Conclusion générale

En dépit des tentatives du New Labour de s’attaquer simultanément à la criminalité et aux causes de la criminalité (« tough on crime, tough on the causes of crime »), l’accent a été mis davantage sur la première partie de ce distique, qui s’est traduit en pratique par l’adoption de nombreuses mesures très strictes à l’égard du délinquant. Cependant, c’est en adoptant des mesures pour s’attaquer aux causes de la criminalité que l’administration néo-travailliste a élargi la portée du droit pénal. Même les peines alternatives à l’incarcération, telles la Intensive Supervision and Surveillance Order et la Single Community Order ont un potentiel punitif en raison des sanctions sévères, notamment l’incarcération, qui peuvent être imposées à ceux qui ne respectent pas les conditions de ces peines. Il s’agit ici du netwidening, l’élargissement du filet pénal pour « happer » toujours plus de personnes. Nous avons démontré que cette tendance est grandement facilitée par le brouillage des frontières traditionnelles qui existent entre le droit civil et le droit pénal. Désormais, grâce aux mesures comme les ordonnances contre les comportements antisociaux, le droit pénal peut être invoqué pour s’attaquer aux problèmes qui relèvent traditionnellement de la politique sociale. Ainsi, sous le New Labour, des problèmes sociaux comme la mendicité, la prostitution ou encore la consommation de drogue ont été criminalisés au moyen du droit civil.

En effet, il y a eu un chevauchement considérable entre les politiques sociales et pénales. De nombreux problèmes sociaux ont ainsi été redéfinis comme des problèmes de criminalité : le chômage, la consommation de drogue, l’échec scolaire et l’exclusion sociale font l’objet de mesures destinées à s’attaquer aux causes de la criminalité1113. Un discours de responsabilité individuelle réunit ces deux politiques et ceux qui refusent d’accepter leur responsabilité se voient imposer des sanctions strictes : par exemple, on impose aux délinquants qui ne respectent pas les conditions de leurs peines alternatives à l’incarcération des peines d’emprisonnement et les chômeurs se voient retirer leurs allocations sociales. Même les plus jeunes, désormais les enfants âgés de dix ans ou plus, sont responsabilisés. Par conséquent, en dépit de la mise en place de certaines politiques plus « progressistes », telle l’intégration de la Convention européenne des Droits de l’Homme dans la législation britannique aux termes de la loi sur les droits de l’homme de 1998, nous avons montré que la tonalité globale de la politique pénale du New Labour est réellement punitive, ainsi que de nombreux commentateurs l’ont suggéré.

Cette punitivité n’est pourtant pas tout à fait nouvelle ; le chevauchement des politiques sociales et pénales non plus. En effet, au XIXe siècle, les différents gouvernements avaient déjà recours à l’incarcération afin de gérer les problèmes sociaux. Par exemple, de nombreuses personnes ont été incarcérées pour vagabondage1114. Aux termes de la loi sur les pauvres de 1834 (The Poor Law Amendment Act), on enfermait également les pauvres « non-méritants » dans des institutions spéciales (les workhouses)1115. David Garland explique qu’au début du XXe siècle, la prison est devenue une « welfare sanction » – un système par lequel les institutions pénales étayent et élargissent celles du domaine social1116. Il note que la politique pénale a été utilisée pour s’attaquer aux problèmes sociaux. Or, nous avons démontré que ces peines ont été peu utilisées en pratique et que la politique pénale n’a pas eu durant cette période les effets punitifs que Garland suggère – au contraire, la population carcérale a baissé de façon considérable du début du XXe siècle jusqu’aux années 1940. Aujourd’hui, la thèse de Garland a toutefois plus de pertinence : la politique pénale est très souvent invoquée pour s’attaquer aux problèmes sociaux et le contrôle du délinquant et du délinquant potentiel est renforcé (facilité par le développement des nouvelles technologies de surveillance). En effet, nous avons tenté de démontrer comment le New Labour s’appuie sur la politique pénale afin de gérer les conséquences sociales délétères des politiques économiques qu’il met en œuvre.

La politique pénale néo-travailliste ne représente pourtant pas une simple continuation des politiques du passé. Nous avons noté une divergence considérable entre la politique pénale de la période d’après-guerre, caractérisée par une approche plus « sociale » du problème de la criminalité qui, même si elle n’a jamais nié la responsabilité individuelle, a mis l’accent sur ses causes environnementales. En dépit de la rhétorique punitive du gouvernement Thatcher, nous avons démontré que la politique pénale n’est pas devenue plus punitive sous son administration. C’est néanmoins dans les années 1980 que le terrain a été préparé pour un changement de direction en politique pénale. D’abord, le consensus social-démocrate d’après-guerre, dont dépendait l’existence de la politique pénale de la même période, a été dénigré. En outre les gouvernements conservateurs de cette décennie ont favorisé le développement d’une culture néolibérale qui se caractérise par l’exclusion sociale. Ils ont toutefois eu du mal à le faire accepter : les divisions sociales ont été grandement critiquées, ce qui menaçait la légitimité des politiques néolibérales.

