2) L’ère de la Communication politique

Quel que soit le mode d’organisation sociale choisi, la relation entre la télévision (qui détrône en 1963 la radio à titre de support médiatique principal) et la démocratie est restée conflictuelle, à cause de la forme imagée du message, du nombre de canaux de diffusion et de l’incroyable dimension du public touché. Pour Dominique Wolton : « Les hommes politiques ont vu croître le public de la télévision avec un mélange de méfiance et d’appétit. Ils ont tout de suite vécu celle-ci comme un instrument de pouvoir. Les électeurs, si difficiles à atteindre, étaient là, à portée de main. On pouvait même entrer chez eux pour les séduire et les convaincre. En outre, ils ne pouvaient pas contester ou protester puisque la télévision fonctionne dans un seul sens. Les conditions étaient réunies pour un fantastique contre-sens : la toute-puissance politique de la télévision. Il reste à expliquer pourquoi cette croyance dans la toute-puissance persiste dans l’esprit des hommes politiques, alors que les contre-exemples abondent » (Wolton, 1983, Introduction).

Équilibre entre les discours des journalistes, de l’opinion publique et le discours politique, la Communication politique n’est possible que si les citoyens s’identifient, d’une manière ou d’une autre, aux discours et aux enjeux. Or, le drame de la société individualiste de masse actuelle est la distance véritable entre l’échelle de l’expérience vécue individuellement et l’échelle globale où s’élaborent l’économie et la politique. Les gouvernants tentent alors de rapprocher les deux perspectives à travers le discours médiatique qui répond cependant à des attentes économiques venant semer le trouble dans la production des messages par le corps des professionnels de la politique.

Dominique Wolton a formulé une hypothèse forte sur le rôle de la télévision généraliste grand public, dans la production d’un collectif identitaire : « Qu’est-ce fondamentalement que la télévision ? Des images et du lien social » [...] « En quoi la télévision constitue-t-elle un lien social ? En ce que le spectateur, en regardant la télévision, s’agrège à ce public potentiellement immense et anonyme qui la regarde simultanément et entretient, de ce fait, avec lui une sorte de lien invisible. C’est une sorte de common knowledge, double lien et anticipation croisée : Je regarde un programme et je sais que l’autre le regarde, qui lui-même sait que je le regarde » (1997, p.177).

Il y a là un collectif à l’œuvre, semblable au collectif de citoyens, mais sous emprise de la logique marketing qui est la logique dominante chez les producteurs des médias. Comme l’a très clairement souligné Wolton, les mesures d’audience mesurent la réaction à l’offre et non à la demande. Et dans un marché donné de médias, cette circularité renforce essentiellement le groupe de communication dominant.

L’émergence d’éventuelles nouvelles formes de demande est ainsi écrasée. La demande potentielle ne peut s’exprimer que par les baisses de taux d’audience, auxquelles les producteurs réagissent avec l’esprit le moins innovateur possible. Le collectif de citoyens étant moins palpable en ces temps de désintérêt pour le politique (désintérêt mis de côté conjoncturellement par la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles françaises), il est alors censé se réincarner à la plus grande joie des producteurs dans le monde des médias et de la télévision en particulier. La Communication politique est un équilibre fragile entre des composantes contradictoires. Chacune d’entre elles souhaite maîtriser l’orientation des échanges symboliques dont l’enjeu est toujours l’interprétation de l’espace politique du moment. À la télévision, les messages politiques classiques se raréfient, difficile de tirer des conséquences neuves et stimulantes des dernières émissions de débat, des journaux télévisés, non, l’attrait provient plutôt des messages qui contournent l’activité politique active des spectateurs et qui profitent de leur passivité devant l’écran pour leur asséner des vérités préfabriquées à l’intérieur d’une vie quotidienne reconstruite.