ii) Le tournant punitif est-il populaire ?

a) Les Britanniques et le sentiment punitif

L’administration néo-travailliste a clairement affiché son désir de répondre aux inquiétudes du grand public au sujet de la criminalité242, faisant constamment référence au besoin de rééquilibrer le système de justice pénale en sa faveur. Déjà, en 1993, Tony Blair avait déclaré que le message de son parti est « a radical message ; it is a populous message, it’s anti-elite, it’s anti-establishment »243. En effet, le processus décisionnel jusqu’aux années 1990 a été profondément élitiste et anti-démocratique244. Plutôt que répondre aux préoccupations du public, les experts ont eu tendance à les ignorer, considérant qu’ils savaient ce qui est bon pour les Britanniques. Le discours anti-élitiste de Tony Blair représente donc une véritable rupture avec le passé. Il est vraiment populaire dans le sens où il est non-partisan, plaisant aussi bien à la gauche qu’à la droite. Pour la droite, il répond à l’instinct de méfiance à l’égard des élites libérales. Pour la gauche, il satisfait aux demandes des left realists, tels John Lea et Jock Young245, qui considèrent que la gauche doit prendre le problème de la criminalité plus au sérieux, ayant trop longtemps minimisé son importance.

En 1984, Lea et Young avaient affirmé que le taux de criminalité n’était pas exagéré, comme certains criminologues de gauche le suggéraient parfois, et ils constataient que ce sont les plus marginaux qui souffrent principalement des formes de criminalité les plus graves. Plus récemment, ces affirmations ont été confirmées par Danny Dorling, qui a montré que les plus pauvres ont plus de chance d’être assassinés que les gens issus des milieux plus aisés246. C’est en adoptant le left realism que les néo-travaillistes ont réussi à battre les conservateurs sur le terrain de la loi et de l’ordre, réalisant ainsi une politique de triangulation parfaite. Cette déclaration de Tony Blair en 1996 témoigne de son adhésion au left realism : « Law and order is a Labour issue. We all suffer from crime, the poorest and vulnerable most of all247. » Souhaitant plaire au plus grand nombre, le New Labour,une fois au pouvoir, a pourtant ignoré un des principes essentiels du left realism : l’idée que le capitalisme peut se révéler criminogène en raison de sa tendance à engendrer des inégalités économiques qui nourrissent des sentiments de privation relative, considérés comme motif de criminalité (la théorie d’anomie expliquée ci-dessus248). Par conséquent, il a été suggéré qu’au lieu de s’engager dans un véritable échange avec le grand public sur cette question – un échange qui aurait pu susciter une plus grande compréhension du problème, voire atténuer les sentiments les plus punitifs et la peur de la criminalité – les néo-travaillistes ont préféré céder aux revendications populaires réclamant plus de dureté en matière de loi et d’ordre.

Il y a toutefois de bonnes raisons pour considérer que le public britannique est réellement punitif et que le tournant punitif ne représente par conséquent qu’un tournant démocratique. Certains commentateurs estiment que les Britanniques ont des prédispositions punitives, contrastant leur attitude à l’égard de la criminalité avec celle d’autres pays occidentaux. Michael Tonry, par exemple, affirme : « I believe a deeper strain of moralistic self-righteousness and punitiveness towards deviance and deviants characterizes British and American culture […] than is the case in other countries249. » Afin de prouver cette affirmation, il cite la International Crime Victimisation Survey 250 de 2000 qui a relevé le pourcentage de personnes interrogées favorisant une peine d’incarcération pour un cambrioleur récidiviste. Elle établit que 56 % des nord-américains, 54 % des Nord-Irlandais, 52 % des Écossais et 51 % des Anglais sont en faveur de la détention251. En revanche, dans la plupart des autres pays européens, seulement 12 % à 16 % des personnes interrogées ont opté pour une peine d’incarcération252.

On pourrait également différencier des autres nationalités les réactions des Britanniques aux crimes considérés comme particulièrement odieux. Lorsque deux garçons âgés de six ans ont déshabillé, lapidé et battu à mort Silje Redergard, âgée de cinq ans, à Trondheim en Norvège, l’affaire a été peu médiatisée, il n’y a pas eu d’actes d’autodéfense, les garçons n’ont pas été démonisés et la mère de la victime a déclaré qu’elle arriverait à pardonner ses assassins253. Michael Tonry cite cette affaire afin de contraster la réaction publique avec celle des Britanniques lors du meurtre de James Bulger et ainsi de prouver sa thèse que les Britanniques sont naturellement plus punitifs que leurs homologues européens. Certes, les divergences de réactions dans les deux pays à un crime similaire sont frappantes. L’affaire Bulger a été très médiatisée, au point que n’importe quel Britannique serait capable de la raconter ; en raison des menaces de représailles les assassins ont dû changer d’identité après leur remise en liberté ; ils ont été traités comme des « monstres » ; et la mère de James a fait circuler une pétition contre la décision du tribunal de grande instance en 2001 de leur accorder l’anonymat après qu’ils aient purgé leur peine.