Afin de faire face à cette situation, le New Labour a promis de mettre en place des politiques capables de remédier à ces problèmes sociaux. C’est ainsi qu’il représente une rupture avec les précédentes administrations conservatrices qui tentaient de pratiquer le laissez-faire sur le plan social – dans la mesure du possible. Cependant, nous avons fait remarquer que ces politiques ont largement échoué en raison de l’accent mis sur la responsabilité individuelle et le fait que l’administration néo-travailliste ait largement adopté une politique économique proche de celle de ses prédécesseurs. Par conséquent, la Grande-Bretagne reste un pays très inégalitaire. Mais, à la différence du passé récent, il est devenu davantage punitif, tendance qui a paradoxalement été exacerbée par la mise en place de politiques sociales plus interventionnistes.

Nous n’avons pourtant pas adopté une approche fonctionnaliste. Nous ne suggérons pas que cette situation est le seul dessein du New Labour. Comme nous l’avons fait remarquer, le Parti travailliste n’a pas élaboré sa politique pénale en l’absence d’influences extérieures. D’abord, il a été influencé par l’opinion publique qu’il considère comme étant très punitive. Nous avons démontré que l’opinion est en effet moins propice à la punitivité que l’on pourrait le croire, mais cela n’empêche pas que les néo-travaillistes pensent répondre à ses souhaits en formulant une politique punitive. Deuxièmement, ils ont sans doute été influencés par la presse qui s’est montrée impossible à dompter. La magistrature a également exercé une influence significative. Bien que son indépendance ait été toujours plus limitée par l’intervention du pouvoir exécutif – avec notamment la mise en place des peines minimales –, les juges possèdent encore une latitude considérable concernant le sort des délinquants. Même si certains juges haut placés ont critiqué la direction punitive de la politique pénale, la grande majorité d’entre eux semble soutenir une approche punitive. Dernièrement, l’administration néo-travailliste a été influencée par la criminologie conservatrice et les politiques pénales américaines, dont les idées ont été transposées en Grande-Bretagne par de nouveaux think tanks conservateurs et néo-travaillistes. En revanche, les anciens experts pénaux, souvent des fonctionnaires et des criminologues, qui avaient l’habitude d’élaborer la politique pénale dans les coulisses du pouvoir sans pression externe, ont perdu leur influence. Désireux de prouver ses compétences économiques et de gagner le soutien du monde des affaires, le New Labour a accordé davantage voix au chapitre aux nouveaux experts qui représentent souvent des intérêts privés.

Or, le New Labour n’est pas seulement réactif. Étant donné qu’il existe souvent une grande différence entre la théorie et la pratique des idéologies politiques, nul ne peut ignorer le rôle que le New Labour a joué lui-même dans la création du contexte politico-économique qui a largement déterminé la direction de la politique pénale britannique au cours de ces dernières années. En effet, nous avons vu qu’il a adapté la théorie néolibérale à ses propres besoins, devenant plus interventionniste sur le plan social afin de se présenter comme adoptant une troisième voie entre les politiques de gauche et de droite. C’est à travers le discours des droits et des devoirs que le New Labour a pu réconcilier ces idées avec son héritage social-démocrate. En même temps, il a accepté l’orthodoxie néolibérale concernant l’incapacité de l’État à manipuler l’économie afin de promouvoir l’inclusion sociale et de s’attaquer aux causes de la criminalité.

Nous avons tenté de démontrer que ce contexte politico-économique particulier explique largement le tournant punitif de la politique pénale britannique depuis le milieu des années 1990. Cependant, étant donné les divergences politiques à travers le Royaume, nous n’avons pas essayé de déterminer comment elle a pu influencer les politiques pénales spécifiques de l’Écosse ou de l’Irlande du Nord. Pourtant, ceci pourrait représenter une piste de recherche future interessante. Très brièvement nous allons noter quelques caractéristiques saillantes de la politique pénale écossaise et nord-irlandaise afin de déceler les divergences, mais aussi les similitudes, avec la politique anglaise et galloise. Ce bref détour nous permettra de mieux cerner les spécificités anglaises de cette politique et donc de mieux délimiter ici l’objet de notre étude.

