2) La mise en valeur d’une audience « réflexive ».

On peut redéfinir le rôle de la télévision dans l’espace public à partir du concept élaboré par Habermas (1978). Wolton (1990), notamment, place au premier plan les fonctions sociales et culturelles de la télévision, surtout celle de service public. Ce media devient alors un moyen de régulation, d’expression et de démocratisation du monde moderne. Il ne dissout plus l’espace public, mais, au contraire, le forme.

D’autres analyses vont mettre l’accent sur la production sociale des significations des textes médiatiques, c’est-à-dire sur les aspects qualitatifs de la relation d’intérêt entre médias et société. Les analyses de ce type, qui peuvent être regroupées sous le titre de théorie des effets culturels, insistent sur le « processus » de communication et le concept fondamental utilisé dans cette perspective demeure celui d’audience active, laquelle va se différencier de l’intérieur en fonction des codes et des compétences culturelles de chacun. Comme le note Morley (1992, p.87), « L’audience n’est pas une masse indifférenciée d’individus, mais un modèle compliqué de sous-groupes et sous-cultures qui se superposent et à l’intérieur desquels s’agrègent les individus ». Les médias deviennent alors des ressources indispensables au fonctionnement des interactions, à l’intégration par une culture de masse. En ce sens, l’étude des modalités distinctives de constitution de sous-cultures spécifiques à certains groupes sociaux (la famille, les corps de métiers…) peut expliquer les divers mécanismes de structuration des relations médias/société (Dragan, Pelissier, in Courbet, Fourquet, 2003, p.103).

Marinescu (1999) résume ainsi la théorie de l’audience active :

Parallèlement à ces postulats, nous pouvons situer des théories plus récentes, comme celle de Fiske (1987) sur la « démocratisation » engendrée par la télévision, qui devient alors instrument de promotion d’une culture populaire spécifique en rupture avec les conceptions élitistes auto-protectrices, ou comme celle de Katz et Dayan, relative à la « télévision cérémonielle » (1998). Ces auteurs développent l’idée de réflexivité du public : celui-ci n’existe vraiment que s’il peut penser comme tel, ce qui suppose la satisfaction par les médias des différents besoins identitaires qui sont exprimés par les sous-groupes qui le composent. (Dayan va même jusqu’à réfléchir sur les notions d’hybridation, de métissage et d’indigénisation de la consommation médiatique, à partir de la télévision par satellite et des programmes câblés réservés aux « diasporas »). Cette audience « réflexive » semble donc bien prolonger celle d’audience active.

Notre travail de recherche se place dans le sillon de cette évolution théorique. Nous pensons que face à la télévision, et aux séries en particulier, le spectateur est actif, réflexif, mais aussi affectif. Il passe une sorte de contrat avec les médias, contrat qui comporte de nombreuses interactions, et qui dynamise le lien entre l’individu et les communications de masse. À ce titre, nous devons nous tourner vers une dernière théorie, celle du contrat de communication pour baser notre propos sur des recherches existantes.

La communication télévisuelle est à l’origine d’un processus d’interaction à visée régulatrice qui relie l’instance de production et l’instance de réception. Pour analyser celle-ci, certains auteurs ont avancé le concept de contrat de communication. « Tout acte de communication est interactionnel, parce que c’est au point de rencontre des processus d’emission-production et de réception-interprétation que se construit la signification sociale. Contractuel, parce qu’il faut bien que ces partenaires s’entendent (ne serait-ce qu’implicitement) sur les normes et les conventions qui vont permettre que se produise une certaine intercompréhension » (Charaudeau, 1991, p.11).

Dans ce positionnement contractualiste, Lochard et Soulages (1998, p.90) distinguent quatre catégories d’effets de la communication télévisuelle :

L’ensemble de ces paramètres doit nous conduire, de façon générale, à relativiser le pouvoir des médias : « L’instance de production est puissante. Mais aucun des acteurs, pour actif qu’il soit, n’a à lui seul du pouvoir. Le journaliste en tant que producteur de l’énonciation première est menacé par les exigences de réussite et d’audimat que la machine médiatique lui impose, et de plus, au terme du processus de mise en scène de l’information, son énonciation s’en trouve transformée. Le partenariat défini par le contrat de communication médiatique se fonde sur un rapport de résonance. Chacun des partenaires ne peut se mettre en phase provisoire avec l’autre que par le biais des représentations supposées partagées qui, portées par des discours, circulent parmi les membres d’une communauté culturelle donnée » (Charaudeau, 1997, p.99-100).

Nous pouvons alors nous rendre compte que les effets de l’information télévisée ne sont jamais donnés d’avance : il reste impossible d’affirmer d’emblée qu’ils sont « maxima » ou « minima ». En fait, ces effets existent bel et bien, mais leur intensité dépend ainsi, au cas par cas, de la situation de communication dans laquelle ils s’exercent. L’un des apports importants de cette relativisation du pouvoir des médias est à chercher notamment dans la prise en compte des affects, des émotions que le spectateur ressent devant les messages que lui fait parvenir la télévision. Ces émotions sont d’ailleurs de plus en plus mises en valeur par les travaux scientifiques, qu’ils soient liés aux neurosciences ou à la science politique, venant ainsi nuancer la force rationnelle et stratégique de celui qui regarde,