se révéler être les chevaux de Troie qui dissimulent le droit pénal. D’ailleurs, comme Garland l’affirme à propos du début du XXesiècle, ces peines sont souvent disproportionnées à l’infraction ou au délit commis – on peut citer en exemple le maximum de cinq ans d’incarcération qu’un tribunal peut infliger pour non-respect d’une ASBO ou encore la Indeterminate Sentence for Public Protection. En outre, ces nouvelles ordonnances, injonctions et peines impliquent un fort degré d’individualisation, visant les personnes jugées indésirables autant que leurs actes criminels – en effet, l’existence de la criminalité n’est même pas nécessaire pour déclencher des poursuites criminelles. Certains suggèrent également que les idées eugéniques sont de retour, ayant une portée bien plus large qu’auparavant422. Neil Davie note que les tentatives récentes d’identifier un « gène délinquant », bien qu’elles n’en soient qu’à leurs premiers balbutiements, représentent une survivance des idées Lombrosiennes423.

La politique pénale d’aujourd’hui représente un nouveau durcissement dans la mesure où elle s’appuie beaucoup sur l’incarcération, peine qui est actuellement encore plus facilement appliquée suite à l’érosion de nombreuses procédures de protection. Cette affirmation pourrait nous amener à accepter la thèse de Pratt et al. d’après laquelle la tendance actuelle représente un retour aux formes de châtiment pré-modernes qui privilégient le châtiment au détriment du traitement424. Pourtant, après avoir élucidé certains parallèles avec la période à laquelle le « positivisme » était à son apogée, cette position devient douteuse. En effet, même si la diminution du taux d’incarcération à cette époque n’a pas permis à l’État d’élargir le filet de contrôle, il est tout à fait possible de soutenir, comme Garland et Foucault l’ont fait, que le développement des alternatives carcérales, telles que la probation avec surveillance extra-carcérale, et l’augmentation des effectifs policiers, ont étendu le contrôle étatique depuis l’intérieur des quatre murs de la prison jusqu’au sein de la société libre, plaçant sous surveillance non seulement le condamné, mais aussi tout condamné potentiel. Cette tendance s’est accentuée lorsqu’il ne s’est plus seulement agi de punir le délinquant, mais aussi de l’amender ou, si l’on emprunte un terme foucaldien, de le « normaliser ». Il semblerait que ces mêmes tendances se sont prolongées aujourd’hui, laissant à penser que le durcissement de la politique pénale n’est pas entièrement nouveau, même s’il est tout à fait évident.

Notes
375.

D’après Andrew Rutherford, le terme avait été ainsi appliqué pour la première fois par un rédacteur en chef de la Criminal Law Review, Rutherford, « A Bill to be tough on crime », New Law Journal, 1998, n° 148, p. 13.

376.

Ibid.

377.

Ibid.

378.

Youth Justice Board [en ligne]. Disponible sur : http://www.yjb.gov.uk/en-gb/yjs/ SentencesOrdersandAgreements/LocalChildCurfew/ [page consultée le 21 mai 2007].

379.

Home Office, Use of Dispersal Powers [en ligne], juin 2005. Disponible sur : http://www.respect.gov.uk/uploadedFiles/Members_site/Documents_and_images/Enforcement_tools_and_powers/Dispersal_HOResearch2005_0019.doc [page consultée le 21 mai 2007].

380.

« Hormis en cas d’urgence civile ou en temps de guerre, je ne vois aucune période où la police ait eu une arme législative aussi puissante à sa disposition. » In House of Commons Home Affairs Committee, Anti-Social Behaviour : Fifth Report of Session 2004-05, Volume III, Oral and written evidence [en ligne], 22 mars 2005, p. 70. Disponible sur : http://www.publications.parliament.uk/pa/cm200405/cmselect/cmhaff/80iii/80iii.pdf [page consultée le 21 mai 2007].

381.

Ibid.

382.

Pritpal Singh v Chief Constable of the West Midlands Police [2006] 1 WLR 3374.

383.

434R (W) v Commissioner of Police of the Metropolis and another, Secretary of State for the Home Department, interested party [2006] EWCA Civ 458, Liberty, communiqué de presse, « Court Judgement on Government’s “Anti-Yob”/Anti-Child Policy » [en ligne], 11 mai 2006. Disponible sur : http://www.liberty-human-rights.org.uk/news-and-events/1-press-releases/2006/curfew-case-judgment.shtml [page consultée le 21 mai 2007].

384.

Tony Blair, « Prime Minister’s speech on crime reduction » [en ligne], 30 mars 2004. Disponible sur : http://www.pm.gov.uk/output/Page5603.asp [page consultée le 23 mai 2007].

385.

Ben Leapman, « Penalty notices for one crime in nine », The Sunday Telegraph [en ligne], 8 janvier 2007. Disponible sur : http://www.telegraph.co.uk/news/main.jhtml?xml=/news /2007/01/07/ncrime07.xml [page consultée le 24 mai 2007].

386.

« Un comble d’insulte aux victimes de la criminalité, quand les criminels n’écopent que pour l’équivalent d’une simple contravention de stationnement. » Ibid.

387.

« On envoie un mauvais message aux délinquants. On leur dit qu’ils ont le champ libre pour voler et qu’on ne leur infligera aucune sanction grave. » Ibid.

388.

« Loin d’être une réponse trop légère, les PND contribuent à la création d’une nouvelle classe de semi-criminels qui risquent d’être rapidement arrêtés, poursuivis et punis, dans ce qui est effectivement une zone sans justice. » In Rebecca Roberts et Richard Garside, Punishment Before Justice ? Understanding Penalty Notices for Disorder [en ligne], Briefing 1, Harm and Society Foundation, mars 2005, p. 4. Disponible sur : http://www.crimeandsociety.org.uk/ opus38/briefing1_march05.pdf [page consultée le 28 mai 2007].