On pourrait répondre que certaines particularités de la culture britannique, autres qu’une prédilection pour les politiques punitives, permettent aussi bien d’expliquer cette différence. Par exemple, les médias britanniques sont tout à fait exceptionnels dans la mesure où ils sont concentrés à Londres et étroitement liés les uns aux autres, ce qui signifie qu’ils sont contraints de suivre le même programme, souvent celui des tabloïds, qui ont tendance à sensationnaliser et personnaliser les problèmes sociaux254. Or cette manière de traiter les problèmes ne correspond certainement pas aux normes européennes : en mars 1993, la commission européenne des droits de l’homme a déclaré que le procès public des assassins de Bulger a eu lieu dans une atmosphère « très tendue » enfreignant l’article six de la Convention européenne des Droits de l’Homme qui assure le droit à un procès juste255. En effet, nous avons déjà noté que de nombreuses lois promulguées au cours de ces dernières années au Royaume-Uni, souvent en réponse à la pression publique, ne respectent pas les droits de l’homme. D’ailleurs, l’intégration de la Convention européenne des Droits de l’Homme dans la législation britannique aux termes de la loi sur les droits de l’homme de 1998 n’a pas encouragé la création d’une « culture des droits de l’homme »256. Au contraire, la loi est constamment critiquée dans les médias et David Cameron, leader du parti Conservateur, a promis de l’abroger si son parti remporte les prochaines élections législatives257.

De nombreux commentateurs estiment que le sentiment punitif est particulièrement prégnant dans les pays où il existe une forte culture de l’individualisme. Monika Platek, par exemple, comparant le taux d’incarcération très élevé aux États-Unis avec le faible taux en Norvège, constate que cette différence peut être expliquée par la dissemblance entre une culture fortement individualiste et une culture plus inclusive et égalitaire258. Une des manifestations les plus claires d’une culture individualiste est souvent l’existence d’un système d’aide sociale très limitée encourageant les citoyens à assumer davantage de responsabilités pour eux-mêmes. De nombreuses études empiriques ont confirmé le fait que les pays moins généreux en termes de dépenses sociales ont un taux d’incarcération plus élevé que les pays plus inclusifs. Katherine Beckett et Bruce Western, comparant les statistiques relatives au taux d’incarcération et à la prestation sociale moyenne dans de nombreux états américains ont établi que les états ayant les prestations sociales les plus élevées avaient également les taux d’incarcération les plus bas, et vice versa259.

De même, à l’échelle internationale, David Downes et Kirstine Hansen, après avoir comparé les données des 18 pays de l’OCDE, ont conclu que les réductions du budget social vont de pair avec l’expansionnisme pénal260. Michael Cavadino et James Dignan ont également constaté que les sentiments punitifs sont plus marqués dans les sociétés individualistes et néolibérales261. En effet, au Royaume-Uni, depuis l’année fiscale 1993-1994, date à laquelle la hausse de la population carcérale a commencé, le pourcentage du PIB affecté à la « protection sociale » (ex. les allocations d’invalidité, de veuvage, de chômage, de logement, les allocations familiales, les retraites, les crédits d’impôts) (tax credits) a baissé de 15 % à 13,9 % en 2005-2006262. Cette tendance est essentiellement le résultat de l’adoption d’un grand nombre de politiques néolibérales. La nature exacte de la relation entre de telles politiques et les politiques pénales punitives sera étudiée en détail dans le quatrième chapitre, mais on peut d’ores et déjà constater que, suivant la thèse énoncée ci-dessus, les statistiques suggèrent que le Royaume-Uni est un pays punitif.

