Questionnaire

Mes entretiens avec les détenus ont pris la forme d’un questionnaire qui avait pour but de tester les notions de Charles Murray selon lesquelles la délinquance est un signe d’appartenance à une « underclass ». Des entretiens antérieurs avec des détenus en Irlande du Nord que j’ai effectués dans le cadre de mes recherches pour mon mémoire de DEA m’ont appris qu’il est préférable d’administrer les questionnaires moi-même en raison du fait que la plupart des détenus, ayant un faible capital scolaire, ont parfois du mal à comprendre les questions tous seuls. En outre, les commentaires éventuels que les personnes interrogées peuvent ajouter à leurs réponses sont parfois très révélateurs. Malheureusement, les directeurs des prisons ont limité le nombre de détenus que j’ai pu interroger. À HMP East Sutton Park, j’ai pu interroger 40 femmes. À la prison de Lewes, j’ai pu interroger 20 détenus et distribuer 40 questionnaires à remplir par les détenus eux-mêmes. Sur ces 40 questionnaires, seuls 22 ont été correctement remplis, ce qui ramène mon échantillon à 82 prisonniers dont 40 prisonnières.

La première partie du questionnaire consiste en treize questions fermées concernant les données personnelles des détenus : âge, situation de famille etc. La deuxième partie consiste en vingt affirmations concernant le mariage, la famille, le travail, l’assistance publique, les peines alternatives à l’incarcération, la capacité dissuasive de l’emprisonnement et les motivations criminelles. Afin d’obtenir les résultats les plus exacts possible, j’ai demandé aux détenus d’indiquer s’ils étaient en accord ou en désaccord avec ces affirmations qui ont été formulées de deux manières différentes (positive et négative) afin d’éviter les « fausses réponses » liées à la formulation. Les affirmations ont été mélangées au hasard afin que les détenus se rendent moins facilement compte du fait qu’on leur pose essentiellement la même question deux fois mais de façon différente. Le questionnaire est reproduit en anglais et en français ci-dessous (voir annexes i)a) et i)b)). J’ai utilisé un système de réponse à l’échelle Likert de cinq points variant de fortement en désaccord (1 point) à fortement en accord (5 points). Afin de tester la certitude de réponse, j’ai fait la moyenne des points de chaque paire d’affirmations (cependant, lors de ma discussion des résultats j’ai traité chaque affirmation à part afin de mettre en relief les réponses souvent contradictoires). Ces résultats sont présentés dans les tableaux ci-dessous (voir annexe i)c)) selon le sexe, l’âge, la situation de famille, le milieu familial, l’histoire criminelle et le capital scolaire des détenus interrogés. Notez que ces résultats testent la mesure dans laquelle les personnes interviewées étaient en accord avec la première affirmation de chaque paire. Pour les 7 premières paires, un fort niveau de concordance avec l’affirmation a tendance à infirmer la thèse de Murray à propos de l’existence d’une underclass délinquante. Les trois dernières paires ne concernent pas l’appartenance à une underclass : elles cherchent à tester la thèse de Murray concernant la capacité dissuasive de l’emprisonnement et les motivations criminelles. Dans ces cas-là, un fort niveau de discordance avec la première affirmation infirme ce que Murray prétend

La méthodologie utilisée n’est pas indemne de critiques. D’abord, je n’ai pas pu sélectionner les détenus à interroger moi-même – ils ont été choisi par les autorités pénitentiaires. Il y a un risque que ces détenus ne représentent pas un échantillon typique de la population carcérale britannique mais plutôt un échantillon des « meilleurs » détenus qui entretiennent de bonnes relations avec les autorités. Deuxièmement, en dépit du fait que les entretiens ont été tenus en privé sans la présence d’un gardien et que les questionnaires étaient censées être anonymes (une enveloppe adhésive a été fournie pour que les détenus puissent passer les questionnaires remplis aux gardiens sans que ces derniers puissent les lire), il est possible que les détenus n’aient pas osé dire ce qu’ils pensaient réellement, mais plutôt ce qu’ils pensaient que les autorités pénitencières et moi-même attendaient qu’ils disent. Il y a également un problème avec les affirmations formulées de façon négative. Alors qu’elles permettent de tester la certitude des réponses aux affirmations positives, il s’agit de phrases plus compliquées, susceptibles d’être mal comprises par les personnes interrogées. En outre, la plupart des détenus à HMP East Sutton Park étaient en train de purger les derniers mois ou semaines de leur peine. Il ne faut pas exclure la possibilité que leurs attitudes aient pu changer au cours de leur période d’emprisonnement. Dernièrement, ces questionnaires ne sont pas en mesure de tester l’appartenance à une « underclass », définie dans le sens le plus large du terme, laquelle renvoie à tout un ensemble de variables socio-économiques et culturelles (positions sociales et dispositions morales) qui ne peuvent se réduire à une échelle d’attitude. Ils ne peuvent que donner une indication de l’appartenance à une « underclass » définie dans les termes étroits de Charles Murray.