389.

Ibid.

390.

Ibid., p. 6.

391.

Ibid., p. 4.

392.

Ibid., p. 5. Children’s Commissioner, Response from the Children’s Commissioner to the Home Office Consultation Paper on Strengthening Powers to Tackle Anti-Social Behaviour [en ligne], février 2007, p. 6. Disponible sur : https://www.childrenscommissioner.org/documents/Childrens %20Commissioner%20ASB%20Consultation%20Response_Final%20Version_CF_06%2002%2007.pdf [page consultée le 30 mai 2007].

393.

Home Office (Office for Criminal Justice Reform), Criminal Statistics 2005 : England and Wales [en ligne], Home Office Statistical Bulletin 19/06, novembre 2006, § 3.24, p. 43. Disponible sur : http://www.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs06/hosb1906.pdf [page consultée le 30 mai 2007].

394.

Ibid.

395.

Research Development and Statistics Directorate, Penalty Notice for Disorder Statistics 2004 : England and Wales [en ligne], Home Office Online Report 35/05, 2005, p. 1. Disponible sur : http://www.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs05/rdsolr3505.pdf [page consultée le 30 mai 2007].

396.

Rebecca Roberts et Richard Garside, op. cit., p. 5.

397.

« Étant donné la définition très large de "vexations, inquiétude ou gêne grave", le Commissaire à l’Enfance s’inquiète que la perception publique du comportement antisocial dictera les réponses policières aux comportements d’enfants et de jeunes en lieu et place d’une loi claire et objective. » In Children’s Commissioner, op. cit., p. 6.

398.

Statutory Instument n° 3167 [en ligne]. Disponible sur : http://www.opsi.gov.uk/si/si2004 /20043167.htm [page consultée le 24 mai 2007].

399.

Lancashire Constabulary, Blue Band Report : Annual Ethnic Monitoring Report [en ligne], 2006, p. 27. Disponible sur : http://www.lancashire.police.uk/fileadmin/users/documents/Blue_Band_ Report_0506.pdf [page consultée le 30 mai 2007].

400.

Martin Wiener, op. cit., p.342.

401.

Ibid.

402.

Même si, comme nous démontrerons au début de notre deuxième partie, il est très difficile d’établir un lien entre le taux de criminalité et la politique pénale, en particulier la population carcérale. Voir infra., p. 189-195.

403.

Source : Joe Hicks et Grahame Allen, A Century of Change : Trends in UK statistics since 1900 [en ligne], House of Commons Research Paper 99/111, 21 décembre 1999, p. 14. Disponible sur : http://www.parliament.uk/commons/lib/research/rp99/rp99-111.pdf [page consultée le 28 mai 2007].

404.

David Garland, Punishment and Welfare, op. cit.

405.

Leon Radzionwicz et Roger Hood, op. cit.,p. 275.

406.

David Garland, « The Birth of the Welfare Sanction », British Journal of Law and Society,1981, vol. 8, n° 1 : 29-45.

407.

David Garland, Punishment and Welfare, op. cit.,p. 233.

408.

Ibid.,p. 104.

409.

Ibid., pp. 81-82.

410.

« […] une reconnaissance frappante de quelques principes avancés par Lombroso », cité dans Radzinowicz et Hood, p. 277.

411.

William Forsythe, « The Garland Thesis and the Origins of Modern English Prison Discipline : 1853 to 1939 », The Howard Journal, 1995, vol. 43, n° 3 : 259-273. Victor Bailey, « English Prisons, Penal Culture, and the Abatement of Imprisonment, 1895-1922 », op. cit.

412.

William Forsythe, « The Garland Thesis », op. cit., pp. 270-271. Victor Bailey, « English Prisons, Penal Culture, and the Abatement of Imprisonment, 1895-1922 », op. cit., p. 310.

413.

Neil Davie, Tracing the criminal, op. cit.

414.

Voir supra., pp. 40-41.

415.

Voir supra, p. 22.

416.

« […] une émancipation massive du recours à l’incarcération », in Leon Radzionwicz et Roger Hood, op. cit.,p. 778.

417.

Victor Bailey, « English Prisons, Penal Culture, and the Abatement of Imprisonment, 1895-1922 », op. cit.,p. 293.

418.

Ibid., p. 319.

419.

Michel Foucault, op. cit.

420.

Pour plus d’informations, voir : http://www.respect.gov.uk/ [page consultée le 28 mai 2007].

421.

« La majorité pense que “Respect” s’intéresse exclusivement aux ASBO, mais pour moi il s’agit d’un cheval de Troie qui nous permettra de nous attaquer à bien d’autres problèmes, comme ceux de la pauvreté infantile, des sans-abris, des récidivistes et de l’échec scolaire. » In Louise Casey, lors d’un entretien avec Patrick Wintour, « No more misbehaving », The Guardian [en ligne], 26 juillet 2006. Disponible sur : http://society.guardian.co.uk/crimeandpunishment/story/0,,1828408 ,00.html [page consultée le 28 mai 2007].

422.

Neil Davie, « Le retour de l’homme criminel ? ADN, criminalité et déterminisme biologique », dans Michel Prum (dir.), La Fabrique de la « race » : Regards sur l’ethnicité dans l’aire anglophone, Paris, l’Harmattan, 2007, pp. 235-257.

423.

Ibid.

424.

Voir supra., p. 18.