1)L’ethos populaire, la résistance selon Richard Hoggart

Hoggart développe la notion de « réalisme » dans la culture populaire (1970, p.295). Le langage populaire est cru, il correspond à la condition de vie des locuteurs. Leur conversation, moyen d'humaniser les relations, reste une accumulation de formules toutes faites, d'expressions non questionnées, remparts au doute. Cependant ce réalisme est un « réalisme à courte vue ». La réflexion suit une grille de lecture quotidienne, non conceptuelle. La culture populaire englobe des croyances forgées sur le quotidien qui comme les expressions donnent une représentation du monde simplifiée. Cet attachement au quotidien implique un certain hédonisme. Les classes populaires vivent dans le présent, leur difficulté à « joindre les deux bouts » écarte toute possibilité de projet.

Ainsi, les classes populaires recherchent la fantaisie qui puisse égayer leur vie, sans attendre quelque ascension sociale. Elles acceptent leur condition purement et simplement, font preuve d'un certain fatalisme et de stoïcisme, qui inhibe toute propension à l'indignation ou même à l'idéalisme. Ce réalisme s'il encourage la cohésion du groupe est aussi un facteur de distinction face aux « autres ». La défiance des classes populaires vis-à-vis des théories, des promesses politiciennes de bonheur, ou vis-à-vis de la religion, pas assez proche des préoccupations sociales, met en exergue la bipartition du monde. L'opposition eux/nous, opposition classes populaires/classes bourgeoises, a une forte résonance, liée à la lutte des classes. Les classes populaires font preuve d'une fausse humilité face aux « autres », de moquerie, voire de cynisme. Elles ne jurent que par leurs valeurs et affirment leur supériorité face à l'éducation et à la culture bourgeoises.

Dès lors, l'art populaire, la presse dite « traditionnelle », reprennent ces valeurs populaires. Les nouvelles, les feuilletons traduisent les considérations quotidiennes des lecteurs, ajoutant des rebondissements ou du sensationnel pour les intéresser et pour donner de la saveur à des vies souvent difficiles. La presse traditionnelle est proche des préoccupations de son lectorat et multiplie les horoscopes, les conseils pratiques et le courrier des lecteurs. Le goût pour le quotidien se retrouve dans le style des articles. L'information est fragmentée, anecdotique, mais le cynisme populaire et son inclination à la moquerie sont toujours présents. L'art populaire joue le rôle de miroir24.

La presse moderne, elle, fait l'éloge de l'homme moyen, ordinaire et réaliste, comme valeur à suivre. Elle met en place une « médiocrité universelle ». Un nouveau conformisme se met en place, La presse moderne s'oppose à tout jugement des autres et de soi-même. Tout se vaut.

L'information « moderne » est personnalisée, atomisée et simplifiée. Ceci est perceptible dans la multiplication des images et des bandes dessinées. Cette information superficielle devient la base d' « opinions opiniâtres » : chacun a une opinion sur tout, mais sans réflexion, ni recherche. Les spécialistes sont méprisés, et leurs opinions deviennent équivalentes à celles des profanes.

 Enfin, le goût populaire pour la fantaisie se transforme en une recherche d'effet systématique. La concurrence de la radio oblige la presse à donner des versions extravagantes de faits d'actualité. Les feuilletons ou nouvelles axent leurs propos sur la sexualité, le surnaturel ou la violence. Cette recherche s'accompagne d'une prétention littéraire à toucher le lectorat, d'un « pointillisme obsessionnel ». Néanmoins ce goût exubérant pour le détail reste factice, surfait. La contestation, la sexualité débridée, ne sont qu'une illusion. La sexualité est pasteurisée et la presse, conservatrice, repoussant toute réflexion, argumentation et prônant l'homme moyen, et l'uniformisation des conduites. 

Cependant, Hoggart affirme que l'ethos populaire est un outil de résistance face à l'industrie culturelle. Le repli identitaire sur le foyer, le scepticisme, le cynisme vis-à-vis des « autres », permet aux classes sociales de douter de la presse moderne écrite par les « autres », entrepreneurs capitalistes. De plus, le réalisme populaire est en contradiction avec l'aspect surfait de la presse, qui s'embourgeoise (papier glacé, idiome bourgeois…). Enfin la valorisation de l'ascension sociale, du profit, liée au culte de progrès s'oppose aux valeurs populaires. La presse reste un divertissement pour les classes populaires et non une source d'information ou de réflexion. Cette notion de résistance sera redéfinie, et développée au cours des années 1970 par un collègue de Richard Hoggart, Stuart Hall, universitaire britannique d’origine jamaïquaine, à partir des réflexions du fondateur du parti communiste italien, Antonio Gramsci, qui visaient notamment à remplacer la notion d’ « idéologie », par celle, plus complexe, d’ « hégémonie ».

Notes
24.

COULDRY, Nick (2000), Inside culture. Re-imagining the method of cultural studies, Londres, SAGE, p.88.