Il a souvent été suggéré qu’il existe une culture pénale écossaise distincte1117. Traditionnellement, les commentateurs associent l’Écosse à une approche très sociale de la justice pénale, incarnée par son système d’audience pour enfants et le rôle important accordé aux travailleurs sociaux1118. Le système des Children’s Hearing 1119 a été mis en place en 1971 par la loi sur le travail social de 1968 (The Social Work [Scotland] Act) suivant les recommandations du comité Kilbrandon, nommé en 1961 pour réfléchir à la réponse officielle aux délinquants juvéniles et aux jeunes ayant besoin d’une protection sociale1120. Le but principal du système était d’adopter une seule et même approche sociale et « protectionnelle » au problème des jeunes délinquants et des jeunes en difficulté1121. Le panel dispose d’une seule mesure – la surveillance de l’enfant par un travailleur social, soit chez lui, soit dans un établissement social, pour sa propre protection – lorsqu’il juge que les conditions familiales sont à l’origine du problème1122. Seuls les enfants ayant commis certains délits, notamment le viol, l’incendie criminel, l’homicide…, peuvent être poursuivis en justice devant un tribunal1123. L’âge de responsabilité pénale reste néanmoins très bas – huit ans1124 – et le système de Children’s Hearings ne concerne que les jeunes âgés de moins de 16 ans. Ceux qui ont 16 ans ou plus sont jugés par des tribunaux pour adultes. Il faut également noter que les institutions auxquelles on envoie les jeunes qui échappent au système de Children’s Hearing s – le Detention Centre et la Young Offender Institutionse distinguent peu des prisons pour adultes1125 . Néanmoins, l’approche du système peut être qualifiée de « sociale » dans l’ensemble.

Cette approche est également évidente dans le système de probation. Aux termes de la même loi qui a créé les Children’s Hearings, le service de probation (établi en 1931 en Écosse) a été dissolu et les services sociaux ont été chargés de s’occuper des délinquants condamnés à une peine de sursis avec mise à l’épreuve1126. Dans les prisons aussi, certains commentateurs ont détecté une approche sociale. Lesley McAra, par exemple, note que le document officiel, Making a Difference, publié par le Scottish Prison Service en 20021127, favorise l’assistance du délinquant et sa réinsertion dans la société dès sa remise en liberté1128.

Selon McAra, le caractère spécifique du système pénal écossais est expliqué par un processus décisionnel qui favorise encore des réseaux professionnels étroits, qui restent largement à l’abri des influences politiques1129. Alors que la crise de légitimité aurait engendré des politiques pénales plus punitives en Angleterre et au pays de Galles, McAra prétend que c’est une crise de légitimitéconstitutionnelle qui a eu l’effet inverse en Écosse (en raison de la disjonction entre la politique populaire en Écosse et la politique conservatrice des gouvernements Thatcher et Major), permettant au ministère des Affaires écossaises de poursuivre des politiques distinctes sur les plans pénaux et sociaux1130. Étant donné que les administrations conservatrices manquaient de soutien populaire, elles étaient d’autant plus dépendantes du soutien des décideurs politiques1131. Cavadino et Dignan prétendent que la dévolution des pouvoirs en Écosse et le rétablissement du Parlement écossais suite à la loi sur l’Écosse de 1998 (The Scotland Act) risque de rendre les élus politiques plus susceptibles aux pressions de leur électorat et d’exposer la politique pénale aux demandes punitives1132. En effet, selon l’International Crime Victimisation Survey citée plus haut les Écossais sont encore plus punitifs que les Anglais en matière pénale1133.

Certaines tendances récentes semblent bien confirmer la thèse de Cavadino et Dignan et marquer une rupture avec une approche plus sociale de la politique pénale. Par exemple, en 1995 la loi sur les enfants (The Children [Scotland] Act) prévoyait que dans certains cas les considérations de protection publique puissent l’emporter sur celles qui favorisent le bien-être de l’enfant1134. Or, cette réforme antidate la dévolution des pouvoirs en Écosse. D’autres, mises en place depuis, risquent de porter atteinte à l’approche sociale de façon plus franche, en particulier en ce qui concerne les jeunes. En 2004 la loi sur les comportements antisociaux (The Antisocial Behaviour [Scotland] Act) a favorisé la convergence politique avec l’Angleterre et le pays de Galles par l’introduction des ASBO1135, les dispositifs de surveillance électronique pour les jeunes âgés de 12 à 15 ans et les parenting order s 1136. D’ailleurs, nous avons fait remarquer que l’Écosse a subi une hausse importante de sa population carcérale ces dernières années, même si elle est moins importante que la hausse en Angleterre et au pays de Galles1137. De 1997/98 à 2006/07 la population carcérale moyenne a augmenté de 19 % jusqu’à atteindre 7 183 personnes1138. Pendant la même période, le nombre de femmes incarcérées a augmenté de 90 %1139. Par conséquent, les prisons écossaises, comme celles de l’Angleterre, souffrent de surpeuplement. Ce problème est encore plus grave en Écosse, dont les prisons sont les plus surpeuplées de toute l’Europe de l’ouest1140. Par conséquent, les conditions de détention y sont très difficiles1141. Une dernière convergence avec la politique pénale anglaise est le nombre important de personnes incarcérées dans des établissements pénitenciaires gérés par des entreprises privées – 9 % de la population carcérale totale en 20041142. On estime que ce chiffre atteindra 20 % en 20091143.

