C’est le profil rencontré le plus rarement, mais il est important car, comme dans le profil n°3, il ne porte que très peu d’intérêt à la télévision, et pourtant il la regarde, souvent, comme le profil n°1, pour se changer les idées. Il a du mépris pour ce qu’il regarde, et n’hésite pas à dire du mal de la télévision, mais c’est le moyen le plus évident dont il dispose pour « se détendre ». Son discours s’exprime ainsi d’une manière plus ou moins blasée, son comportement est plus ou moins passif, mais l’attrait du média télévision semble plus fort que le jugement donné sur lui.
Voici plusieurs exemples de questionnés réunis dans ce profil et appartenant à des groupes différents :
Voici un exemple représentatif de ce profil-type :
Vanessa, F/24- Avocate stagiaire/ Maîtrise/ en couple
S= 30/150 P= 110/150
« Je déteste les séries américaines ». Vanessa est très claire sur son positionnement. « La télévision française est de mauvaise qualité, il y a beaucoup de vulgarité, elle prend les gens pour des imbéciles ». Elle voudrait que les téléspectateurs se servent « mieux » de leurs « cerveaux », et pourtant il lui arrive souvent de se retrouver devant son poste. « C’est principalement pour les informations télévisées, ça vient compléter ce que j’ai pu voir dans les journaux ». Elle zappe de chaîne en chaîne pour obtenir un « bon mélange » d’information, et regarde après un film avec son « fiancé », qui « pourrait passer sa vie devant la télévision ». Elle essaie de le « désintoxiquer », mais n’y arrive pas. Comme pour le profil-type précédant, cette téléspectatrice est très distante et critique vis-à-vis de séries américaines, elle paraît difficilement s’identifier aux modes de raisonnement des séries et semble a fortiori peu capable de solliciter (consciemment en tout cas) les représentations du monde à l’écran pour former sa propre opinion sur le politique.
Ces quatre profils indépendants des quatre groupes constitués à partir des premiers résultats de l’enquête par questionnaire nous donnent une première piste concernant l’étude des contributions des séries américaines sur la formulation des jugements touchant au politique. Chaque spectateur possède un degré de résistance aux messages politiques, implicites ou non, qui lui sont proposés par la télévision, et selon ce degré, les contributions des séries américaines seront différentes.
Certains téléspectateurs justifient leur jugement sur le politique en s’opposant aux messages structurants des séries américaines, d’autres se serviront de ses messages pour construire leurs représentations politiques, et quelques-uns ne prendront jamais en compte les signaux des séries américaines pour formuler leur opinion sur le politique, trop distants ou pas assez concernés par de tels programmes fictionnels. Ces différentes attitudes peuvent être rattachées à la distinction opérée par Stuart Hall entre les lectures inscrites, négociées et oppositionnelles71. Pour l’auteur, le spectateur/lecteur « oppositionnel » voit dans le texte qui lui est proposé la représentation d’une norme à laquelle il s’oppose et s’en sert pour justifier ou préciser ses opinions, tandis que le lecteur en « négociation » ne rejette pas la norme, il l’utilise plutôt comme une source légitime d’information et de compréhension de son environnement. Enfin, le lecteur « inscrit » ne se pose pas la question de la norme. Il est lecteur du texte, il ne cherche pas à se mettre à distance de ce qu’il regarde et choisit la position de réception la plus « confortable ».72
Ce qui paraît cependant certain ici, c’est que les séries implicitement politiques (Friends, The Sopranos, Ally MacBeal) maintiennent le plus souvent en l’état les opinions concernant le politique en évacuant tout, ou presque, de ce qui touche au domaine institutionnellement politique de l’écran. Les personnes interrogées ne s’intéressent pas plus, pas moins à la politique ou du moins le pensent, le disent, après avoir regardé de tels programmes de fiction.
HALL, S. (1980), Culture, Media, Language, London, Hitchinson University Library.
Voir aussi sur ce sujet BELIN, E. (1997), Normes et médias, in De Munck, J. & Verhoeven, M., Les mutations du rapport à la norme, Bruxelles, De Boeck, et PHILO, G. (1990), Seeing and believing. The influence of télévision, London, Routledge.