ii) Le « complexe carcéro-industriel »

Pour décrire la convergence de ces nouvelles influences dans le processus de politique pénale les chercheurs ont mobilisé l’idée d’un « corrections-commercial complex » ou bien d’un « prison-industrial complex » (complexe carcéro-industriel). Le premier terme a été forgé par les chercheurs américains Robert Lilly et Paul Knepper, qui ont comparé la formulation de la politique pénale américaine au « military-industrial complex » (complexe militaro-industriel) qui informe le processus décisionnel dans le domaine de la défense985. Ce dernier terme a été utilisé pour la première fois par le Président Eisenhower, en 1961, lorsqu’il a incité le gouvernement américain à se méfier de l’influence injustifiée des intérêts représentant l’industrie de la défense986. En appliquant le terme au processus décisionnel en politique pénale, Lilly et Knepper cherchent à attirer l’attention sur l’existence d’un « sous-gouvernement » représenté par des intérêts privés (ex. l’industrie du bâtiment, les fournisseurs de services pénitentiaires…), des organisations gouvernementales (ex. le bureau de l’assistance juridique américaine) et des organisations professionnelles (ex. l’association juridique américaine) qui, en raison des relations proches qu’ils entretiennent avec le gouvernement lui-même, parviennent à exercer une influence considérable sur le développement de la politique pénale987.

En 1998, Eric Schlosser, célèbre journaliste et auteur américain, a confirmé ce constat, dénonçant l’existence du « prison-industrial complex » aux États-Unis, qu’il défini comme « a set of bureaucratic, political, and economic interests that encourage increased spending on imprisonment, regardless of the actual need »988. En effet, paradoxalement, l’influence croissante des intérêts privés sur le processus décisionnel en matière pénale a coïncidé avec une hausse considérable des dépenses publiques en ce domaine. Schlosser estime que, depuis 1980, les dépenses publiques concernant l’administration du châtiment ont été multipliées par cinq989. Il affirme : « What was once a niche business for a handful of companies has become a multibillion-dollar industry990. » On s’attachera maintenant à déterminer si ce constat peut être appliqué au Royaume-Uni contemporain, puis à spécifier dans quelle mesure on peut affirmer qu’il y existe un complexe carcéro-industriel.

Notes
985.

Robert Lilly et Paul Knepper, « The Corrections-Commercial Complex », Crime and Delinquency, 1993, vol. 42, n° 1 : 150-166.

986.

Ibid., p. 151.

987.

Ibid., p. 153-156.

988.

« […] une coalition d’intérêts bureaucratiques, politiques et économiques qui poussent davantage aux dépenses d’incarcération, quelle que soit la réalité du besoin. » In Eric Schlosser, « The Prison-Industrial Complex », Atlantic Monthly [en ligne], décembre 1998. Disponible sur : http://www.theatlantic.com/doc/199812/prisons [page consultée le 19 mars 2008].

989.

Ibid.

990.

« Ce qui était auparavant le marché confidentiel d’une poignée d’entreprises est devenu une industrie de plusieurs milliards de dollars. » Ibid.