2) Le feuilleton et la littérature à forme segmentée

L'exécution d'une œuvre en plusieurs séances, la lecture discursive et la publication par livraison constituent un phénomène plus général (sans doute aussi ancien) que la parole et la littérature dont il relève: les genres à forme longue ont toujours eu tendance à la forme épisodique soit dans leur structure (épisodes), soit dans leur exécution (séances), soit dans leur réception (lecture fragmentée). L'épopée en est sans doute un exemple caractéristique. Souvent trop longue pour être chantée d'une traite, elle peut être exécutée par une succession d'aèdes se passant le relais ou en plusieurs séances selon les usages dans la culture considérée. Les coupures peuvent correspondre à une articulation; en pareil cas nous avons affaire à une structure strictement épisodique imposée comme une contrainte du genre; mais elle peut aussi être arbitraire ou ne correspondre qu'à une unité de temps, l'aède s'arrêtant au milieu de son texte et le repérant là où il l'avait laissé. Le roman-feuilleton pratique l'une ou l'autre formule, chaque livraison pouvant être simplement limitée par un espace à texte ou donner un chapitre complet (Migozzi, 1999, p.164).

La structure du récit fragmenté est plus complexe qu'il ne paraît. Un épisode peut être fragmenté en plusieurs actions par des contraintes d'espace, constituant une série continue quant à la narration d'une série de récits complets. L'auteur détermine une longueur moyenne d' « espace-texte » selon ses propres visées, mais aussi selon les exigences implicites de l'horizon d'attente de ses lecteurs implicites. Les chapitres peuvent recevoir des titres qui sont soit des formules de captation d'intérêt, soit des explicitations de l'action, sortes de clés de lecture; soit des anticipations. La division en parties de la pièce de théâtre présente des caractéristiques semblables.

L'opposition des deux grandes épopées antiques l'Iliade et l'Odyssée peut servir à caractériser les deux types de narration longue soit la narration continue qui va être fragmentée par la contrainte d'espace-temps et texte, soit l'organisation en épisodes plus ou moins autonomes à l'intérieur d'une seule oeuvre.

Ces deux types se retrouvent dans la série télévisée de fiction américaine ou brésilienne. L'espace-temps est déterminé par la nécessité des grilles des programmes et, derrière elle, par un horizon d'attente de téléspectateurs et souvent l'efficacité publicitaire. Une heure est une mesure courante concernant d'importantes variations selon les époques et les pays (Benassi, 2000).