1) Le cas de Dallas

Katz et Liebes ont mené une enquête sur 600 téléspectateurs issus de six communautés culturelles (Liebes, Katz, 1990). Quatre de ces communautés sont israéliennes – des Arabes, des Juifs récemment immigrés de Russie, des Juifs marocains, et des membres d’un Kibboutz de la deuxième génération ; une cinquième communauté se compose d’Américains de la deuxième génération vivant à Los Angeles ; la sixième, de Japonais de Tokyo, où « Dallas » a connu un échec retentissant.

D’après les conclusions de cette étude, chaque communauté culturelle a sa propre manière d’interpréter le programme et de le raconter. Les groupes arabes et juifs marocains déroulent un discours linéaire, pris dans l’histoire séquentielle, et situent les personnages par leurs rôles familiaux. Les Kibboutznicks et les Américains ont un récit segmenté, centré sur les personnages qu’ils identifient par leurs noms, et, contrairement aux précédents, ils aiment jouer de l’histoire qui leur est racontée et anticiper les événements à venir. Les Juifs russes se situent encore dans un autre schéma avec un récit thématique, centré sur les messages, et un discours très critique qui fait abondamment référence au contexte de production du programme – les acteurs, les producteurs hollywoodiens, l’idéologie capitaliste américaine (Liebes, Katz, ibid).  

Déjà en 1983, Stolz avait proposé l’hypothèse d’une lecture de « Dallas » déterminée par l’inscription culturelle du téléspectateur. Il avait montré qu’en Algérie, les personnages et les intrigues de « Dallas » ne sont pas perçus comme un univers réaliste ni une image du capitalisme moderne, mais comme un récit qui met en scène une réalité que les Algériens ont connue par le passé comme les valeurs traditionnelles d’allégeance à la famille large, l’autorité du père de famille, la solidarité de la famille contre l’extérieur, etc… (Stolz, 1983). En 1985, Ien Ang avait, quant à elle, démontré qu’en Hollande, Dallas était vécu comme un antidote à l’absence de structure familiale contraignante qui caractérise la société néerlandaise. (Ang, 1985).

Citons encore pour finir l’étude d’Herta Herzog qui montre, en 1986, qu’en Allemagne, à l’inverse de la Hollande, « Dallas » exalte chez les téléspectateurs le sens de la solidarité familiale large telle que les Allemands la vivent mais sans oser l’assumer. (Herzog-Massin, 1986).

Cette étude de cas renforce les bases de l’angle d’analyse de réception envisagé ici. Ainsi, alors que de nombreuses recherches, particulièrement dans le courant des recherches sur les effets, mettent l’accent sur l’influence des médias sur les valeurs, le comportement et les représentations des téléspectateurs, l’approche des « lectures culturelles » mettent en avant le processus inverse, l’influence de la culture sur la compréhension du programme, sur les significations et le sens qui lui est donné.