Il faut néanmoins établir une distinction entre un pays punitif et un peuple punitif. Dans la première partie, nous avons défini le Royaume-Uni, ou tout du moins l’Angleterre et le pays de Galles, comme des pays punitifs, marqués par un taux d’incarcération élevé, l’érosion des procédures de protection, la stricte application des peines, la prolifération de lois ayant tendance à criminaliser des pans entiers de la population, le brouillage du droit civil et du droit pénal, le passage d’une philosophie pénale d’amendement au simple « parcage » du délinquant, et l’élargissement du contrôle pénal en dehors des murs de la prison. Afin d’établir si le public britannique est lui-même punitif, il faut déterminer s’il soutient ces politiques strictes. À première vue, il semblerait qu’il n’y a aucun doute à cet égard. D’après de nombreux sondages le public montre une forte préférence pour l’incarcération comme mode de châtiment et soutient des peines de plus en plus strictes qui ne font qu’augmenter les effectifs emprisonnés. Par exemple, en 2003, lorsqu’on a demandé à un échantillon de la population britannique quelle initiative dans une liste de six263 serait la plus efficace pour réduire le taux de criminalité en Angleterre, 33 % ont choisi l’imposition de peines plus strictes264. Le même sondage pour The Observer a établi que 87 % des gens considèrent qu’une personne condamnée à perpétuité ne doit jamais être relâchée de prison et que 80 % soutiennent les peines plancher265. La vengeance semble avoir été la principale motivation de ces points de vue : à la question de savoir si la fonction principale de la prison devait être le châtiment, la dissuasion ou l’amendement, la majorité des personnes interrogées – 59 % – ont opté pour le châtiment.

La presse populaire, dans la mesure où elle représente les opinions de ses lecteurs, peint également le tableau d’un public punitif qui favorise l’incarcération : nous avons déjà pris l’exemple de The Sun qui a réclamé le renvoi des juges qu’il considère trop indulgents266. Lors d’un discours prononcé en 2006 à l’université de Bristol, Tony Blair a lui aussi tenté de flatter les sentiments punitifs, déclarant qu’il faut impérativement changer la « culture of political and legal decision-making » (la culture décisionnelle politique et judiciaire) afin de rendre les lois plus strictes et de s’assurer que le système judiciaire fait ce que le public attend et veut267.

Les sondages ont également établi que le public est en faveur de l’érosion des protections judiciaires pour les délinquants. 79 % des personnes interrogées en 2003 étaient pour l’abolition de la règle de double jeopardy 268. La majorité des Britanniques considèrent aussi que les pédophiles méritent des châtiments très sévères et, en dépit des dangers éventuels posés par la mise en place d’une Sarah’s Law qui permettrait aux parents d’avoir un accès limité au fichier des délinquants sexuels269, 83 % des personnes se disent favorables à une telle proposition270. D’autres sondages ont établi que les Britanniques se montrent également très sévères à l’égard des jeunes délinquants. Selon une étude sur les attitudes publiques à l’égard du système de justice pénal, basée sur les résultats de la BCS de 1998, 76 % des personnes interrogées estimaient que la police et les tribunaux sont trop indulgents envers les jeunes délinquants271. En 2003, en dépit d’une série de réformes qui ont rendu le système pénal plus sévère à leur encontre, ce chiffre n’a baissé que de 5 % pour atteindre 71 %272. Les sondages ont relevé un fort soutien pour les ASBO, peines qui touchent davantage les jeunes273 et qui peuvent avoir des effets très punitifs (notamment des peines d’incarcération) : une étude par MORI a établi que 42 % des personnes « strongly support » (soutiennent vivement) ces ordonnances, 40 % se disent avoir tendance à les soutenir (« tend to support »), alors que seulement 3 % et 1 % respectivement ont tendance à s’y opposer ou s’y opposent vivement274. Beaucoup des Britanniques ne font pas facilement la distinction entre les jeunes délinquants et les délinquants adultes, 82 % des gens considérant que les jeunes âgés de moins de 18 ans inculpés pour crimes graves – tels que le meurtre – devraient être poursuivis en justice en tant qu’adultes275. Le grand public soutient également les mesures qui étendent le contrôle pénal hors de la prison et dans la société libre, par exemple avec l’installation de caméras de vidéosurveillance : selon un rapport officiel du ministère de l’Intérieur, il n’y a qu’une petite minorité de gens qui s’opposent à cette mesure alors que la grande majorité y est favorable, considérant que les caméras permettent de réduire le taux de criminalité et de comportements antisociaux276.

Alors que les Britanniques se montrent très favorables aux politiques punitives adoptées par l’administration néo-travailliste en matière pénale, ils se révèlent souvent plus punitifs que le gouvernement actuel, considérant que ce dernier n’est pas assez strict. L’exemple le plus frappant est encore une fois le soutien constant qu’il prête à la peine de mort. Un sondage ICM pour The Observer en 2003 a établi que 67 % des Britanniques veulent que la peine de mort soit réintroduite pour certains crimes277. D’ailleurs, 75 % des Britanniques considèrent que les tribunaux sont trop indulgents à l’égard des délinquants278. Il ne faut pas toutefois prendre ces affirmations de sentiments punitifs au pied de la lettre : les points de vue exprimés dans les sondages diffèrent souvent de ce que le public ferait s’il avait l’occasion de participer au processus décisionnel ou de déterminer les peines lui-même279. En effet, certaines études effectuées dans les années 1980 ont établi que lorsqu’on demande au public de déterminer les peines pour certains types de délit, il choisit globalement les mêmes peines qui auraient été infligées par les juges eux-mêmes280.

