B) Un monde de classes moyennes

Dans son ouvrage « Television Culture », John Fiske tente de souligner les similitudes et les oppositions qui structurent l’évolution des personnages à partir de tableaux recensant leurs caractéristiques principales (1990, p.156-159).

Nous avons choisi d’établir ce même type de tableau en changeant néanmoins quelques données parmi les caractéristiques à définir au départ. Parmi la dizaine de modèles obtenus, quatre semblent devoir être présentés ici afin de cerner plus précisément à la fois les portraits « de classe » des héros de série, mais aussi les cibles souhaitées par ces productions, le public qui a le plus de chance de s’identifier au récit et à ceux qui l’incarnent.

Les tableaux comparent Ally McBeal et Monica Geller de Friends, Tony Soprano et Richard Fish (d’Ally McBeal), Rachel Green et Phoebe Buffay, toutes deux de Friends, et enfin Josh Lyman de The West Wing et Joey Tribianni de Friends. Il s’agit ainsi de constater l’éventail des « valeurs » comme dirait John Fiske, les traits prépondérants (jeunes Américains blancs des classes moyennes et supérieures, attachés à l’argent, et non-concernés par la politique, sauf pour ceux dont c’est le métier) et répétitifs qui fondent le style et la répartie des personnages.

Les informations issues de ces tableaux confirment la déformation démographique et ethnique de la société par les séries américaines (héros blancs, riches le plus souvent, et bien portants) dont nous parlions plus haut. Elles permettent aussi de constater l’appartenance des personnages fictionnels principaux aux classes moyennes et supérieures de la société dans leur majorité. La conflictualité sociale liée à la précarité ou à l’inégale distribution des richesses n’est donc ici pas envisagée, le spectateur n’y songera pas en regardant son écran. Il verra des héros à l’aise financièrement, ou ne se souciant pas de leurs finances, avec un travail inexistant (Friends), facile à vivre (Ally MacBeal) ou crapuleux (Tony Soprano). Seuls les héros de West Wing ne vivent que pour leur travail, mais comme celui-ci se déroule à la Maison-Blanche, le risque de précarité n’est pas à imaginer. Qu’en est-il de ce travail justement ? Des collectifs ? Des espaces professionnels et familiaux ? On pourrait penser qu’ils mettent en jeu des individus intégrés dans la société, actifs dans leur collectivité, or c’est tout le contraire, l’ego ressurgit et avec lui la psychologisation des événements.