Cependant, l’adoption de quelques mesures apparemment punitives n’a pas dilué la philosophie sociale du système pénal écossais1144. Par exemple, alors qu’on peut imposer des ASBO aux mineurs écossais, le non-respect de l’ordonnance n’est pas étayé par la menace d’incarcération, contrairement à l’Angleterre1145. D’ailleurs, le nouveau ministre de la Justice, Kenny MacAskill du Scottish National Party (SNP), a déclaré que la prison ne convient pas dans de nombreux cas et il a nommé une commission, présidée par l’ancien Premier ministre écossais, Henry McLeish (2000-2001), chargée d’enquêter sur l’utilisation et la philosophie des prisons en Écosse1146. La commission a publié son rapport le 1er juillet 2008 : elle recommande explicitement que le gouvernement réduise la population carcérale écossaise, constatant qu’une population élevée ne peut faire diminuer la criminalité1147. Cette approche est à contraster avec la politique anglaise d’augmentation du nombre d’établissements carcéraux au cours des prochaines années. Une dernière divergence notable avec la politique anglaise dans ce domaine (et avec l’administration précédente en Écosse) est que le SNP a interdit aux entreprises privées de faire des offres pour la gestion des prisons écossaises1148. Donc, comme Hazel Croall l’a affirmé, la politique pénale écossaise est marquée aussi bien par des divergences que pardes convergences avec la politique anglaise1149.

Le cas de l’Irlande du Nord est différent, notamment en raison du contexte spécifique de la guerre civile, qui a duré de la fin des années 1960 jusqu’au milieu des années 1990. Avant la dévolution des pouvoirs, cette région était caractérisée par une politique pénale punitive. Elle a fait l’objet de nombreuses dispositions légales exceptionnelles, telles la loi relative aux autorités civiles (pouvoirs spéciaux) de 1971 (The Civil Authorities [Special Powers] Act), qui a permis la détention sans procès des personnes soupçonnées de terrorisme, ou la loi sur l’Irlande du Nord (mesures d’urgence) de 1973 (The Northern Ireland [Emergency Provisions] Act), qui a créé un tribunal spécial (le Diplock Court) pour traiter les affaires terroristes, où le procès se déroulait devant un juge unique, siégeant sans jury. La signature de l’accord de paix de 1998 (The Belfast Agreement) a offert une nouvelle opportunité à l’Irlande du Nord de poursuivre une autre voie de justice pénale. En effet, aux termes de l’accord la plupart des prisonniers politiques – représentant un quart de la population carcérale – ont été relâchés suite à la loi sur les peines en Irlande du Nord de 1998 Northern Ireland [Sentences] Act 1150. D’ailleurs, il y a eu deux enquêtes importantes sur le maintien de l’ordre1151 et le système de justice pénal1152. Par conséquent, de nombreuses réformes ont été mises en place, notamment la dissolution du Royal Ulster Constabulary (le service de police nord-irlandais) et la création du Police Service for Northern Ireland, un nouveau service de police qui cherche à être plus représentatif des deux principales communautés vivant en Irlande du Nord. En 2005, Peter Hain, le ministre pour l’Irlande du Nord, a annoncé un programme de « normalisation », abrogeant toute législation anti-terroriste particulière à l’Irlande du Nord au 31 juillet 2007.

Le processus de paix a également favorisé le développement d’une nouvelle disposition pénale réputée être beaucoup plus inclusive que les dispositions traditionnelles. Il s’agit de la justice réparatrice qui cherche à réintégrer le délinquant dans sa communauté tout en l’encourageant à faire face à ses actes et à prendre en compte les besoins des victimes1153. Contrairement au système de justice formel qui est vengeur, l’accent est mis sur la réparation, et la victime et le délinquant y jouent un rôle primordial1154. La justice réparatrice n’est pas spécifique à l’Irlande du Nord. La loi sur le crime et le désordre de 1998 et la loi sur la justice juvénile et la preuve criminelle de 1999 (Youth Justice and Criminal Evidence Act) ont introduit des formes de justice réparatrice. Depuis 1998, le service de police de Thames Valley a mis en place un système de pratique du rappel à la loi réparateur (restorative cautioning), selon lequel les jeunes délinquants ne sont pas simplement soumis à un avertissement policier mais également encouragés à mieux comprendre les conséquences de leurs actes au moyen d’une conférence réparatrice (restorative conference) entre ses parents, la police, la(les) victime(s) de ses actes et lui-même1155. Cependant, bien que le système satisfasse les victimes et les délinquants1156, d’autres commentateurs notent que le programme ne fonctionne qu’en marge du système de justice formel, en raison du fait qu’il ne vise que les petits délinquants1157.