D’ailleurs, loin de confirmer le soutien populaire pour les peines les plus punitives, tel l’incarcération, de nombreuses études ont établi au contraire que les Britanniques soutiennent très largement des peines alternatives à la détention. En 1982, au moment où le gouvernement Thatcher prétendait qu’il y avait un désir public très fort de voir adoptées des politiques strictes en matière pénale, une étude effectuée conjointement par le Prison Reform Trust et The Observer a établi que la plupart des gens accepteraient les peines alternatives à la détention pour la plupart des délinquants non-violents281. Alors que 47 % des personnes interrogées infligeraient une peine d’incarcération pour les auteurs de vol avec effraction, seules 35 % infligeraient une telle peine pour acte de vandalisme, et 8 % pour vol à l’étalage282. Les auteurs de l’étude concludent ainsi : « On prisons and penal policy, the majority of our people are more liberal in their attitudes than has hitherto been believed. While one cannot argue that there is a great body of public opinion clamouring for reform of our prisons, there is no reason to suppose that there would not be public acceptance of a rational programme of change283. »

Des études plus récentes ont établi des résultats analogues, constatant que les revendications pour des peines plus strictes sont davantage motivées par l’ignorance publique du fonctionnement réel du système pénal que par un véritable désir que le système soit encore plus punitif à l’égard des délinquants qu’il ne l’est à présent. Par exemple, un sondage effectué en août 2007 par ICM pour The Guardian a établi que 51 % des personnes interrogées veulent que le gouvernement britannique trouve des moyens autres que l’incarcération pour s’attaquer à la criminalité et punir les délinquants284. En 2004 Rethinking Crime and Punishment, un projet de recherche subventionné par la Esmée Fairbairn Foundation, a publié un rapport dont la conclusion se situe dans la même veine que le sondage de 1982 : « Although public attitudes are complex, sometimes contradictory and often highly dependent on the wording of poll questions, they are in general much less punitive than is often thought to be the case285. » Le rapport cite comme manifestations de ces attitudes moins punitives la préférence pour la prévention de la criminalité, le scepticisme à propos de l’incarcération comme solution au problème de la délinquance, et le soutien pour les peines alternatives à la détention et pour les politiques qui cherchent à traiter les causes sociales de la criminalité286. Afin de prouver ces affirmations, le rapport mentionne de nombreuses études empiriques, notamment celles qu’il a commandées à IPSOS/MORI. Par exemple, un sondage effectué en 2001 a établi que seules 8 % des personnes interrogées considèrent qu’envoyer plus de gens en prison serait le meilleur moyen de réduire la criminalité en Grande-Bretagne, et 53 % estiment que l’incarcération est criminogène. Se voyant proposer dix millions de livres sterling hypothétiques pour s’attaquer à la criminalité, l’échantillon a opté pour la prévention – la mise en place d’équipes spécialisées dans 30 grandes villes pour identifier et travailler avec les enfants les plus susceptibles de sombrer dans la criminalité [cf. fig. 9 ci-dessous]287.

Fig. 9 : Résultats d’un sondage IPSOS/MORI en 2001
   %
Introduce a national identity card (introduire une carte d’identité nationale) 29
Better parenting (une meilleure éducation des enfants) 55
More offenders in prison (envoyer plus de délinquants en prison) 8
More police on the beat (plus de policiers dans la rue) 53
More constructive activities for young people (davantage d’activités constructives pour les jeunes) 40
More effective programmes to change behaviour (davantage de programmes efficaces pour changer le comportement) 21
Capital punishment for murder (la peine capitale pour le meurtre) 20
Better discipline in schools (une meilleure discipline à l’école) 49
Other (autre) 1
None of these (aucune de ces mesures) 1
Don’t know (je ne sais pas) 1

Which two or three of the following do you think would do most to reduce crime in Britain? (Parmi les propositions suivantes, quelles seraient les deux ou trois plus efficaces pour réduire la criminalité en Grande-Bretagne ?)

To what extent do you agree or disagree with the statement, ‘Most people come out of prison worse than they go in’? (Dans quelle mesure êtes vous d’accord avec la proposition : ‘La plupart des gens sortent de prison pires qu’ils ne l’étaient lorsqu’ils y sont entrés ?’)

   %
Strongly agree (fortement d’accord) 16
Tend to agree (plutôt d’accord) 37
Neither agree not disagree (ni d’accord ni en désaccord) 25
Tend to disagree (plutôt en désaccord) 12
Strongly disagree (fortement en désaccord) 2
Don't know (je ne sais pas) 9

If you could spend £10 million on dealing with crime, would you…? (Si vous pouviez dépenser £10 million pour faire face à la criminalité, que feriez-vous ?)

