Partie 3. La démocratie à l’écran

Selon les auteurs du « General Inquirer », et Peter Stone en particulier, l’analyse de contenu doit être assimilée à « toute technique permettant de faire des inférences en identifiant objectivement et systématiquement les caractéristiques spécifiées du message » (Stone, 1966). Les contenus qu’il nous faut observer sont les messages politiques émis par quatre grandes séries américaines de fiction. Il convient alors de délimiter d’une part la quantité de documents à observer et d’autre part les grilles interprétatives permettant le recueil de données propres à illustrer la problématique de cette Thèse, c’est-à-dire la place de la politique dans ces fictions, dans la réalité médiatique. Compte tenu de la force de suggestion inhérente au médium télévision, notre démarche s’attardera dans les parties suivantes sur les conséquences d’un impact de ces objets sur la construction des représentations politiques par les individus.

Nous avons décidé de retenir une définition institutionnelle du politique, et c’est cette définition qui va d’abord justifier les grilles de lectures que nous allons utiliser pour interpréter les séries américaines sélectionnées lors de la deuxième partie de notre travail. Cette définition doit s’accorder ensuite avec ce que l’on sait de la force de suggestion de ces séries, qui permettent aux spectateurs de s’identifier à ce qu’ils voient à l’écran. Nous avons vu que les téléspectateurs s’identifiaient principalement aux personnages qui leur étaient proposés par les séries, ainsi qu’à l’environnement privé et public « réaliste » qui leur était proposé. Il s’agit donc de former trois grilles de recueil des données à l’écran.

Les deux premières grilles se rapportent à une analyse plus « vérificative », si l’on reprend les terminologies de Madeleine Grawitz dans ses « Méthodes des sciences sociales » (1996, p.353), c’est-à-dire ayant pour but un objectif précis, dans la volonté de confirmer une hypothèse, à savoir ici la construction d’une vision politique ou apolitique du monde par ces fictions américaines, vision qui reste toutefois à qualifier par l’interprétation des données. La troisième grille, quant à elle, s’apparente à une analyse « d’exploration », puisqu’il s’agira de prendre note, plus thématiquement, de l’émanation des rapports collectifs, des mobilisations, chers à ce type de divertissement généraliste (famille, amis, travail) pour évaluer à sa juste valeur la description du « vivre ensemble » soulignée par ces séries.

Ces analyses de contenu mêlent donc un traitement quantitatif et qualitatif des messages télévisuels, elles supposent le visionnage d’un nombre significatif d’épisodes pour pouvoir servir de base interprétative, ce qui concentre le champ des recherches sur les épisodes disponibles sous forme de cassettes vidéo ou de DVD (12 à 24 épisodes) des quatre séries retenues, et achevées au niveau de leur production, ce qui exclut l’analyse des programmes les plus récents. Nous nous concentrerons ainsi sur les six saisons des Sopranos, les sept saisons de The West Wing, les cinq saisons d’Ally McBeal, et les dix saisons de Friends.

Que nous apprend le visionnage de l’intégralité des saisons disponibles des séries retenues sur le politique, le pouvoir, les hommes politiques et la société qu’ils représentent ? Quel monde se dessine au fil des épisodes et des situations ? Quels citoyens sont à l’œuvre dans la démocratie fictionnelle ? Nous verrons que le « quotidien » des séries sépare en profondeur l’individu de ses institutions, et que ces dernières, politiques y compris, s’effacent en majorité pour souligner l’incapacité des héros à s’épanouir et exister convenablement dans les limites d’un système social et culturel occidental en déclin.

Économique et artistique sont, à ce propos, encore étroitement noués, et c’est là-dessus qu’il faudra terminer notre troisième partie, sur l’enjeu culturel des séries américaines de fiction, sur la programmation de leur réception auprès des téléspectateurs. En plus de l’enjeu économique que représentent ces fictions, les messages politiques, les représentations du monde portées à l’écran servent les producteurs, les créateurs de séries télévisées. En choisissant ce sur quoi le spectateur doit maintenir son attention, en remodelant le monde extérieur dans une réalité médiatique qui contribue à la fabrication des jugements sur le politique, les producteurs usent du pouvoir culturel de la télévision pour maintenir en l’état leur propre système hégémonique qui fonde leur pouvoir économique dans les sociétés démocratiques occidentales.