Le système a été introduit en Irlande du Nord aux termes de la loi sur la justice de 2002 (The Justice [Northern Ireland] Act). Les chercheurs soulignent que, là aussi, il vise principalement les petits délinquants, ce qui peut avoir un effet de netwidening : étant donné que ces rappels à la loi sont enregistrés par la police et sont susceptibles d’être cités devant un tribunal, ils peuvent entraîner une sanction plus lourde pour une deuxième infraction1158. Nous avons noté que le fonctionnement du referral order en Angleterre a été l’objet des mêmes critiques pour son caractère coercitif1159. Cette ordonnance a également été introduite en Irlande du Nord par la loi de 2002. À première vue, donc, il semble que l’Irlande du Nord ne fasse que suivre l’exemple britannique.

Cependant, il existe un système de justice réparatrice informel en Irlande du Nord, développé indépendamment du système formel. Ce système s’est développé dans le contexte particulier de la guerre civile, où des groupes paramilitaires ont assumé la responsabilité du maintien de l’ordre de leurs quartiers. Dans certains quartiers nationalistes et/ou républicains, ces groupes ont remplacé les forces de l’ordre majoritairement protestantes, dont la légitimité était fortement contestée. Certains protestants avaient également recours à la « justice » paramilitaire parce qu’ils doutaient de la capacité, voire de la volonté, de la police à s’attaquer à la petite délinquance. En effet, pendant la guerre civile, la police était simplement trop occupée par la lutte anti-terroriste pour s’intéresser à ce type de criminalité et, lorsqu’elle l’a ciblée, c’était parfois dans le but de recruter des indicateurs : on aurait promis, dans certains cas, de ne pas les poursuivre en justice en échange d’informations sur les activités terroristes1160. Dans certains quartiers de Belfast et d’autres villes nord-irlandaises, la justice expéditive – souvent sous forme de bastonnades (punishment beatings, comme briser les rotules par exemple1161) – a donc remplacé la justice formelle. Dans le sillage du processus de paix, la justice réparatrice s’est présentée comme une alternative populaire à la fois à la violence des milices et au système de justice formel. Depuis, un nombre de programmes de justice réparatrice ont été mis en place dans des quartiers catholiques comme dans des quartiers protestants, visant principalement les jeunes âgés de 13 à 22 ans1162.

Aux termes de la loi sur la justice et la sécurité (Irlande du Nord) de 2007 (The Justice and Security [Northern Ireland] Act), ces programmes sont désormais soumis à un système d’accréditation qui exige qu’ils se conforment à un protocole officiel, selon lequel ils doivent fonctionner en coopération avec la police et lui accorder un rôle central1163. Cette exigence est jugée nécessaire afin d’encadrer les programmes par des garanties légales et de protéger ainsi les droits de chaque participant1164. Or, il existe un risque que ce contrôle étatique porte atteinte à l’indépendance des programmes, les plaçant dans le contexte du « communautarisme » néo-travailliste, dont nous avons déjà fait référence au potentiel exclusif. McEvoy et Mika prétendent que le « communautarisme » nord-irlandais n’est ni autoritaire, ni exclusif en raison i) de l’existence de réseaux intra-communautaires particulièrement forts ; ii) de l’influence importante des acteurs politiques locaux qui empêcherait les factions non-officielles d’usurper le contrôle ; et  iii) de l’importance qui est actuellement accordée aux droits de l’homme en Irlande du Nord1165. Que la justice informelle soit moins punitive que la justice formelle ou non, certains signes indiquent que le système de justice criminel nord-irlandais formel est en partie influencé par les nouvelles tendances punitives répandues en Angleterre.

L’ASBO a été introduite en Irlande du Nord par la loi de 2004 relative aux comportements antisociaux (Anti-Social Behaviour [Northern Ireland] Order). Comme en Angleterre et au pays de Galles, une ASBO peut être invoquée contre toute personne âgée de 10 ans ou plus et le non-respect de ses conditions peut entraîner une peine d’emprisonnement d’un maximum de cinq ans. D’ailleurs, en dépit d’une baisse importante de la population carcérale suite à la signature de l’accord de paix en 19981166, elle est de nouveau en hausse depuis 20011167. En octobre 2007 elle a atteint son chiffre le plus élevé jamais enregistré de 1 518 personnes1168, ce qui représente une hausse de 73,1 %1169. D’autres tendances, également présentes en Angleterre, ont été adoptées en Irlande du Nord, notamment les peines indéterminées de protection publique (IPP) par la loi sur la justice pénale de 2008 (Criminal Justice [Northern Ireland] Order).

