2) Télévision et compétence politique

Le niveau de compétence civique d’une société est « le reflet de la proportion des adultes qui détient le savoir nécessaire pour faire des choix politiques efficaces, proportion qui fluctue dans le temps et selon les pays ». (Milner 2004, p.20). C’est Henry Milner qui propose cette définition dans son livre La Compétence civique paru en 2004 aux Presses de l’université Laval. Cet auteur remet en cause les indicateurs de l’engagement civique tels que définis par Robert Putnam dans l’élaboration individuelle du « Capital Social ». Selon Putnam, le stock de capital social qui sous-tend l’engagement civique se construit à partir de l’adhésion associative. Celle-ci génère un accroissement de la confiance envers autrui qui, à son tour, favorise la participation (1996, pp.13-14). Pour Milner, la confiance a une composante culturelle et subjective trop forte pour servir une analyse consistante et déplace l’accent de la confiance vers les connaissances. Ainsi, les mesures comparatives des connaissances politiques, même si elles sont incomplètes, démontrent que la participation est plus forte dans les pays où le niveau moyen de connaissances en matière d’affaires publiques est plus élevé. Dès lors, et si les institutions politiques elles-mêmes jouent un rôle « dans l’accessibilité et l’intelligibilité de l’information politique » (p.20), les médias, et en premier lieu la télévision, devraient eux aussi représenter une source prioritaire de diffusion de connaissances politiques individuelles et collectives.

Il paraît en effet difficile de dresser un portrait actuel du media « télévision » sans se poser cette question et inclure de la sorte le phénomène télévisuel dans une réflexion touchant à la science politique contemporaine, ceci nous permettant également de nous rapprocher de nos préoccupations de recherches, à savoir la mesure des contributions possibles d’un programme télévisuel sur les savoirs politiques formulés par des individus.

Pour Putnam, la télévision est le grand coupable de la « disparition » du capital social aux Etats-Unis, parce que le temps passé devant l’écran n’est pas mis à profit dans l’activité associative, et surtout car ce médium propose aux spectateurs l’image d’un « monde méchant ». (2000, p.506). Milner, lui, répond que voter prend peu de temps finalement et que l’usage intensif de la télévision lors des campagnes électorales devrait, au contraire, contribuer à la participation politique. Il préconise de substituer à nouveau la notion de compétence civique à celle de capital social, et de définir un indice de « dépendance télévisuelle », qui permettrait de discerner l’impact négatif de la télévision commerciale (dont les ressources sont principalement constituées par les bénéfices de la publicité) quand celle-ci en vient à remplacer d’autres sources plus efficaces d’informations politiques, comme la presse écrite (2004, p166). L’indice tient compte à la fois du classement des pays en fonction de l’écoute de la télévision commerciale et de la consommation de journaux. Une note élevée indique qu’une assez grande proportion de gens regarde beaucoup la télévision commerciale, qui constitue pour de nombreux individus la seule source d’informations politiques.

Tableau 3.
Tableau 3.

Source Milner, 2004, p.173.

Dans le graphique ci-dessus, les pays sont représentés par leurs initiales (CH pour Chine, A pour Australie, NL pour Pays-Bas…). Les pays scandinaves, on le voit, engrangent un score de dépendance télévisuelle peu élevé tout en conservant un forte moyenne de participation aux élections municipales.

Milner établit ainsi une forte corrélation négative entre les notes agrégées de dépendance télévisuelle et les moyennes de participation aux élections locales. Il préconise de la part des institutions politiques une véritable prise de conscience « éducative » veillant à attirer vers le processus politique les individus qui se trouvent dans les strates « inférieures », exclus de la citoyenneté efficace. Les pays qui agiront dans ce sens intégreront les besoins de cette population au processus décisionnel et à ses résultats.

Selon lui, seule une démocratie à haut degré de connaissances civiques dispose des « capacités qualitatives d’en arriver aux compromis complexes qui permettent d’atteindre une égalité relativement élevée sans sacrifier l’efficience », particulièrement dans un environnement de mondialisation économique. (ibid, p.26) Cela peut aussi se formuler ainsi : Les sociétés qui connaissent une répartition égale des ressources informatives ou intellectuelles portent également en elles une répartition plus équitable des ressources matérielles, ainsi qu’un plus fort taux de participation politique de la part des citoyens.