a) Une Maison-Blanche idéalisée

En tant que fiction, The West Wing se propose de divertir le téléspectateur, non pas de dresser un portrait véridique du pouvoir à Washington. Chaque épisode mêle la politique au drame, et se termine par une note émotionnelle ou cathartique, ce qui n’empêche pas les créateurs de la série de donner à leur Maison-Blanche un ton idéaliste. Dans un entretien, Aaron Sorkin parle de ses personnages : « Il s’agit de héros, ce qui est inhabituel dans la culture populaire américaine. Les politiciens sont souvent montrés comme des pantins machiavéliques au cinéma ou à la télévision. Dans la série, ils ont des défauts, bien sûr, c’est bon pour le récit, mais ils dédient leurs actes au Président, et à la cause elle-même C’est un chant d’amour pour le service public ».

La série humanise l’équipe présidentielle, présente chaque aide du président comme une personne loyale, très professionnelle et passionnée. Le Président, lui-même, a de fortes poussées de libéralisme, qu’il tempère par des décisions pragmatiques au vu de l’actualité. Chris Lehmann, éditorialiste du Washington Post, trouve que la série montre « ce qu’aurait dû être la présidence de Bill Clinton », une révision après-coup de l’action idéale d’un gouvernement démocrate au pouvoir en Amérique (article du 5 octobre 2001). Dans « The real White house », paru en 2000, Matthew Miller trouve la Maison-Blanche de la série « trop peuplée et trop caféinée » (p.113). Elle ne montre pas la véritable institution, où les politiciens passent le plus clair de leur temps au téléphone ou dans des « meetings « tendus », des négociations sans fin. Les hommes politiques de la série marchent sans arrêt, l’adrénaline pour seule ressource. À la question : « Reconnaissez-vous la Maison Blanche de Clinton dans la série The West Wing ? », posée par le magazine politique The Atlantic Monthly dans son édition du 4 octobre 2001, Rica Rodman Orszag, ancienne conseillère du président démocrate, répond que « travailler pour Bill Clinton était encore plus intense et épuisant que ne le suggère the West Wing ».

La fiction exagère aussi les liens familiers qui peuvent exister entre les membres de l’équipe présidentielle. Elle met un voile sur les relations de compétition, de concurrence, de conflit d’opinion qui prédominent le plus souvent entre ces professionnels de la politique. Dans un livre du journaliste Jeffrey Birnbaum, Paul Begala, conseiller personnel de Bill Clinton pendant l’exercice de son mandat présidentiel raconte comment l’atmosphère du « staff » s’était dégradée au pouvoir, comparée à celle de la campagne menée en 1995-96. Il écrit ceci : « Au pouvoir, l’esprit de famille a lentement disparu, le travail est devenu de plus en plus ardu et le nombre de personnes faisant partie du staff s’est réduit au fil des années. La Maison-Blanche est un lieu très impersonnel et puis les luttes d’ambitions ont pris le dessus » (1996, p.88).

Si la série traite les relations de travail avec une touche de romantisme, il en va de même pour la personnalité du Président. Dans un article du New York Times, paru le 15 décembre 1999, Caryn James dénonce les discours libéraux du président Bartlet. Elle se demande comment un président qui fait « tant de paroles en l’air » a pu être élu, même fictivement. « He’s a deus ex president arriving from fantasyland ». Aucun président réel ne pourrait prendre des décisions aussi libérales que celles défendues par le personnage de Bartlet. Dans l’épisode « Laissez Bartlet être Bartlet », le président doit combler des sites vacants à la FEC (Federal Election Commission). Cet organe qui gère le financement des partis politiques est composé de trois démocrates et de trois républicains pour assurer son indépendance. Or, Bartlet, qui est en manque de popularité, décide de nommer deux démocrates de son camp à la commission, ce qui ne laisse que deux républicains en place. Cette situation est impossible dans la réalité, le sujet du financement des campagnes étant trop sensible pour être déséquilibré par la couleur politique des décideurs. (Levine, in Rollins, O’Connor, 2003, p.46).

L’épisode « 24 heures à L.A. » est un autre exemple de cette liberté de ton qui ne peut s’appliquer dans la réalité. Dans cet épisode, l’équipe présidentielle est interpellée pendant une réunion à Los Angeles par un groupe qui se plaint de voir trop souvent dans les journaux télévisés des individus brûlant le drapeau américain en public. Le président, visiblement énervé, demande s’il y a « une épidémie  de drapeaux brûlés », il trouve le sujet ridicule. Il dit la vérité, sans consulter son équipe, quitte à humilier un groupe de citoyens patriotes. Seul un président idéalisé peut utiliser ce langage dans une réunion publique. Mais la série, malgré ses excès, est capable de dresser un portrait souvent juste de la vie au travail à la Maison-Blanche.