Il est difficile de déterminer si l’Irlande du Nord continuera à suivre les tendances punitives anglaises en raison du fait qu’elle n’a pas encore eu la chance de formuler ses propres politiques à cet égard. L’assemblée nord-irlandaise n’a été rétablie qu’en mai 2007 après avoir été suspendue quatre fois depuis son inauguration en 1998. D’ailleurs, alors que le système légal nord-irlandais a toujours été séparé de l’Angleterre et qu’il a des pouvoirs législatifs, la responsabilité de la justice pénale reste actuellement la prérogative du gouvernement central de Westminster.

Il est possible d’affirmer qu’il existe aussi bien des convergences que des divergences entre la politique pénale anglaise et celle qui est pratiquée dans les autres pays du Royaume-Uni. Partout, il existe une tension constante entre des approches dites sociale et punitive au problème de la criminalité. Cependant, alors que ces tensions existent en Angleterre avec, par exemple, l’adoption des politiques qui visent à s’attaquer aussi bien aux causes de la criminalité qu’à la criminalité elle-même, elles sont encore plus marquées en Écosse et en Irlande du Nord où des systèmes de justice informels (le système de Children’s Hearings et la justice réparatrice) concurrencent l’incarcération. S’il existe un tournant punitif dans ces pays britanniques, il est beaucoup moins évident. Étant donné la récente déclaration du gouvernement actuel écossais concernant le besoin de réduire sa population carcérale, il serait plus exact de parler d’un tournant punitif anglais. Bien entendu, étant donnée que la dévolution des pouvoirs n’est que partielle, l’économie politique de l’Angleterre continuera à exercer une certaine influence sur les politiques régionales, mais elle doit toujours s’adapter au contexte culturel spécifique de chaque pays. Par conséquent, si le cadre néolibéral peut nous aider à expliquer le tournant punitif en Angleterre, plus de recherches seraient nécessaires avant de pouvoir s’en servir pour expliquer la direction des politiques pénales à travers le Royaume-Uni.

Notes
1113.

Cf. Home Office, Criminal Justice : The Way Ahead [en ligne], Cm 5074, 2001, p. 22. Disponible sur : http://www.archive.official-documents.co.uk/document/cm50/5074/5074.pdf [page consultée le 8 mai 2007].

1114.

L’historien, Michael Ignatieff, note que le nombre des personnes incarcérées pour vagabondage a augmenté de 34 % de 1826 à 1829, et de 65 % de 1829 à 1832. Cela était sans doute le résultat de l’entrée de vigueur de la loi sur le vagabondage de 1824. Michael Ignatieff, A Just Measure of Pain : The Penitentiary in the Industrial Revolution, 1750-1850, Londres, Macmillan, 1978,p. 179.

1115.

Samuel Mencher, Poor Law to Poverty Program : Economic Security Policy in Britain and the US, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 1967; Derek Fraser (éd.), The New Poor Law in the Nineteenth Century, Londres et Basingstoke, Macmillan, 1976; Michael Lavalette et Gerry Mooney (éds.), Class Struggle and Social Welfare, New York, Routledge, 2000; M. A. Crowther, The Workhouse System 1834-1929 : The History of an English Social Institution, Cambridge, Meuthen, 1983; Kathleeen Jones, The Making of Social Policy in Britain : From the Poor Law to New Labour, Londres, The Athlone Press, 2000.

1116.

David Garland, « The Birth of the Welfare Sanction », British Journal of Law and Society,1981, vol. 8, n° 1 :29-45; David Garland, Punishment and Welfare,Aldershot, Gower, 1985,p. 233.

1117.

Peter Duff et Neil Hutton, « Introduction », dans Peter Duff et Neil Hutton (éds.), Criminal Justice in Scotland, Aldershot, Dartmouth Publishing Ltd., 1999, p. 1.

1118.

Lesley McAra, « Modelling Penal Transformation », Punishment and Society, 2005, vol. 7, n° 3 : 277-302.; Lesley McAra, « The Politics of Penality », dans Peter Duff et Neil Hutton (éds.), op. cit.

1119.

Aucun système semblable n’existe en France. Le terme est défini comme « un panel de membres de la société civile qui a en charge, en présence des mineurs et de leurs familles, de déterminer la mesure la plus adaptée au cas examiné, en essayant de recueillir l’accord des mineurs et de leurs familles. En cas de contestation de la mesure retenue, les mineurs et leurs familles peuvent demander au système judiciaire formel une révision de la décision prise. » Cf., Lesley McAra, « ‘Plus ça change, plus c’est la même chose’ : L’évolution du système de justice pour les mineurs en Écosse », Déviance et Société,2002/3, vol. 26 : 367-386.