   %
Hire 400 more police constables for a year (recruter 400 policiers de plus pendant un an) 27
Keep 400 adult offenders in prison for a year (garder 400 délinquants adultes en prison pendant un an) 2
Put 1600 persistent young offenders on intensive supervision and surveillance programmes in the community (placer 1600 jeunes délinquants dans des programmes d’« ISSP ») 8
Set up 60 CCTV schemes in public spaces (établir des programmes de vidéosurveillance dans les lieux publics) 10
Provide £50,000 incentives to encourage businesses to move into and provide jobs in 200 high crime areas (Offrir £50 000 d’aides afin d’encourager les entreprises à s’implanter et à créer des emplois dans des quartiers avec un taux de criminalité élevé) 9
Make 5,000 more offenders do community service (contraindre 5 000 délinquants supplémentaires à faire des travaux d’intérêt général) 5
Use the money to provide more compensation to victims (utiliser l’argent pour donner advantage d’indemnités aux victimes) 2
Set up teams in 30 large cities to identify and work with children most at risk of getting into crime (mettre en place des équipes spécialisées dans 30 grandes villes pour identifier et travailler avec les enfants les plus susceptibles de sombrer dans la criminalité) 31
Other (autre) 1
Don’t know (je ne sais pas) 0

Un sondage MORI de suivi en 2003 a confirmé ces résultats et a établi que les Britanniques sous-estiment l’augmentation de la population carcérale depuis 1993 (cf. fig.  10 ci-dessous)288 :

Fig. 10 : Résultats d’un sondage IPSOS/MORI en 2001
   %
50 % or less now than 10 years ago (50 % ou moins qu’il y a 10 ans) 1
40 % less (40 % de moins) 1
30% less (30 % de moins) 2
20% less (20 % de moins) 2
Up to 10% less (jusqu’à 10 % de moins) 2
About the same as 10 years ago (à peu près pareil qu’il y a dix ans) 5
Up to 10% more (jusqu’à 10 % de plus) 8
20% more (20 % de plus) 18
30% more (30 % de plus) 23
40% more (40 % de plus) 13
50% or more now than 10 years ago (50 % ou plus qu’il y a 10 ans) 15
Don’t know (je ne sais pas) 11

Looking at these options, by approximately how much, if anything, do y ou think the number of people in prisons in Britain has changed since 10 years ago? (Considérant les propositions suivantes, dans quelle proportion estimez-vous que la population carcérale a augmenté depuis 10 ans ?)

En réalité, la population carcérale a augmenté de presque 64 % en Angleterre et au pays de Galles289 et de 18 % en Écosse290 durant cette période. Étant donné que le sondage a publié des chiffres globaux pour toutes les nations composant la Grande-Bretagne, il est difficile de constater le véritable écart entre les estimations du public concernant la hausse des effectifs carcéraux et la réalité. On peut toutefois estimer que – dans l’hypothèse où la majeure partie de l’échantillon proviendrait d’Angleterre en raison de sa population huit fois plus importante –, pour la plupart, les personnes interrogées ont largement sous-estimé l’étendue de la hausse.

C’est ce type d’ignorance à l’égard du système pénal que de nombreux chercheurs ont tenu au moins en partie responsable des sentiments punitifs dans ce domaine. Lorsque les Britanniques se voient présenter des détails plus précis sur le système ou sur les cas particuliers des délinquants individuels, ils ont tendance à être moins punitifs. Une étude menée par Mike Hough et Julian V. Roberts a établi que les Britanniques ont tendance à critiquer la justice des mineurs en grande partie parce qu’ils considèrent que les peines infligées sont trop légères, mais lorsqu’on leur donne des détails personnels sur le délinquant et son délit, ils ont plus tendance à soutenir des peines alternatives à la détention, telles que la justice réparatrice ou des programmes d’amendement291. Il semble exister une corrélation étroite entre l’ignorance à propos du système de justice pénale et les sentiments punitifs. Une étude de 1998, analysant les données de la BCS de 1996, a établi que les personnes qui considèrent que la prison n’est pas suffisamment stricte ont davantage tendance à penser que les peines sont trop légères292. En effet, les Britanniques dénoncent souvent les conditions de vie trop confortables au sein des prisons sans avoir une expérience directe des établissements carcéraux293. Par conséquent, la valeur punitive de l’incarcération est mise en doute294, ce qui peut expliquer le fait qu’en 1996 moins de la moitié de l’échantillon du BCS était d’accord avec la déclaration suivante : « Being put in prison punishes offenders295. » Plus récemment, seules 15 % des personnes interrogées en Écosse étaient en désaccord avec l’affirmation que la vie d’un détenu est trop facile296. Hough et Roberts recommandent donc que le gouvernement britannique actuel favorise une meilleure éducation légale du public et prenne acte de l’ambivalence et les contradictions de l’opinion publique.

