2) Crise ou transformation de la participation politique ?

En France, ce que l'on nomme « crise de la participation » n'est pas vraiment inédit : elle se nourrit d'un rejet traditionnel des partis politiques, d'une méfiance ancienne à l'égard des syndicats, du discrédit du personnel politique. La IIIe et la IVe Républiques ont connu les mêmes symptômes, mais ils ont abouti à des crises de régimes bien plus importantes. (Mayer, 2003). Il apparaît donc délicat de conclure à l'existence d'une crise profonde, durable, nouvelle et générale de la participation politique. Toutefois, et malgré ces réserves, les différents signaux présentés suggèrent, plus qu'une crise, une critique des modalités traditionnelles de la participation politique, jugées trop limitées, ponctuelles et insatisfaisantes.

On assisterait alors aujourd'hui à une crise de l’autorité politique, à une transformation des modalités de la participation politique, à une demande de nouvelles formes de participation. Les citoyens « critiques » se multiplient, et avec eux apparaît une exigence grandissante envers le système politique. Dans une société consumériste, « les usagers de l’action publique » espèrent toujours « davantage ». (Balme, Marie, Rosenberg, 2003, p.442)

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la politisation globale des citoyens dans les démocraties occidentales s'est accrue sous l'effet de la diffusion de l'éducation et de l’apparition de valeurs plus individualistes. Les citoyens plus autonomes, tendent à s'émanciper de la tutelle des élites ou des groupes qui guidaient traditionnellement leur choix politiques. Apparaissent alors aujourd'hui des demandes pour une « nouvelle politique » liée aux valeurs post-matérialistes et qui conduisent à des mutations des formes d'engagements publics. Cependant, il faut constater que le changement en matière de participation politique rencontre certaines limites.Les mutations de l'engagement politique sont sensibles au travers de deux phénomènes: le développement du militantisme associatif et la montée de la participation protestataire.

  • Le développement du militantisme associatif (plus de 600 000 associations actives en France aujourd’hui) marque le dépérissement d'un modèle d'engagement et de militantisme tourné vers les grandes organisations (partisanes, syndicales) définissant une identité (un « nous ») et la valorisation d'un nouveau modèle où l'individu joue un rôle prépondérant dans des organisations peu structurées, avec un objectif clairement affiché et limitées dans le temps (ESS, 2002) : ainsi en 2002, l’adhésion à des associations de défense de l’environnement, par exemple, est proche, égale, voire supérieure à celle des partis politiques : 15‰ contre 16‰ en France, 18‰ dans les 2 cas en Grande-Bretagne, 10‰ contre 9‰ en Espagne, 26‰ contre 15‰ en Belgique... Ce renouveau associatif n'est pas le signe d'une dépolitisation ; au contraire, comme le prouve l'émergence d'association anti-FN ou d'associations à but « moral » qui ont une action purement politique. Ce serait plus vraisemblablement le signe d'un appel à faire de la politique autrement, et ce essentiellement dans les pays les plus touchés par l’affaiblissement du militantisme politique et syndical.
  • La montée de la participation protestataire est un autre signe des mutations qui frappent la participation politique dans les démocraties. L'importance des actions protestataires en France (par ex. 7500 à 8000 manifestations par an) amène à reconnaître que la participation non-conventionnelle est une dimension à part entière de la participation politique (ESS, 2002). On note une augmentation sensible du recours à la participation active entre 1990 et 2000 (au moins deux de ces actes : pétition, boycott, manifestation, grève, occupation) : 12% à 20% en Allemagne, 16% à 23% en Grande-Bretagne, 24% à 32% en France, 17% à 27% en Italie... Ceci marque à l'évidence la volonté des citoyens de sortir des chemins balisés de la politique conventionnelle.

Toutefois il convient de relativiser les mutations en cours de la participation politique. Les nouvelles modalités d'engagement politique ne se substituent pas aux formes traditionnelles que sont le vote, l'inscription sur les listes électorales, l'adhésion, etc. En fait, il apparaît que les formes nouvelles et protestataires de participation politique s'articulent aux formes traditionnelles. On peut remarquer en particulier que le potentiel protestataire et la participation conventionnelle ne sont pas contradictoires. Certaines recherches montrent même que la participation non-conventionnelle peut mener à une meilleure intégration politique (Morris, 1998, p.26-27). Les personnes qui ont un fort potentiel protestataire sont aussi actives dans le domaine conventionnel. Les « protestataires », plutôt jeunes, appartenant aux classes moyennes salariées, ont un haut niveau d'intérêt pour la politique conventionnelle. Pour eux l'un ne remplace pas l'autre.

Il est donc nécessaire de souligner les limites des mutations en cours. Les nouvelles formes de participation politique sont bien le signe d'une demande pour une autre politique, mais elles ne se substituent pas aux formes traditionnelles de la participation, elles les complètent en offrant à certains le moyen de s'exprimer autrement. « La tension monte entre idéal et réalité, c’est ce qui a produit l’émergence de citoyens critiques, ce que nous pouvons aussi nommer des démocrates désenchantés ». La défiance à l’égard du monde politique ne veut pas forcément signifier un désengagement des citoyens pour la politique, cela peut même mener à l’inverse, à de nouveaux modes d’implication, de participation des citoyens à la « gouvernance ». (ibid)