2) Une analyse de réception.

Nous mettrons en place à cette occasion un dispositif de terrain constitué de questionnaires et d’entretiens pour cerner au plus près les réactions des spectateurs les plus jeunes, ceux qui sont les plus grands consommateurs de ces séries, qui ont intégré au mieux leurs règles et leurs formes, et nous dresserons des typologies permettant de regrouper ces réactions en profils-types propices à l’analyse. L’enquête par questionnaires cherchera à mesurer l’intérêt porté par un échantillon de deux cents personnes environ à la politique et aux séries américaines de fiction classiques, c’est-à-dire celles qui sont implicitement politiques, qui repoussent la politique en dehors du quotidien des personnages. L’enquête par entretiens individuels, elle, mesurera l’intérêt porté par un échantillon de personnes issues de l’enquête par questionnaires aux séries américaines explicitement politiques. Elle approfondira les résultats obtenus grâce aux questionnaires et proposera aux enquêtés, en plus des questions orales de l’enquêteur, le visionnage d’un épisode d’une des séries retenues pour la recherche, étape nécessaire puisque ces séries sont peu diffusées et regardées en France. Ce dispositif permettra de cerner au mieux les liens existants entre la consommation de séries américaines d’une part et la formulation de l’opinion sur le politique d’autre part.

Nous devrons enfin garder en tête tout au long de notre exploration les critiques adressées par une partie des chercheurs en sciences humaines sur la délimitation de notre sujet, critiques que nous comprenons, qu’il faudra intégrer à notre argumentation, et que l’on pourrait résumer ainsi:

L’inscription de cette recherche ne se fonde pas assez sur le « long terme » et sur la mise en évidence des changements « structuraux » susceptibles d’affecter aussi bien les pratiques sociales et culturelles que l’espace public, les échanges d’information ou les usages des outils de communication. De plus, elle isole trop le média « télévision » de l’ensemble du système médiatique, et ne rend ainsi pas assez compte des relations tissées entre les médias et les outils d’informations et de communication, autres parties de ce système. La question même de « l’influence » de la télévision est en cause. Cette question est d’une complexité trop extrême, les « transversalités » sont trop nombreuses, les données actuelles sont trop partielles, ponctuelles, et situées dans des temps trop courts pour imaginer prouver que la télévision est à l’origine, ou participe de tel ou tel comportement humain, qu’elle agit sur nos pratiques les plus quotidiennes (Miège, 2003, pp. 114-120).

C’est à la lumière de ces critiques que nous nous attacherons, dans une première partie, à interroger l’état des savoirs sur les rapports existants entre la télévision et le politique, sur le passage des médias de masse aux médiacultures, sur la dynamique entre la réalité médiatique et les institutions politiques, sur l’usage que les spectateurs font de cette réalité et de ces institutions. Nous reviendrons ensuite plus longuement sur la transformation et la multi-dimensionalité du rapport au politique dans les démocraties occidentales et les mutations de la télévision au rang desquelles figure le succès grandissant des programmes de fiction, avant de nous concentrer sur l’évolution des études de réception des messages médiatiques et sur ses conséquences par rapport à notre sujet de Thèse.

Dans une seconde partie, nous aurons pour tâche de définir clairement les objets médiatiques qui constituent nos principaux objets d’analyse. Nous procéderons notamment à une étude institutionnelle afin de mieux cerner les liens existant entre les groupements, les directions de chaînes productrices de séries américaines et le pouvoir économique et politique en place. Nous sélectionnerons aussi les quatre séries à interpréter (A la Maison-Blanche, Les Sopranos, Ally McBeal et Friends) à partir de critères d’audience, de disponibilité et de réalisme. Ces objets complexes nécessitent un tel approfondissement dans la recherche car ils ne constituent pas des « données », mais des « obtenues » selon l’expression d’Eric Macé (2006, p.14), les messages médiatiques qu’ils diffusent étant dictés à la fois par les esprits des scénaristes et par un contexte politique et culturel précis, des exigences économiques qui sont soulignées par les producteurs de ces programmes.

Nous pourrons alors avancer et en venir dans une troisième partie à l’analyse de la démocratie à l’écran et à travers elle, de l’image du pouvoir politique, de l’institution, de son personnel et des citoyens qui l’ont élu. Il faudra ici mettre en valeur la série A la Maison-Blanche, qui fait figure d’exception, en proposant des messages explicitement politiques, et en concentrant ses intrigues dans les coulisses du pouvoir à l’américaine. Cette série très pédagogique permet de souligner l’apolitisme des propos tenus dans les autres séries, une absence du politique, réduit au silence la plupart du temps, même si quelques références relatives aux symboles ou à la crise de la représentation subsistent. Cette exclusion du politique laisse la place à une description désenchantée des psychologies, des portraits de héros abandonnés, de citoyens passifs et d’institutions en péril.

L’enquête de terrain par questionnaire composera le sujet de la quatrième partie de la Thèse. Son but est de confirmer ou non nos hypothèses concernant le fort intérêt des individus pour les séries américaines, et leur intérêt plus faible pour la politique. Nous parlerons de la conception du questionnaire-test consacré aux séries implicitement politiques (définition des objectifs, échantillons, échelles et niveaux d’intérêt, variables à retenir et collecte des réponses), des difficultés rencontrées et du déroulement de l’exercice. Nous construirons des profils de téléspectateurs à partir des réponses aux 186 questionnaires définitifs, obtenus au cours du printemps 2004 parallèlement à l’analyse des résultats dont nous classerons les réponses en quatre groupes, et en socio-types, selon le niveau d’intérêt de chacun pour la politique et les séries.

La cinquième partie de notre travail touchera directement à la réception d’un épisode de la série explicitement politique A la Maison-Blanche, à partir d’une enquête par entretien. Il s’agit d’un épisode « spécial », « réactif », très représentatif de toute la série et qui a été tournée après les attentats du 11 septembre 2001. Il met en scène l’équipe du président démocrate face à une classe d’élèves lors d’un huis clos entraîné par une alerte à la bombe dans le bâtiment. Lors de cette rencontre, la question du terrorisme sera envisagée sous plusieurs angles politiques, le spectateur pouvant aisément se comparer aux différents intervenants, les encourageant ou les contredisant selon son propre jugement politique.

L’enquête préalable par questionnaire aura classé la cinquantaine de candidats volontaires à l’entretien en quatre groupes. Aucun d’entre eux n’a déjà visionné la série A la Maison-Blanche, et c’est précisément ce qui constitue la nécessité de l’exercice. Nous leur passerons l’épisode « spécial » de la série sur une télévision, et cette séance sera suivie d’un test de mémorisation, d’un test de compréhension et de l’entretien en lui-même, douze questions susceptibles de démontrer le type de contribution du visionnage sur leur formulation d’une opinion personnelle concernant le politique. Les résultats de cette enquête seront traités et mis en perspective avec les débats théoriques actuels sur le sujet.

Nous proposerons en annexe de cette thèse, à côté de notre bibliographie thématique, une série de fiches résumant les propos de chaque interviewé ainsi que les profils détaillés des participants à l’enquête par questionnaire.