ii) La mise en place des frontières physiques

Une fois que les frontières métaphoriques sont dressées entre ceux qu’il faut protéger et ceux qu’il faut exclure, la mise en place des frontières physiques est justifiée. La frontière la plus symbolique est évidemment le mur carcéral qui sépare le délinquant de la société libre. Même si la prison moderne a longtemps cherché à réintégrer le délinquant dans la société libre plutôt que de l’en exclure, la prison est un mécanisme d’exclusion par excellence. En effet, elle a été construite pour remplacer une autre politique pénale exclusive, soit la pratique de déportation vers les bagnes coloniaux. D’ailleurs, le pouvoir d’exclusion de la prison a toujours eu une portée beaucoup plus large que son mur d’enceinte. Même au XIXe siècle, on reconnaissait qu’une fois incarcéré, l’individu était marqué comme délinquant, une marque indélébile dont il était quasiment impossible de se débarrasser après sa remise en liberté. La loi sur les prisons de 1823 (The Gaol Act) déclarait qu’il fallait donner aux ex-détenus les moyens de se lancer dans « a life of honest labour » (une vie de travail honnête)653. À partir des années 1850, des associations caritatives – les Discharged Prisoners’ Aid Societies – ont été créées pour aider les ex-détenus654 et, en 1910, l’État a créé une Central After-Care Association 655. Néanmoins, la plupart des ex-détenus ont continué à être distingués de la société respectueuse des lois et certaines de ces organisations opéraient elles-mêmes une distinction entre ceux considérés comme « méritant » l’aide et ceux qui ne la méritaient pas656. Cette pratique s’inscrit dans le contexte d’une politique sociale qui à cette époque faisait la même distinction entre les pauvres « méritants » et les pauvres « non-méritants » de l’aide657.

Il y a eu une prolifération des tentatives pour permettre à l’ex-détenu de se réinsérer dans la société : la loi sur la réhabilitation des détenus de 1974 (The Rehabilitation of Offenders Act) prévoit « l’effacement » d’une condamnation d’un casier judicaire au bout d’un certain délai ; depuis 1966, une organisation caritative, la National Association for the Care and Resettlement of Offenders (NACRO), œuvre pour donner aux ex-détenus des informations qui leur permettraient de retrouver un logement et/ou du travail ; les prisons elles-mêmes organisent des formations destinées à préparer leurs détenus pour leur remise en liberté658. Pourtant, les ex-délinquants finissent souvent par être exclus de la société « normale ». D’abord, ils ont du mal à trouver un logement – soit ils étaient sans abri avant de venir en prison (le cas d’un tiers des détenus), soit ils ont perdu leur logement en conséquence directe de leur incarcération659. À cause de la « règle des 13 semaines », les allocations logement ne sont pas versées au-delà de 13 semaines d’incarcération, ce qui veut dire que bien des détenus accumulent des arriérés de loyer et, par conséquent, n’ont plus le droit de recevoir d’allocations à leur remise en liberté660. En outre, NACRO a établi que l’aide pour trouver un logement varie beaucoup d’une prison à une autre et que le financement public dans ce domaine est très limité661. D’ailleurs, les employeurs établissent souvent une discrimination envers les ex-détenus. Un rapport de la Joseph Rowntree Foundation (JFR – une association caritative pour la recherche en politique sociale) de 2001 a établi que bon nombre d’employeurs considèrent que les délinquants, en tant que « non-méritants », ne devraient pas pouvoir bénéficier des politiques de recrutement qui assurent l’égalité des chances – 91 % ont dit qu’il refuseraient automatiquement d’embaucher une personne ayant été condamnée pour certains délits, notamment pour actes de violence ou pour délinquance sexuelle662. La situation s’est aggravée depuis l’entrée en vigueur en 2006 de la loi sur la police de 1997 (The Police Act) qui permet désormais à tout employeur d’accéder au casier judiciaire de candidats à l’emploi. Précédemment, les employeurs n’avaient pas ce droit à l’exception des candidats pour un emploi au contact des enfants ou s’il était question de sécurité nationale. En outre, l’allongement des périodes de remise en liberté surveillée empêche le délinquant de se réinsérer normalement dans la société lorsqu’il est soumis à des conditions contraignantes ou obligé de porter un bracelet de surveillance électronique qui peut avoir un effet très stigmatisant.

Il n’y a pas que la prison qui érige les frontières de l’exclusion et de l’inclusion. Tout comme Foucault l’a affirmé, la prison étend son contrôle dans la société libre, non seulement à l’égard des ex-détenus mais également sur tout délinquant potentiel. Avec l’aide des nouvelles technologies, telles que la vidéosurveillance, le mur carcéral est souvent remplacé par des frontières invisibles qui fonctionnent souvent sur la base de contrôles d’identité. En outre, les nouvelles méthodes de la police permettent le contrôle et le triage des populations dites « difficiles ». Le fonctionnement de ces nouvelles politiques d’exclusion est l’objet de la section suivante.

Notes
653.

Leon Radzionwicz et Roger Hood, op. cit., p. 603.

654.

Ibid., pp. 604-605.

655.

Ibid., p. 617.

656.

Ibid.,pp. 605-617.

657.

Kathleen Jones, The Making of Social Policy in Britain : From the Poor Law to New Labour, Londres, The Athlone Press, 2000, p. 35.

658.

Iain Crow (éd.), The Treatment and Rehabilitation of Offenders, Londres, Sage, 2001.

659.

NACRO, Going Straight Home : A policy briefing on the role of housing on preventing offending [en ligne], 2006. Disponible sur : http://www.nacro.org.uk/data/resources/nacro-2006020601.pdf [page consultée le 27 juin 2007].

660.

Ibid.

661.

Ibid.

662.

Joseph Rowntree Foundation, Recruiting and Employing Offenders :Tthe impact of the Police Act [en ligne], octobre 2001. Disponible sur : https://www.jrf.org.uk/knowledge/findings/ socialpolicy/pdf/011.pdf [page consultée le 27 juin 2007].