A) Sur la réception et les « effets » de la télévision

L’héritage scientifique de l’école critique de Francfort, d’Adorno à Marcuse, a peu à peu transformé le téléspectateur (et le public de télévision en général) en membre d’un groupe social « infréquentable », passif, manipulable, perdu dans la culture de masse. Il faudra attendre le début des années soixante-dix pour voir naître et grandir ensuite une nouvelle tradition de recherche, placée, elle, « du côté du public » (Le Grignou, 2003), une attention portée sur la réception des messages médiatiques par un public « réhabilité », des spectateurs qui seront désormais saisis par le biais d’entretiens, de dispositifs susceptibles de construire une véritable anthropologie de leur action, de leur expérience. Ces études prennent leur essor en Angleterre, à Birmingham en particulier, dans le cadre des reception studies (David Morley, Stuart Hall, 1980) et vont bientôt s’exporter à travers le monde, évitant la France pendant quelque temps. Pour qualifier ce renversement de problématique, ce passage d’une conception « consumériste » à une conception « interprétative » du message (Soulages, Lochard, 1998, p.203), Daniel Dayan écrit que les nouvelles études de la réception « ne parlent ni du public, comme le font les chercheurs empiriques ; ni au nom du public, comme le font les théoriciens critiques (…). Elles donnent au contraire la parole à ce public et tendent à s’effacer dans un premier temps devant cette parole » (Dayan,1993, p.18).

Sans rentrer dans les détails de l’ensemble des théories qui ont participé à ce revirement, ce qui ne servirait pas notre recherche personnelle, il convient néanmoins de revenir sur celles qui nous serviront de socle de compréhension pour l’étude des contributions des séries américaines de fiction à la formation des jugements sur le politique. Ces théories peuvent être présentées comme ayant participé d’abord à l’apparition d’une audience « active », qui opère des sélections dans les messages qui lui sont proposés, puis à la mise en valeur d’une audience « réflexive », relativisant par là même les effets cognitifs des messages télévisuels sur ceux qui les regardent.