B) Le choix de l'échantillon

Cette étape de l’enquête est relativement délicate. L’enquête par questionnaire n’a pas pour vocation de dresser un portrait précis et « représentatif » de la population française face aux séries américaines à la politique. Une telle vocation nécessiterait plus d’un millier de questionnaires, beaucoup plus de temps et de moyens que ceux dont nous avons bénéficié pour notre travail. Il faut cependant ne pas trop nous écarter d’une « réalité » statistique et sociologique. Cela revient à nous poser deux types de questions :

  • Qui détient les informations que nous souhaitons obtenir ?
  • En quoi veut-on que l'échantillon soit représentatif de la population ?

L’échantillon dit représentatif qui va présenter les mêmes caractéristiques que la population et autorisant la généralisation des résultats est rarement employé, dans la mesure où les enquêtes ne comportent souvent pas des effectifs suffisants, et où, surtout, ne se posent pas le problème de représentativité statistique. Nous avons donc décidé de bâtir un échantillon qui repose sur la sélection de composantes non strictement représentatives mais caractéristiques de la population.

Dans leur ouvrage L’enquête et ses méthodes : L’entretien (2001, p.54.), Alain Blanchet et Anne Gotman évoquent ce type d’échantillon : « La constitution de l’échantillon diversifié subit une double contrainte et résulte, en règle générale, du compromis entre la nécessité de contraster au maximum les individus et les situations, et, simultanément d’obtenir des unités d’analyse suffisantes pour être significatives. Diversifier mais non disperser ».

Cette diversité peut être elle-même définie en fonction de variables stratégiques, liées au thème et supposées, a priori, jouer un rôle important dans la structuration des réponses ; ou bien à partir de variables descriptives classiques de positionnement, telles que le sexe, l’âge, ou la catégorie sociale. Notre travail se penche sur les possibles contributions de séries au jugement sur le politique. Il convient alors d’interroger des personnes ayant une télévision ou ayant déjà été confronté à une série américaine de fiction. Il fallait nous tourner vers le public de ces séries pour constituer une population-cible.

C’est pourquoi nous avons décidé de nous en tenir dans un premier temps à l’audience, à ceux qui regardent ces séries sur les écrans français, et dans un second temps à la cible télévisuelle des séries américaines, c’est-à-dire « une population d’hommes et de femmes », ayant « entre 18 et 30 ans, et vivant dans les centres-villes » selon la définition des principaux éditeurs et diffuseurs de séries : Warner Bros., HBO et Paramount (Shales, 2001).

Il se trouve que ce que l’on sait de l’audience des quatre séries américaines retenues à partir des études de l’institut Médiamétrie, entre 2000 et 2003 conforte le terme de « population-cible », choisi par les producteurs de fiction. En effet, ce sont majoritairement (84% d’après Médiamétrie en 2003) des hommes et des femmes entre 18 et 30 ans qui forment les téléspectateurs de The Sopranos, Ally MacBeal, Friends et The West Wing.

Cette cible doit ensuite s’adapter au terrain d’investigation dont nous disposions, c’est-à-dire la ville de Lyon, son centre-ville en particulier, ainsi qu’a sa population des 18-30 ans. Nous avons décidé de retenir la variable descriptive classique des catégories sociales pour obtenir un échantillon caractéristique d’une telle population.

En 2004, l’INSEE fait paraître dans son enquête emploi, un tableau statistique traitant de la répartition des actifs ayant un emploi par âge et par catégorie socioprofessionnelle. Nous avons choisi de nous intéresser à la case des « 15-29 ans » et de la transposer à notre échantillonnage de population.

