L’administration néo-travailliste, tout commes ses prédécesseurs, se dit influencée par le bon sens. Cependant, on vient de voir que ce bon sens ne correspond pas forcément à celui du peuple. Certes, comme l’affirme Serge Halimi, un langage anti-intellectuel dans le domaine de la loi et de l’ordre facilite l’indentification du gouvernement aux valeurs populaires342. Mais ceci est une stratégie à court terme, destinée à l’échec une fois que le peuple se rend compte que les politiques dites populaires ne répondent pas toujours à ses attentes. On verra que la plupart des politiques adoptées par l’administration néo-travailliste dans le domaine pénal ont été inspirées non pas directement par le peuple mais par une nouvelle élite intellectuelle, dont les idées ont été propagées avec beaucoup de succès par les médias et les acteurs du système pénal. Un des buts du quatrième chapitre sera de démontrer comment les politiques pénales punitives servent les intérêts des élites, mais pour le moment nous nous contenterons d’étudier les sources d’inspiration des politiques « populistes » du New Labour. Force est de constater qu’elles trouvent leur origine dans le bon sens des élites plutôt que dans celui du « peuple » qui se révèle souvent moins punitif que le gouvernement actuel ne le prétend.
En effet, en dépit de l’existence des focus group s et de la mise à disposition du public d’informations supplémentaires sur le système pénal, le New Labour est généralement peu enthousiaste à l’idée d’entamer un véritable échange citoyen sur la question. Jusqu’à présent, le grand public n’a été impliqué dans le système pénal que pour participer à la lutte contre la criminalité en devenant, par exemple, des community support officers ou en signalant des problèmes de comportements antisociaux et de criminalité à la police. Il ne joue toutefois pas un rôle significatif dans le processus décisionnel. Nick Cohen, journaliste très critique envers le gouvernement Blair, conclut ainsi que « the populist élite despised the People »343. Cette affirmation est peut-être exagérée mais il serait néanmoins difficile de dire que cette nouvelle élite travaille dans les meilleurs intérêts du peuple : comme le note Rob Allen, il faut se méfier de la « tyrannie de la simplicité » – c’est en présentant les problèmes de manière simpliste que l’on masque leur complexité et que l’on exclut le peuple d’un véritable dialogue sur ces questions344. Nous étudierons dans un premier temps l’influence de la criminologie conservatrice sur la construction d’un nouveau bon sens pénal simpliste. Deuxièmement, nous verrons comment ce bon sens a été développé et répandu par des think tanks et ensuite mis en place par les élites traditionnelles travaillant pour la presse et la magistrature.
Serge Halimi, Le grand bond en arrière : Comment l’ordre libéral s’est imposé au monde, Paris, Fayard, 2004, p. 131.
« […] l’élite populiste méprisait le peuple », in Nick Cohen, Pretty Straight Guys, Londres, Faber et Faber, 2003, p. 37.
Rob Allen, « Rethinking Crime and Punishment », dans Charles Murray, Simple Justice, Londres, CIVITAS, 2005, p. 86.