Compte tenu de ce que nous avons énoncé dans les paragraphes précédents, « l’opinion publique » est loin d’être homogène. Elle peut être à la fois punitive et libérale et elle varie selon l’âge, les régions et le milieu social. En général, les personnes plus âgées se montrent davantage punitives : par exemple, le sondage pour The Observer effectué en 2003, auquel nous avons déjà fait référence297, a établi que le soutien à la peine de mort est plus fort chez les personnes âgées de plus de 65 ans (86 %) alors qu’il est au plus bas chez les personnes âgées de 25 à 34 ans (55 %)298. En ce qui concerne la peine de mort, il existe également des variations régionales, 94 % des personnes résidant dans les West Midlands étant en faveur, contre seulement 34 % des londoniens299. En outre, les personnes issues de milieux sociaux aisés sont généralement moins punitives que leurs compatriotes plus pauvres et moins éduqués. Le sondage pour The Observer a établi que 74 % des personnes issues des classes sociales les plus défavorisées – « D » et « E » – estiment que la prison doit avoir le châtiment pour but principal, en comparaison avec 44 % de celles issues des classes sociales les plus aisées – « A » et « B »300. D’autres sondages ont établi que les personnes ayant un capital scolaire important ont tendance à être moins punitives que celles qui ont échoué dans leurs études supérieures ou n’en n’ont pas entreprises301.

Compte tenu de la difficulté de parler de l’existence d’une opinion publique homogène, il faut alors se demander pourquoi l’administration néo-travailliste y fait aussi souvent allusion, surtout lorsqu’il tente de justifier l’imposition de lois plus strictes en matière pénale. Paradoxalement, tout en reconnaissant l’hétérogénéité de l’opinion publique, certains détracteurs de la politique pénale de ces dernières années ont tenté d’expliquer le tournant punitif en recourant au concept de populisme. La partie suivante s’attache à déterminer la validité de telles affirmations en commençant par une tentative de définition du terme « populisme ».

Notes
242.

Ces inquiétudes sont bien réelles : 37 % des personnes interviewées dans le cadre du dernier British Crime Survey ont constaté que la peur de la criminalité a un impact négatif sur leur vie quotidienne. Cf. Jorgen Lovbakke, « Public Preceptions », dans Sian Nichols, Chris Kershaw et Alison Walker (éds.), Crime in England and Wales 2006/07, op. cit., p. 101.

243.

« […] un message radical ; c’est un message populiste, anti-élitiste et anti-establishment », Tony Blair, lors d’un entretien avec John Humphreys, « On the Record » [en ligne], BBC, 17 janvier 1993. Disponible sur : http://www.bbc.co.uk/otr/intext92-93/Blair17.1.93.html [page consultée le 27 septembre 2007].

244.

Ian Loader, op. cit., p. 582.

245.

John Lea et Jock Young, op. cit.

246.

Voir supra, pp. 97-98.

247.

« La loi et l’ordre, c’est une question travailliste. Nous sommes tous touchés par la criminalité, les plus pauvres et vulnérables plus que les autres. » In Tony Blair, New Britain : My vision of a young country, Londres, Fourth Estate Ltd., 1996, p. 68.

248.

Voir supra, pp. 201-202.

249.

« Je crois que les cultures britanniques et américaines sont caractérisées par un courant moraliste improbateur et punitif contre la déviance et les déviants bien plus profond […] que dans d’autres pays. » In Michael Tonry, Punishment and Politics : Evidence and Emulation in the Making of English Crime Control Policy,Cullompton, Willan Publishing, 2004, p. 64.

250.

Il s’agit d’une enquête internationale qui relève, au moyen des entretiens avec le public, le nombre de personnes victimes de la criminalité dans de nombreux pays. Il est semblable à la British Crime Survey au Royaume-Uni Pour plus d’informations, voir : http://ruljis.leidenuniv.nl/ group/jfcr/www/icvs/ [page consultée le 27 septembre 2007].

251.

Michael Tonry, Punishment and Politics, op. cit., p. 64.

252.

Ibid.

253.

Ibid., p. 121.

254.

Kenneth Thompson, Moral Panics, Londres, Routledge, 1998, pp. 27-28.

255.

The Guardian, « The Bulger case : chronology », The Guardian [en ligne], 16 décembre 1999. Disponible sur : http://www.guardian.co.uk/bulger/article/0,,195274,00.html [page consultée le 27 septembre 2007].

256.

Alison Hannah, « Exercising rights as the way to social inclusion », dans John Grieve et Roger Howard (éds.), op. cit., pp. 59-60.

