1) Des symptômes réels

  • Une diminution de la confiance politique : Depuis une dizaine d'années, on observe en France une dégradation spectaculaire de l'image de la classe politique et une désaffection à l'égard des grandes institutions publiques. Entre 1977 et 1999, la proportion de Français qui estiment leurs dirigeants corrompus est passée de 38 à 64 %. En 1977, plus de la moitié pensaient que les hommes politiques se préoccupaient des gens comme eux ; en 1997 ils étaient moins d'un sur cinq. Une proportion équivalente a le sentiment d'être bien représentée par au moins un leader politique, contre 35 % en 1989 et un quart par au moins un parti politique, contre 39 % en 1989 (Données tirées des enquêtes périodiques de la SOFRES auprès d'échantillons représentatifs de la population âgée de 18 ans et plus). Et si l'armée et la police gardent un niveau élevé de confiance, la crédibilité de l'institution parlementaire, de la justice et de l'administration sont en baisse (la proportion de confiants est passée entre 1981 et 1999 de 56 à 39 % pour le Parlement, de 57 à 45 % pour la justice et de 53 à 44  % pour l'administration, enquêtes du quotidien Valeurs, 2000). Cette défiance politique, cette « érosion des soutiens » selon l’expression de David Easton (Morris, 1998, p.27) est aussi susceptible parfois d’affecter la foi des citoyens envers les valeurs démocratiques, même si ce n’est pas automatique. On peut critiquer les élites, les institutions, et en même temps rester attaché à la démocratie27.
  • Une dégradation du sentiment de représentation politique : Hier, les classes et couches sociales étaient relativement identifiées, et les acteurs politiques reflétaient plus ou moins cette représentation socio-économique. Aujourd’hui, ce phénomène de délégation est « brouillé », il y a donc là un premier niveau d’indétermination. Le second concerne le lien entre les idéologies et les discours des acteurs. Ce lien, de plus en plus flou dans notre société abolit les distances et mêle les propositions politiques de gauche, de droite, et les propositions sociales des individus. La crise de la représentation politique est de ce fait aussi sociale, au sens où les structures idéologiques sont moins « visibles » qu’auparavant.
  • L’augmentation d’un désintérêt et d’une défiance envers la politique: La plupart des démocraties occidentales, en particulier européennes, sont marquées par un faible intérêt des citoyens pour la politique (Bréchon, 1995, p. 66). Les personnes se disant assez ou très intéressées par la politique ne sont, en 1990, que 26% en Espagne, 31% au Portugal, 29% en Belgique, 28% en Italie, 37% en Irlande, 37% en France, 49% en Grande-Bretagne, et record, 69% en Allemagne, ce qui peut s’expliquer par le contexte politique de l’époque (chute du mur). En février 2007, 61% des Français déclarent ne faire confiance ni à la gauche ni à la droite pour gouverner le pays. Les quatre vagues d'enquête du Baromètre politique français (BPF), réalisées entre avril 2006 et février 2007, montrent qu'il s'agit là d'un phénomène structurel puisque ce pourcentage se situe, depuis un an, entre 60% et 70%. À deux mois du premier tour de l'élection présidentielle, il ne se trouve que 17% des Français pour déclarer leur confiance dans la gauche pour gouverner le pays et, à peine plus, 21% exactement, pour déclarer leur confiance dans la droite.
  • Une forte abstention : Lié au désintérêt pour la politique, aux transformations idéologiques, au rejet des élites, ce phénomène est fréquent (exemple : les taux d’abstention aux élections européennes de 1989 et 1994 : Danemark : 54%, 47% ; Espagne : 45%, 41% ; France : 51%, 47% ; Allemagne : 37%, 40% ; Grande-Bretagne : 64%, 63%). Mais l'abstention est d'abord un phénomène purement conjoncturel qui dépend du type d'élection et de l'enjeu qui y est attaché (élections locales, européennes ou à enjeux nationaux différent du tout au tout), mais aussi du nombre de consultations à un moment donné. Ainsi ce qu'on a pu prendre pour une hausse de l'abstention dans les années 88-89 en France n'était vraisemblablement qu'un phénomène conjoncturel.
  • Un faible militantisme partisan et syndical : dernier élément pouvant faire croire à une crise de la participation politique dans les démocraties : en 2002, les adhérents aux organisations politiques représentaient 1% de la population en Espagne, 3% en France, 4% en Irlande, 5% en Italie, 6% en Grande-Bretagne, 7% en Allemagne. Certaines démocraties sont de plus touchées par la désyndicalisation. En France, dans les années 1970 près de 17% de la population active salariée est syndiquée, moins de 10% aujourd'hui (contre 32% en Allemagne, 39% en Grande-Bretagne et 71% au Danemark en 2002)28. Si la crise économique, la désindustrialisation, la montée du chômage expliquent ce phénomène, le rejet d'une forme jugée archaïque de lutte politique est un facteur décisif. Enfin, notons que la désyndicalisation est moins le signe d'une crise générale de la participation politique que celui d'une transformation des modalités de défense des intérêts des travailleurs.

Mais l'évidence de la crise de la participation politique doit être remise en cause. Les éléments sur lesquels se fondent les tenants d'une crise de la participation politique sont critiquables29. D'autre part, cette crise n'apparaît pas vraiment comme une nouveauté mais comme un phénomène récurrent. Enfin, elle n’a pas partout ni la même force ni la même forme.

Notes
27.

BALME, R., MARIE, J.L., ROZENBERG, O. (2003), Les motifs de la confiance (et de la défiance) politique : intérêt, connaissance et conviction dans les formes du raisonnement politique, Revue internationale de politique comparée, volume 10 « Confiance et capital social », éditions De Boeck, n°3.

28.

Source : European Social Survey (ESS), enquête 2002-2003, Round 1 www.europeansocialsurvey.org

29.

AUSTEN-SMITH, D. (1992), Explaining the vote : Constituency constrains on sophisticated voting. American journal of poitical science, vol. 36, n°1, février, p.68-95.