Chapitre 3. À propos des usages de la télévision par les individus

L'opinion résulte d'une médiation, dans la mesure où elle est produite à la fois par les médias, qui lui donnent une dimension collective et par les acteurs eux-mêmes qui l'assument et se l'approprient dans leurs discours et dans leurs pratiques. Les médias produisent de l'opinion en diffusant des images, des discours, des représentations  qui donnent la consistance de l'information aux idées et aux représentations dont sont porteurs les lecteurs et leurs usagers.

L'opinion se présente ainsi d'abord comme un jugement, une prise de décision, qui, si elle est imparfaite, n'est néanmoins pas différente de toutes les situations dans laquelle une personne doit faire un choix, émettre une préférence, déterminer son action. Or un jugement se définit, selon le Dictionnaire de la psychologie (PUF, 1996) comme « un acte de pensée comportant une décision qui peut constituer la conclusion d'un raisonnement ». Un jugement se construit, s’élabore, se fabrique. La fabrication de ce jugement se fait notamment à travers la mobilisation d'éléments de connaissance que le sujet a en sa possession. Ces éléments de connaissance sont même capitaux pour la prise de décision puisqu'ils sont le matériau à partir duquel la personne va juger. Il devient donc nécessaire d'étudier et de comprendre ces éléments de connaissances et c'est pour cela que nous adoptons le point de vue de la cognition sociale.

 La « cognition sociale » ou la « psychologie sociale cognitive » est issue des nouvelles approches cognitives et mentalistes qui sont apparues après la remise en cause du béhaviorisme en psychologie. Le béhaviorisme se limitait uniquement à l'étude du comportement, de la pratique, considérés comme seuls matériaux d'analyse valables pour le psychologue, les états mentaux (volonté, désir, motivation...) n'étant que des suppositions invérifiables puisque non observables. Dès lors, l'action, le comportement est envisagé comme réponse à un stimuli causé par une autre action ; la pensée n'existe pas, en tous cas elle est inobservable. (Lamizet, Silem, 1997).

 Sous l'impulsion de chercheurs comme Thomas et Znaniecki (1918) ou encore, plus récemment, Ash (1998), va s'opérer un tournant mentaliste, c’est-à-dire prenant en compte la réalité de ces états mentaux, de ces structures de connaissances internes et points de départ de l'action. Cette démarche est bien sûr à mettre en parallèle avec l'approche compréhensive de Weber et de Shutz (1967) en sociologie, qui implique qu’une explication ne doit pas seulement être causale, elle doit aussi comporter une compréhension, un acte d’interprétation.

La cognition sociale s'applique donc à comprendre l'acteur en tant que sujet de connaissances, connaissances qui lui permettent de donner du sens à son environnement, au réel et qui lui permettent ainsi de s'orienter, d'agir dans ce monde quotidien. La cognition sociale vise alors plus précisément à comprendre les structures de connaissances, leurs fonctionnements, leurs fabrications, et leurs modifications. Cette démarche compréhensive identifie comment une personne perçoit, met en forme, comprend le monde social à partir duquel elle aura à émettre un avis. Afin de saisir la conflictualité sociale, les rapports entre les groupes, il est indispensable d'identifier les représentations respectives de ces groupes.

Pour revenir à notre sujet particulier, la télévision, et à la science politique, il est tout aussi indispensable de comprendre comment une personne qui n’éprouve que peu ou pas d’intérêt pour le politique, ou bien ne disposant que de peu d’informations et de connaissances concernant le politique, peut avoir une opinion en la matière, peut fabriquer un jugement cohérent.

Car c’est au niveau d’intérêt pour le politique que nous nous intéressons, au jugement sur le politique que des spectateurs peuvent formuler, et nous nous demanderons si les programmes de fictions qu’ils ont visionnés peuvent être à l’origine de l’expression, de la formulation de ce jugement individuel ou au moins y concourir. Avant de présenter dans une seconde partie les objets médiatiques particuliers que constituent les séries américaines de fiction, il nous faut d’abord évoquer les théories courantes tournant autour des usages et des influences de la télévision, ainsi que celles qui sont consacrées à la lecture et aux effets des séries télévisées.