Tableau 9 : Répartition des actifs ayant un emploi par âge et catégorie socioprofessionnelle.
  En 2004, en %
Catégorie socioprofessionnelle 15 à 29 ans 30 à 49 ans 50 ans et plus Ensemble
Agriculteurs exploitants 0,8 2,3 5,1 2,7
Artisans, commerçants et chefs d'entreprises 1,7 5,8 9,6 5,9
Cadres et professions intellectuelles supérieures : 8,7 15,0 17,7 14,4
Professions intermédiaires : 23,7 24,3 20,8 23,3
dont : Instituteurs et assimilés 3,7 3,1 3,2 3,2
Professions intermédiaires de la santé et du travail social 5,0 4,6 3,8 4,5
Professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises 8,0 7,6 5,6 7,2
Techniciens 5,1 4,2 3,2 4,1
Employés : 33,7 28,0 26,6 28,8
dont : Employés civils et agents de service de la fonction publique 6,5 9,6 9,1 8,9
Policiers et militaires 3,3 1,9 1,0 2,0
Employés administratifs d'entreprises 8,1 6,9 5,9 6,9
Employés de commerce 9,0 3,5 2,2 4,3
Personnels des services directs aux particuliers 6,7 6,0 8,4 6,7
Ouvriers : 31,3 24,5 20,2 24,8
dont : Ouvriers qualifiés de type industriel 5,2 6,0 5,5 5,7
Ouvriers qualifiés de type artisanal 7,5 5,8 4,5 5,8
Chauffeurs 1,8 2,7 2,6 2,5
Ouvriers qualifiés de la manutention, du magasinage et du transport 2,0 2,2 1,6 2,0
Ouvriers non qualifiés de type industriel 7,3 4,2 2,7 4,4
Ouvriers non qualifiés de type artisanal 5,7 2,5 2,3 3,1
Catégorie socioprofessionnelle indéterminée 0,1 0,0 0,0 0,1
Ensemble 100,0 100,0 100,0 100,0
Champ : France métropolitaine, actifs occupés de 15 ans ou plus

Source : Insee, enquête emploi de 2004

Selon les mêmes sources, le taux de chômage des jeunes actifs de moins de trente ans s’élève à 18% de la population active, et le taux de jeunes de moins de trente ans inscrits dans l’enseignement supérieur serait de 13,7% de la population active.

Il s’agira donc de nous rapprocher au maximum de ces caractéristiques même s’il est difficile de connaître le taux exact de population active occupée (ayant un emploi) dans la population active globale, ce qui constitue un biais certain dans la sélection des personnes à interroger. Nous nous bornerons à questionner une population lyonnaise active, paritaire, entre 18 et 30 ans, partagée entre population active occupée, population active sans emploi et population active inscrite dans l’enseignement supérieur.

Les chiffres de l’INSEE ont pour champ d’étude la France métropolitaine, il convient de l’adapter à la ville de Lyon en particulier. Un hors série INSEE de la même collection, paru en janvier 2002, revient sur les disparités géographiques de l’emploi en France. Il précise notamment que :

  • Les ouvriers sont caractérisés par une opposition qui perdure entre une France du Nord (y compris Rhône-Alpes) et une France du Sud moins industrielle. Peu d’ouvriers habitent le centre des métropoles. Leur présence est particulièrement forte dans les banlieues industrielles anciennes de Paris, Lyon, Lille ainsi que dans les anciens bassins miniers du Nord et de l’Est. Cependant la vitalité de l’industrie rurale dans l’Ouest, ainsi que la tradition industrielle en Alsace, se confirment.
  • Le trait majeur des cadres est leur concentration dans les villes, et même pour l’essentiel dans les métropoles régionales qui monopolisent les fonctions supérieures. Ils sont en revanche peu présents dans les zones de tradition ouvrière, tels le bassin houiller du Nord, la Seine-Saint-Denis, l’Est lyonnais, ainsi que dans les campagnes de l’Ouest, de façon cependant moins prononcée.
  • Comme les cadres, les employés sont présents dans les métropoles, surtout l'agglomération parisienne, mais ils sont exclus de leurs centres, et peu présents dans les zones les plus ouvrières et/ou agricoles. Cependant, à la différence des cadres, ils sont nombreux dans la majorité des villes moyennes, voire petites.
  • Les agriculteurs sont très présents dans l’Ouest, le Massif Central et le Sud-Ouest. Les densités les plus fortes sont atteintes dans les vignobles d’appellation contrôlée (Champagne, Bordeaux, Beaujolais…) et dans les zones d’élevage laitier (Mayenne, Monts du Lyonnais…). Ils sont, sans surprise, exclus des agglomérations urbaines, mais présents non loin, ce qui confirme la vitalité de l’agriculture périurbaine.

Notre échantillon diversifié devra dès lors se construire à partir de ce que l’on sait de l’audience de ces séries, de ceux qui la regardent (des individus entre 18 et 30 ans majoritairement), ce qui correspond aussi à la population-cible des séries par les producteurs de fiction. Nous devrons aussi y intégrer ce que nous disent les chiffres de l’INSEE sur la population active des jeunes, tout en respectant leurs modulations à partir du choix de l’agglomération lyonnaise pour terrain d’enquête.