1120.

Nigel Bruce, « Historical Background », dans F. M. Martin et Kathleen Murray (éds.), The Scottish Juvenile Justice System, Édimbourg, The Scottish Academic Press, 1982; Stewart Asquith et Mike Docherty, « Preventing Offending by Children and Young People in Scotland », dans Peter Duff et Neil Hutton (éds.), op. cit.

1121.

Stewart Asquith et Mike Docherty, op. cit.; Lesley McAra, « ‘Plus ça change, plus c’est la même chose’… », op. cit.

1122.

Michael Cavadino et James Dignan, Penal Systems : A Comparative Approach, London, Sage, 2006, p. 222.

1123.

Selon Stewart Asquith et Mike Docherty, il s’agit de seulement autour de 200 enfants par an, la grande majorité comparaissant devant des Children’s Hearings (Stewart Asquith et Mike Docherty, op. cit., p. 245). Lesley McAra estime que seulement 250 enfants par an sont incarcérés en comparaison avec 13 000 qui sont soumis à d’autres mesures (Lesley McAra, « Modelling Penal Transformation », op. cit., p. 287).

1124.

Ibid.

1125.

Jim McManus, « Imprisonment and Other Custodial Sentences », dans Peter Duff et Neil Hutton (éds.), op. cit., p. 231.

1126.

Gill McIvor et Bryan Williams, « Community-based Disposals », dans Peter Duff et Neil Hutton (éds.), op. cit. ; Lesley McAra, « Modelling Penal Transformation », op. cit., pp. 288-290.

1127.

Scottish Prison Service, Making a Difference, Édimbourg, Scottish Prison Service, 2002.

1128.

Lesley McAra, « Modelling Penal Transformation », op. cit., p. 291.

1129.

Ibid. et Lesley McAra, « The Politics of Penality », dans Peter Duff et Neil Hutton (éds.), op. cit.

1130.

Ibid.

1131.

Ibid.

1132.

Michael Cavadino et James Dignan, op. cit., p. 232.

1133.

Jan van Dijk, John van Kesteren et Paul Smit, Criminal Victimisation in International Perspective : Key findings from the 2004-2005 ICVS and EU ICS [en ligne], The Hague, Boom Juridische uitgevers, 2007. Disponible sur : http://english.wodc.nl/images/ob257_full%20text_tcm 45-103353.pdf [page consultée le 21 mai 2008].

1134.

Stewart Asquith et Mike Docherty, op. cit., p. 248.

1135.

Antérieur à cette loi les ASBO ne pouvaient être invoquées que contre les personnes âgées de 16 ans ou plus. Comme en Angleterre, elles étaient introduites en Écosse par la loi sur le crime et le désordre de 1998.

1136.

Hazel Croall, « Criminal Justice in Post-devolutionary Scotland », Critical Social Policy, 2006, vol. 26, n° 3, pp. 599-601.

1137.

Voir supra., p. 21.

1138.

The Scottish Government, Prison Statistics Scotland 2006/7 [en ligne], 2007. Disponible sur : http://www.scotland.gov.uk/Publications/2007/08/31102446/0 [page consultée le 23 juin 2008].

1139.

Ibid.

1140.

Michael Howie, « Scots jails among most overcrowded in Europe, with 1,000 cells needed », The Scotsman [en ligne], 8 mai 2008. Disponible sur : http://news.scotsman.com/scottishprisons/Scots-jails-among-most-overcrowded.4061343.jp [page consultée le 24 juin 2008].

1141.

Hazel Croall, op. cit., p. 596.

1142.

Scottish Consortium on Crime and Criminal Justice, Prison Privatisation in Scotland [en ligne], décembre 2006, p. 2. Disponible sur : http://www.scccj.org.uk/documents/Prison%20 Privatisation%20in%20Scotland.pdf [page consultée le 23 juin 2008].

1143.

Ibid.

1144.

Lesley McAra, « The Politics of Penality », op. cit.

1145.

Cf. : http://www.antisocialbehaviourscotland.com [page consultée le 24 juin 2008].

1146.

Scottish Parliament Debates [en ligne], 20 septembre 2007. Disponible sur : http://www.theyworkforyou.com/sp/?id=2007-09-20.1998.0&s=speaker%3A14006 [page consultée le 24 juin 2008].

1147.

The Scottish Government, Scotland’s Choice : Report of the Scottish Prisons Commission [en ligne], juillet 2008. Disponible sur : http://www.scotland.gov.uk/Resource/Doc/230180/ 0062359.pdf [page consultée le 2 juillet 2008].