257.

Conservative Party, « Conservatives would abolish the Human Rights Act », site internet du Parti conservateur, le 21 août 2007. Disponible sur : http://www.conservatives.com/tile.do? def=news.story.page&obj_id=138115 [page consultée le 27 septembre 2007].

258.

Monika Platek, « We Never Promised them a Rose Garden », dans Roger Matthews et Peter Francis (éds.), Prisons 2000 : An International Perspective on the Current State and Future of Imprisonment, op. cit., p. 58.

259.

Katherine Beckett et Bruce Western, « Governing Social Marginality : Welfare, incarceration, and the transformation of state policy », Punishment and Society,2001, vol. 3, n° 1, pp. 43-59.

260.

David Downes et Kirstine Hansen, Welfare and Punishment : The relationship between welfare spending and imprisonment [en ligne], Crime and Society Foundation, Briefing n° 2, novembre 2006. Disponible sur : http://www.crimeandsociety.org.uk/opus222/Welfare_and_Punishment_ webversion.pdf [page consultée le 27 septembre 2007].

261.

Michael Cavadino et James Dignan, Penal Systems : A Comparative Approach, op. cit.

262.

HM Treasury, Public Expenditure Statistical Analyses 2006 [en ligne], Cm 6811, mai 2006, p. 45. Disponible sur : http://www.hm-treasury.gov.uk/media/C/E/cm6811_comp.pdf [page consultée le 27 septembre 2007].

263.

Les initiatives citées étaient « plus de policiers dans la rue », « l’imposition de peines plus strictes », « plus de discipline à l’école/à la maison », « plus d’activités organisées pour les jeunes », « l’éradication de la pauvreté », « les initiatives communautaires, telles que la surveillance par les gens du quartier ».

264.

ICM/The Observer, Crime Uncovered [en ligne], février 2003. Disponible sur : http://www.icmresearch.co.uk/pdfs/2003_april_observer_crime_uncovered.pdf [page consultée le 2 octobre 2007].

265.

Ibid.

266.

Voir supra, p. 14.

267.

Tony Blair, discours prononcé à l’université de Bristol le 23 juin 2006, op. cit. Voir supra, p. 197.

268.

ICM/The Observer, Crime Uncovered, op. cit.

269.

Voir supra, p. 155.

270.

ICM/News of the World, Sarah’s Law Poll [en ligne], août 2002. Disponible sur : http://www.icmresearch.co.uk/pdfs/2002_august_notw_sarah's_law_poll.pdf [page consultée le 2 octobre 2007].

271.

Joanna Mattinson et Catriona Mirrlees-Black, Attitudes to Crime and Criminal Justice : Findings from the 1998 British Crime Survey [en ligne], Home Office Research, Development and Statistics Directorate, Research Findings n° 111, p. 2. Disponible sur : http://www.homeoffice. gov.uk/rds/pdfs/r111.pdf [page consultée le 3 octobre 2007].

272.

Mike Hough et Julian V. Roberts, Youth Crime and Youth Justice : Public Opinion in England and Wales [en ligne], Institute for Criminal Policy Research/The Nuffield Foundation, 2003, p. 2. Disponible sur : http://www.kcl.ac.uk/depsta/law/research/icpr/publications/Youth_Crime_and_ Justice_summary.pdf [page consultée le 3 octobre 2007].

273.

Fin 2005, plus de 40 % de tous les ASBO infligées en Angleterre et au pays de Galles impliquaient des jeunes âgés de 10 à 17 ans. Source : Home Office : http://www.crimereduction.gov.uk/ asbos/asbos2(cjs)dec05.xls [page consultée le 3 octobre 2007].

274.

MORI, What place for ASBOs in an era of respect ? [en ligne], 9 juin 2005, p. 32. Disponible sur : http://www.ipsos-mori.com/polls/2005/pdf/asbo.pdf [page consultée le 3 octobre 2007].

275.

ICM/The Observer, Crime Uncovered, op. cit.

276.

Angela Spriggs, Javier Argomaniz, Martin Gill et Jane Bryan, Public Attitudes towards CCTV: Results from the Pre-intervention Public Attitudes Survey carried out in areas implementing CCTV [en ligne], Home Office Online Report 10/05, 2005. Disponible sur : http://www.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs05/rdsolr1005.pdf [page consultée le 28 juin 2007].

277.

ICM/The Observer, Crime Uncovered, op. cit.

278.

ICM/The Daily Telegraph, Crime Poll [en ligne], novembre 2003. Disponible sur : http://www.icmresearch.co.uk/reviews/2003/sunday-telegrapg-crime-nov-2003.htm [page consultée le 3 octobre 2007].

