1) L’examen du concept de rationalité

En examinant le concept de rationalité qui sous-tend la société industrielle contemporaine, les tenants de l’école de Francfort dénoncent la double prétention de la rationalité technocratique, ses désirs de maîtriser totalement le monde concret grâce aux développements technologiques exclusivement, et de présenter ce type spécifique de maîtrise comme la fin de l'esprit humain.

En effet, la rationalité technocratique développe l’aspect formaliste et instrumental de la raison, en s'appuyant sur les « systèmes » conceptuels du positivisme et du pragmatisme. Par celui-là, la raison est soumise à ce qui est immédiatement donné ; et, par celui-ci, la pensée devient l'instrument, et seulement cela, capable de mesurer la valeur des moyens à partir du couple utile/inutile, dans la véritable perspective d'un but à atteindre « à tout prix ».

Ainsi, pour les êtres humains, comme pour les choses, le seul critère demeure celui de leur valeur opérationnelle. L'individu est réduit au rôle de fonction, perdant tout statut de sujet, pour devenir simple « lieu » fonctionnel. Les critères éthiques et politiques sont dès lors dénoncés comme métaphysiques, pour ne pas dire « poétiques ». Il en va ainsi pour toute « qualité » pouvant faire vaciller l'identification de l'individu à une fonction précise.

Cette « formalisation de la raison » se fait au détriment d'une pensée susceptible de déterminer le niveau de désir d'un but en lui-même. Car, pour la raison subjective de la technocratie, il n'y a pas de but raisonnable en tant que tel. En fait, toute chose, ou idée, est bonne pour quelque chose d'autre. Les idéaux, tels que la liberté et la justice, sont devenus de simples outils. La pensée et l'action sont elles aussi nivelées au rôle d'instruments, dans une vaste indifférenciation de contenu et de forme. Cette raison réussit ainsi à perpétuer sa domination en promouvant l'intégration des individus, en les habituant à voir en elle un aboutissement inévitable et rassurant de la vie sociale contemporaine.