a) Une tribune politique unique en son genre

Alors que beaucoup de citoyens américains font preuve d’un cynisme certain face au personnel politique au pouvoir, comment se fait-il qu’une série télévisée complexe, dédiée aux questions politiques nationales et internationales puisse se hisser au 13e rang des meilleures audiences en 1999, puis au 7è rang à partir de 2001 (Television’s top fifty 2001). dans le paysage audiovisuel de ce même pays ?

L’acteur Martin Sheen admet lui même qu’aucun film ne peut capturer l’essence de la fonction présidentielle (Cincinnati Enquirer, 17 octobre, 1999), qu’il s’agit simplement d’une « entreprise pédagogique » afin d’augmenter la confiance des téléspectateurs pour cette fonction. C’est cet esprit pédagogique qui draine un nombre accru de spectateurs à chaque nouvelle saison de la série. Les spécialistes politiques s’entendent d’ailleurs sur ce sujet : Robert Stutman, ancien directeur de la DEA (Administration anti-drogues) s’étonne d’avoir trouvé dans un épisode de la série (Spinewall, épisode 7, saison 2) le seul débat intéressant et pertinent sur les drogues de l’année 2000, un député démocrate s’est servi de l’épisode 22 de la saison 1 de la série, « Mensonges et statistiques », pour ouvrir le débat sur les réparations qui devraient être allouées à la communauté noire après la fin de l’esclavage.

La série se sert de problèmes contemporains pour explorer les concepts plus fondamentaux du pouvoir politique et de ses ramifications. Elle démontre que la tâche présidentielle n’est pas uniquement symbolisée par un seul homme, mais par une institution qui compte de nombreux participants. Elle met en scène le monde des conseillers et des spécialistes, les hommes de l’ombre qui soutiennent et parfois inspirent le président. Dans le pilote de la série, le président n’intervient que dans les dernières minutes de l’épisode. Les premiers personnages qui sont présentés sont ses conseillers, le spectateur prend immédiatement conscience des rouages de l’administration, de la somme des multiples individualités qui composent la Maison-Blanche.

La relation privilégiée, pendant les deux premières saisons, entre l’attachée de presse CJ Cregg et le journaliste Danny Concanon, permet de saisir au mieux le lien entre médias de presse écrite et l’équipe présidentielle, lien difficilement descriptible par l’une ou l’autre des parties, forcément subjectives. Cette relation renvoie au mariage dans la vie réelle de Dee Dee Myers, attachée de presse de Bill Clinton, et de Todd Purdham, un reporter du New York Times.

La complexité des opinions au sein même de l’équipe dirigeante est un autre point fort de la série. Dans l’épisode The Short List, épisode 9 de la saison 1, le président Bartlet doit nommer un juge à la cour suprême des Etats-Unis. Son directeur de la communication argumente en faveur d’un candidat consensuel, tandis que le directeur adjoint de la communication défend un candidat plus libéral. Le combat d’idées est rude et il faut attendre la fin de l’épisode pour que l’option libérale soit validée. À titre de comparaison, le secrétaire du travail de Bill Clinton, Robert Reich a écrit sur sa volonté de tirer la politique du gouvernement vers une couleur d’action plus libérale, tandis que, dans le même gouvernement, le sondeur Dick Morris essayait de pousser le président dans des retranchements plus conservateurs. Ce sera le sondeur conservateur qui remportera l’initiative, contrairement à l’épisode de la série télévisée.

En faisant entrer une républicaine au cabinet juridique de la Maison-Blanche (épisode 4 de la saison 2), The West Wing propose au téléspectateur de réfléchir sur le clivage démocrates/républicains d’une manière un peu plus subtile qu’il ne l’avait fait au cours de sa première saison de diffusion. La juriste républicaine va peu à peu s’intégrer à l’équipe et se confronter à des comportements hostiles avant de constituer pour le président un véritable baromètre des réactions républicaines aux projets démocrates en cours de développement.

Quand ce ne sont pas les situations qui décortiquent les problèmes contemporains auxquels l’administration américaine est confrontée dans la vie réelle, la série permet aux personnages de jouer le rôle de professeur grâce à des assistant(e)s candides qui demandent des explications détaillées. C’est le cas de l’assistante de Josh Lyman ; Donatella Moss ne comprend pas toujours tous les enjeux d’une question posée à son patron. Celui-ci va alors, avec des exemples précis, tenter de l’éclairer sur des sujets aussi délicats et variés que l’aide extérieure des Etats-Unis, la conquête spatiale, la grâce présidentielle, le recensement, la dette des pays pauvres. Chaque personnage principal possède ainsi son double qui va poser des questions à la fois naïves et pertinentes, double qui va à la fois le pousser à mieux travailler son argumentation personnelle et à faire du spectateur un témoin privilégié de l’élaboration des réponses face aux imprévus politique et à l’opacité certaine du monde politique du 21ème siècle.