279.

Gerry Johnstone, « Penal Policy Making : Elitist, populist or participatory ? », Punishment and Society,2001, vol. 2, n° 2, p. 164.

280.

Andrew Ashworth et Michael Hough, « Sentencing and the Climate of Opinion », Criminal Law Review, 1996, p. 780.

281.

Stephen Shaw, The People’s Justice : A major poll of public attitudes on crime and punishment, Londres, Prison Reform Trust, 1982.

282.

Ibid., p. 18.

283.

« Concernant les prisons et la politique pénale, la plupart des personnes sont plus libérales dans leurs attitudes qu’on ne le croyait jusqu’à présent. Comme nul ne peut prétendre qu’une part importante de l’opinion publique réclame une réforme de nos prisons, il n’y a aucune raison de supposer qu’elle rejetterait un programme de changement rationnel. » Ibid., p. 26.

284.

Julian Glover, « More prisons are not the answer to punishing criminals, says poll », The Guardian [en ligne], 28 août 2007. Disponible sur : http://www.guardian.co.uk/prisons/story/ 0,,2157364,00.html [page consultée le 8 octobre 2007].

285.

« Bien que l’état d’esprit du public soit complexe, parfois contradictoire et souvent très dépendant de la façon dont le sondage est formulé, il est généralement bien moins punitif qu’on le pense. » In Rethinking Crime and Punishment, The Report [en ligne], Esmée Fairbairn Foundation, décembre 2004, p. 23. Disponible sur : http://www.efct.org.uk/docs/RCPTheReport.pdf [page consultée le 3 octobre 2007].

286.

Ibid., pp. 23-24.

287.

IPSOS MORI, Parenting Not Prison The Answer To Crime [en ligne], 11 décembre 2001. Disponible sur : http://www.ipsos-mori.com/polls/2001/eff_top.shtml [page consultée le 3 octobre 2007].

288.

IPSOS MORI, Attitudes to Crime and Prisons 2003 [en ligne], novembre 2003. Disponible sur : http://www.ipsos-mori.com/polls/2003/esmeefairbairn.shtml [page consultée le 3 octobre].

289.

Chiffre calculé à partir des statistiques publiées par et service pénitenciaire pour l’Angleterre et le pays de Galles : http://www.hmprisonservice.gov.uk/resourcecentre/publicationsdocuments /index.asp?cat=85 [page consultée le 3 septembre 2007]. La population carcérale de l’Angleterre et du pays de Galles a augmenté de 44 552 personnes en 1993 à 73 000 en 2003.

290.

Chiffre calculé à partir des statistiques publiées par le Scottish Executive, Prison Population and Receptions Statistics for Scotland, 2003 : Statistical Bulletin [en ligne], CrJ/2004/6, août 2004. Disponible sur : http://www.scotland.gov.uk/Publications/2004/08/19836/41885 [page consultée le 3 octobre]. La population carcérale de l’Écosse a augmenté d’environ 5 500 personnes en 1993 à 6 500 en 2003.

291.

Mike Hough et Julian V. Roberts, Youth Crime and Youth Justice : Public Opinion in England and Wales, op. cit.

292.

Mike Hough et Julian V. Roberts, Attitudes to Punishment : Findings from the British Crime Survey [en ligne], Home Office Research Study 179, Home Office, 1998. Disponible sur : http://www.homeoffice.gov.uk/rds/pdfs/hors179.pdf [page consultée le 8 octobre 2007].

293.

Julian V. Roberts et Mike Hough, « The State of the Prisons : Exploring Public Knowledge and Opinion » [en ligne], The Howard Journal,juillet 2005, vol. 44, n° 3, p. 288-289.

294.

Ibid., p. 292.

295.

« Être envoyé en prison constitue un châtiment. » Cité par Mike Hough et Julian V. Roberts, Attitudes to Punishment : Findings from the British Crime Survey, op. cit.

296.

Justice 1 Committee, Public Attitudes Towards Sentencing and Alternatives to Imprisonment, Scottish Executive, 2002. Rapport cité par Mike Hough et Julian V. Roberts, op. cit., p. 291.

297.

Voir supra, p. 246.

298.

The Observer, « The uncovered poll » [en ligne], 27 avril 2003. Disponible sur : http://observer.guardian.co.uk/crime/_story/0,13260,942118,00.html [page consultée le 8 octobre 2007].

299.

Ibid.

300.

Ibid.

301.

Alison Park et Mike Hough, Public Attitudes towards Crime and Punishment : note for Rethinking Crime and Punishment [en ligne], Rethinking Crime and Punishment, septembre 2002. Disponible sur http://www.rethinking.org.uk/latest/pdf/briefing2.pdf [page consultée le 5 avril 2005].