1) Le téléspectateur à divertir

Ce téléspectateur apprécie la télévision. Ce qui compte dans son cas, c’est le niveau de détente que peut lui accorder le petit écran. Après une grande journée de travail, il « aime » à se retrouver devant la télévision, pour laisser son esprit se reposer. Il n’adopte aucune posture véritablement réflexive sur les programmes qui lui sont proposés. Il « zappe » un peu sur toutes les chaînes et fixe son intérêt sur des émissions au gré de l’offre qui lui est proposée. Il choisit en priorité les programmes de divertissements, tout ce qui peut le faire « rire » ou lui « changer les idées ». Selon son état de fatigue physique ou son envie de « digression intellectuelle », il peut s’intéresser à un programme plus « culturel » ou « complexe », cela dépendra du sujet abordé ou de sa journée passée au travail, ou en repos. Peu importe alors son niveau de diplôme, son sexe, son âge ou sa profession, ce profil dépasse aussi les variables classiques de sélection et de classification des individus. Il conserve cependant un certain recul sur sa propre posture de téléspectateur. Il sait qu’il regarde l’écran pour se « vider le cerveau », se changer les idées. Il n’accorde souvent pas plus d’attention que cela à cette activité, mais sa passivité l’expose quand même à de nombreux messages télévisuels « non politiques », le sujet étant souvent jugé comme trop « sérieux ». Certaines incohérences peuvent toutefois être relevées dans les discours, et en particulier le cas d’une personne interrogée qui dans le même entretien précise au début que c’est le phénomène de « détente » qu’elle recherche dans la consommation de télévision, détente marquée par le divertissement, le voyage, le rejet du quotidien, et puis qui insiste à la fin de ses propos sur le fait qu’elle se sont concernée, attirée par la télévision parce qu’elle lui parle «  de la vie de tous les jours » (s-p-).

Voici plusieurs exemples de personnes questionnées réunies dans ce profil et appartenant à des groupes différents :

Voici un exemple représentatif de ce profil-type :

Eric, H/28 – Sans emploi/DEUG/en couple, un enfant

S= 95/150 P= 110/150

Il dit regarder la télévision près de 3h par jour, et des fois « beaucoup plus ». Il peut la regarder presque sans interruption toute la journée, sinon, quand il a du travail, il commence le soir et a « bien du mal » a s’arrêter. Il trouve que « les séries américaines sont très réalistes ». Eric pense que leur qualité en fait de très bons divertissements. Il aime la télévision, il se dit « téléphage », avec une nette préférence pour les programmes modernes, récents. « Il fallait changer, c’est mon avis, par rapport aux anciens divertissements, un peu trop flous et invraisemblables. Les héros nous ressemblent plus, et on se sent héros à notre tour. C’est un peu le travail d’un divertissement, non ? ».

Nous pouvons alors imaginer que son manque de distance par rapport au media télévision est propice à l’exposition aux messages politiques implicites contenus dans les séries américaines de fiction. Ce type de téléspectateur est très à l’aise avec la télévision, il passe beaucoup de temps à la regarder et correspond tout à fait à la cible économique et culturelle des dirigeants de chaînes, qui veulent le rendre disponible aux publicités et aux représentations du monde distillées à l’écran. Il est très au courant de ce qui se passe au niveau politique et visionne de nombreux journaux télévisés. Il accumule ces images et ces informations sans forcément trier ce qu’on lui donne. Il cherche à s’évader et intègre généralement sans s’en rendre compte une partie des messages politiques transmis par les médias. Nous verrons dans la partie suivante de notre travail les possibles formulations du jugement politique qui découlent d’une telle immersion dans la fiction, née d’un fort besoin de divertissement individuel.