c) Des manques certains

Michael Deaver, conseiller de Ronald Reagan, à propos de la Maison-Blanche utilisait les termes suivants : « Des gens sont prêts à tuer pour obtenir un bureau dans l’aile ouest de la Maison-Blanche. Vous en verrez certains travailler dans des placards, dans des petits recoins de l’aile ouest plutôt que d’accepter des grands bureaux dans le bâtiment exécutif à quelques centaines de mètres de là ». (Brauer, 1988, pp74-80).

Selon Georges Reedy, attaché de presse de Lyndon Johnson, la vie d’un conseiller du président n’a qu’un seul but « gagner et maintenir l’accès au président ». (Reedy, 1987, From Johnson to Reagan, New York, p.76). La série The West Wing ignore les révérences constantes des conseillers du président envers leur chef afin de gagner des points personnels pour la suite de leurs carrières respectives. Dans la réalité, peu de conseillers viennent troubler les décisions présidentielles, la « monarchie présidentielle » (Reedy, 1987, p.97), ce sont des « Yes Man » selon l’expression américaine. Ils disent que tout va bien alors que les sondages sont au plus bas, ils ne veulent pas perdre la confiance de leur chef. Dans la série, au contraire, les conseillers savent élever la voix s’il le faut. C’est la spécialité du personnage Toby Ziegler, directeur de la communication, qui ira même jusqu’à demander au président si il « était battu par son père étant enfant » pour justifier sa peur de réussir (Les deux Bartlet, épisode 13, saison 3).

Les membres du staff en général évoluent dans un climat de critique stratégique de leur propre action et aussi du comportement du président. Le secrétaire général, Léo Mac Garry ne se retient jamais pour parler directement, en privé, au président. Dans le dernier épisode de la saison 5, il bouscule Bartlet qui n’agit pas face au conflit israélo-palestinien. Il voudrait voir son président punir les palestiniens qui ont commis un attentat sur une mission diplomatique américaine. Bartlet ne veut pas mettre en cause le processus de paix et refuse d’intervenir. Mac Garry est furieux, comme l’opinion publique américaine, et le président se retrouve seul face à ses décisions, isolé. Il n’y a que dans la fiction que l’isolement du président est possible.

Le quotidien à la Maison-Blanche est finalement peu dérangé par des affaires d’ordre international. Ainsi, quatre épisodes seulement sur les 22 de la première saison font référence à un problème de politique étrangère : deux sur les rapports tendus avec l’Irak (un avion abattu avec des Américains à son bord, et un avion abattu dont le pilote sera sauvé, respectivement épisodes 4 et 22), et deux sur les rapports aussi tendus entre l’Inde et le Pakistan à propos du Cachemire (épisode 11 et 12, une menace de guerre nucléaire est repoussée). Le président Bartlet prend lui-même les décisions des ripostes nécessaires, mais il est néanmoins calmé dans ses ardeurs attisées par la mort d’Américains (tourment ultime) grâce à son état-major composé de généraux avisés. Le terrorisme n’est pas encore à l’ordre du jour, cependant il est facile d’imaginer que les questions internationales sont trop peu représentées au cours de cette saison. Elles seront plus nombreuses dans les saisons suivantes, comme si les créateurs de la série avaient rectifié d’eux-mêmes cette lacune de taille.

La vice-présidence est un autre sujet que la série aborde à contre-courant de la réalité politique américaine. Le vice-Président est décrit comme un second couteau, un homme politique sans envergure, qui sert de mauvaise doublure au Président, et qui ne dispose que d’un faible pouvoir décisionnel. Le personnage de John Hoynes, au cours des trois premières saisons de la série, ne participe à aucune réunion politique majeure à la Maison-Blanche. Il démissionnera d’ailleurs au cours de la saison 4 après la révélation publique de sa liaison avec une journaliste à qui il a révélé des informations secrètes. Sa démission sera utilisée par le président pour vanter la loyauté de son équipe, qui ne pourrait pas se conduire de la sorte. (Life on Mars, épisode 21, saison 4)

Les Etats-Unis ont connu des vice-présidents influents dans leur histoire politique récente, notamment à partir du travail de Walter Mondale, et de personnalités comme George H. Bush, sous Ronald Reagan, ou Al Gore sous la présidence de Bill Clinton. Leurs pouvoirs ont lentement augmenté, ils deviennent ainsi des « assistants du président » selon une formule de Michael Genovese (1998, p.318). Le vice-président moderne conseille le président et acquiert sa confiance petit à petit. Il n’est pas écarté du cercle présidentiel. Dick Cheney, au début du premier mandat de George W Bush, a servi de complément au président. Il était trop âgé et pas assez bien portant pour promouvoir ses propres intérêts. Il avait l’expérience du pouvoir qui manquait à George W. Bush, son rôle dépassant même celui d’Al Gore auprès de Bill Clinton.

La série présente un vice-président qui se dispute constamment avec le président et qui est prêt à rendre publiques de telles dissensions. La réalité est tout autre. Dans son adresse à son successeur, Walter Mondale, précisait son rôle dans le gouvernement : « Donner son avis au président. Il faut être entendu, ne surtout jamais imposer son opinion. C’est le président qui décide à la fin des débats ». (Genovese, 1998, p.332).