2) Le dépassement du programme initial de recherche

Une vision nécessairement panoramique, dans le dessein de mieux saisir les tenants et les aboutissants de la sociologie critique, conduit à envisager les dernières décennies sous l'angle du dépassement de ce programme de recherche initial, à au moins trois titres.

En premier lieu, le paradigme des « effets limités », initié par l'équipe de Lazarsfeld a été remis en perspective par des orientations moins alternatives que complémentaires puisqu’elles ne contrarient pas l'énoncé de base. Elles approfondissent un champ d'étude souvent « limité » aux effets de courte période, seules incidences que la recherche empirique parvient à « appréhender » pleinement. Pour reprendre la synthèse didactique d'Elihu Katz, « les médias ne nous dictent certes pas ce que nous devons penser » mais plus subtilement et indirectement, ce à quoi nous devons penser » (travaux autour de la mise sur agenda), et « ce à quoi nous ne pouvons pas penser » (délimitation d'un univers du pensable qui vaut davantage par ce qu'il exclut et interdit de penser que par ce qu'il rend visible, l'argument d'absence d'effets étant ici justement retourné par les descendants de l’école de Francfort ). Katz écrit d’ailleurs à propos des effets médiatiques que « ceci suggère qu’il existe pour certains domaines des chaînes d’influence de personne à personne beaucoup plus longues que la simple dyade et qu’il faut peut-être remonter le long de ces chaînes avant de rencontrer une influence décisive des médias de masse, même si l’on peut en percevoir quelques traces en certains points » (Katz 1989).

Seconde réorientation, la saisie simultanée des segments du questionnaire programmatique de Lasswell, restituant, mais sur des terrains délimités cette fois, l'indissociabilité des processus de communication. Ainsi peut-on relire le courant dit des « cultural studies », trop souvent rangé sous la bannière des « recherches d'effets » alors même que le renouvellement que ces études ont permis, était garanti par une bien meilleure lecture simultanée des vecteurs utilisés, des propriétés sociales des « récepteurs », et des textes et messages encodés/décodés.

Troisième piste, parallèle, le retour à certaines questions délaissées ou maltraitées du programme initial, sur la base d'acquis disciplinaires « extérieurs ». Nous pensons ici à la réévaluation, à la complexification du contenu des messages par prise en compte des structures narratives, du rôle de la sémiotique. Il faut aussi noter la réintégration d’outils conceptuels légués par l'analyse littéraire (esthétique de la réception, pactes de lecture...) ou sociologique (l'affinité partielle des schèmes de perception permise par l'homologie des positions de Pierre Bourdieu, la « mise en scène du quotidien » décrite par Erwin Goffman...).

Le socle des études sur la communication de masse s'est constitué peu avant que n'éclate la Seconde Guerre mondiale, mais le paradigme américain ne constitue pas l’essentiel des recherches basées sur l’étude des « mass media », difficile d’ailleurs de bien le décrire sans lui opposer sa critique principale et primordiale, initiée par les tenants de l’école de Francfort, troisième déplacement de l’épicentre géographique des recherches, revenu en Europe.