1148.

Scottish Parliament Debates, op. cit.

1149.

Hazel Croall, op. cit.,

1150.

Suite à cette loi, 448 personnes ont été libérées avant l’écoulement de leurs peines. Source : Lord Rooker, Hansard [en ligne], débat du 17 mai 2006, vol. 642, col. WA48. Disponible sur : http://www.publications.parliament.uk/pa/ld200506/ldhansrd/vo060517/text/60517w05.htm [page consultée le 30 avril 2007].

1151.

The Independent Commission on Policing for Northern Ireland, A New Beginning : Policing in Northern Ireland [en ligne], septembre 1999. Disponible sur : http://cain.ulst.ac.uk/issues/ police/patten/patten99.pdf [page consultée le 24 juin 2008].

1152.

Criminal Justice System Review, Review of the Criminal Justice System in Northern Ireland [en ligne], mars 2000. Disponible sur : http://cain.ulst.ac.uk/issues/law/cjr/report30300.htm [page consultée le 24 juin 2008].

1153.

Martin Wright, Justice for Victims and Offenders : A Restorative Response to Crime, Winchester, Waterside Press, 1996. NIACRO (éd), Reflections on Restorative Justice in the Community, Belfast, NIACRO, 1999.

1154.

Ibid.

1155.

Thames Valley Police. Cf. : http://www.thamesvalley.police.uk/news_info/info/rj/RJ-methods.htm [page consultée le 24 avril 2007].

1156.

Carolyn Hoyle, Richard Young et Roderick Hill, Proceed with Caution : An evaluation of the Thames Valley Police initiative in restorative cautioning [en ligne], The Joseph Rowntree Foundation, 2002. Disponible sur : http://www.jrf.org.uk/bookshop/eBooks/1859353819.pdf [page consultée le 24 avril 2007].

1157.

Allison Morris et Loraine Gelsthorpe, « Something Old, Something Borrowed, Something Blue, but Something New ? A comment on the prospects for restorative justice under the Crime and Disorder Act 1998 », Criminal Law Review, 2000 : 18-30.

1158.

David O’Mahony et Jonathan Doak, « Restorative Justice – Is More Better ? The Experience of Police-led Restorative Cautioning Pilots in Northern Ireland », The Howard Journal, vol. 43, n° 5, pp. 500-501.

1159.

Voir supra., pp. 67-68.

1160.

Michael Hall, Restoring Relationships : A community exploration of anti-social behaviour, punishment beatings and restorative justice, Newtownabbey, Island Pamphlets, 2000, p. 21.

1161.

Il est estimé que depuis 1973, environ 1 700 personnes ont été victimes de telles attaques. Cf. : Kieran McEvoy, Brian Gormally et Harry Mika, « Conflict, Crime Control and the ‘Re’-Construction of State-Community Relations in Northern Ireland », dans Gordon Hughes, Eugene McLaughlin et John Muncie (éds.), Crime Prevention and Community Safety : New Directions, Londres, Sage, 2001, p. 190.

1162.

Kieran McEvoy et Harry Mika, « Restorative Justice and the Critique of Informalism in Northern Ireland », British Journal of Criminology, vol. 42, n° 3, pp. 536-541.

1163.

Cf. : Northern Ireland Office, http://www.nio.gov.uk/accreditation-for-community-based-restorative-justice-schemes/media-detail.htm?newsID=14578 [page consultée le 25 juin 2008].

1164.

Lord Lester of Herne Hill, Hansard [en ligne], vol. 691, cols. 1071-1072, 2 mai 2007. Disponible sur : http://www.publications.parliament.uk/pa/ld200607/ldhansrd/text/70502-0003.htm [page consultée le 25 juin 2008].

1165.

Kieran McEvoy et Harry Mika, op. cit., pp. 547-551.

1166.

Voir supra., pp. 20-21.

1167.

Source : http://www.kcl.ac.uk/depsta/law/research/icps/worldbrief/wpb_country.php?country=170 [page consultée le 25 juin 2008].

1168.

Northern Ireland Prison Service : http://www.niprisonservice.gov.uk/module.cfm/opt/1/area/News/ page/news/caid/5/nid/475 [page consultée le 25 juin 2008].

1169.

De 877 personnes incarcérées en 2001 à 1 518 personnes en 2007. Il faut néanmoins noter que le taux de personnes incarcérées pour 100 000 de la population nationale reste néanmoins beaucoup plus bas qu’en Angleterre et le Pays de Galles. En 2008, il était 85 en Irlande du Nord, comparé à 152 pour l’Angleterre et le Pays de Galles (Cf. : http://www.kcl.ac.uk/depsta/law/research/icps/ worldbrief/?search=europe&x=Europe [page consultée le 25 juin 2008].