B. La « culture du contrôle » : La création d’une politique pénale néolibérale ?

Selon David Garland, la culture du contrôle dans le domaine pénal s’articule autour de trois éléments essentiels : le recul de la doctrine de l’État providence dans le domaine pénal, qui se traduit notamment par la redéfinition de l’idéal d’amendement ; le développement d’autres théories criminologiques qui s’opposent à la criminologie de l’État providence ; et le glissement d’un style de raisonnement politique déterminé par des considérations sociales à un nouveau style où priment les considérations économiques895. Dans la mesure où ces tendances ont été influencées par une volonté de mettre davantage l’accent sur l’individu que sur l’État dans le traitement de la criminalité et de favoriser une approche plus économique que sociale de ce problème, nous tenterons d’établir qu’elles vont de pair avec les politiques néolibérales adoptées par le New Labour.

Garland, par contre, ne cite pas le néolibéralisme dans son analyse de la politique pénale contemporaine. Pour lui, ces tendances s’expliquent par le contexte de la modernité tardive, caractérisée par un certain pessimisme concernant la capacité de l’État à s’attaquer aux problèmes sociaux, dont la criminalité est l’une des manifestations896. Mais cette volonté de limiter le rôle de l’État est, comme nous l’avons remarqué, une des caractéristiques principales des économies politiques néolibérales. En effet, il est préférable de situer les tendances que Garland décrit dans le contexte du néolibéralisme, qui est un phénomène plus tangible que la modernité tardive. Ceci nous permet également de nous concentrer sur le rôle précis que le New Labour a joué dans la création d’une société punitive. Mais en tout cas, le problème pour l’État est identique : se forger un nouveau rôle qui justifie son existence dès qu’il se retire du domaine social. Pourtant, comme nous l’avons déjà fait remarquer, lorsque l’État se retire du domaine social il est ensuite obligé d’y revenir en assumant un rôle plus autoritaire afin de gérer les dysfonctionnements qui en résulte.

Dans le domaine pénal, la même contradiction est patente : l’État adopte à la fois ce que Garland appelle une stratégie d’adaptation ou de « responsabilisation » et une « stratégie de souveraineté » (sovereign state strategy). Cette première stratégie implique une responsabilisation de la collectivité et des institutions civiles concernant le problème de la criminalité. Nous verrons ensuite que dans ce premier cas l’État se limite à gérer le risque de la criminalité, ne cherchant plus à s’attaquer à ses causes ni à réformer le délinquant. Cependant, loin de réduire son pouvoir, il s’agit d’une manière d’administrer à distance897. D’ailleurs, étant donné qu’il est difficile de faire agir les communautés locales et les individus économiquement affaiblis et socialement exclus, le gouvernement est souvent obligé de revenir à des stratégies punitives, ce qui lui évite de sacrifier ses autres objectifs politiques898. Nous analyserons ensuite comment cette théorie peut être appliquée au New Labour. D’abord nous verrons comment la politique pénale permet à l’administration néo-travailliste de justifier ses politiques néolibérales et, deuxièmement, nous analyserons comment le néolibéralisme a influencé les politiques pénales de façon plus directe, notamment par le poids de plus en plus important que le New Labour accorde aux groupes d’intérêts économiques.

Notes
895.

Ibid., pp. 175-190.

896.

David Garland, « The Limits of the Sovereign State : Strategies of Crime Control in Contemporary Society », The British Journal of Criminology, 1996, vol. 36, n° 4, pp. 445-467.

897.

David Garland, « Les contradictions de la ‘société punitive’ : le cas britannique », Actes de la Recherche en Sciences Sociales (dir. Pierre Bourdieu), 1998,n° 124, p. 59.

898.

Ibid., pp. 56-57.