A) Sur les représentations en général, et sur la réception de The West Wing en particulier.

Le visionnage de l’épisode redonne du sens à la catégorisation débutée avec l’enquête par questionnaires. Ainsi, selon l’intérêt porté à la politique ou aux séries par les interviewés, leur manière de « recevoir » la série en tant que téléspectateur va différer. Voici résumés en quelques points ce que nous a appris plus haut l’analyse des entretiens individuels, confrontés à l’intérieur de chaque groupe. Mais il ne peut s’agir que de tendances lourdes, chaque groupe compte une minorité d’interviewés qui contredisent la ligne principale des discours. Le détail de ces contradictions est d’ailleurs aisément identifiable dans l’analyse précédente :

- Ceux qui ne portent que peu ou pas d’intérêt aux séries n’apprécient guère en général le visionnage de The West Wing . C’est le cas de Fanette (S-P+), « je ne suis pas très à l’aise. C’est vraiment une glorification de la politique américaine », Vanessa qui parle de série « barbante », Emmanuelle, qui la trouve hypocrite, ou bien Walter qui n’est pas séduit « Ce n’est pas clair du tout ». Même chose pour le groupe S-P- : Sébastien pense que la série est « ignoble », Sylvie n’y croit pas, comme Fernanda ou Julie. Rodolphe, lui, ne « se sent pas dans le truc. Je ne suis pas concerné, c’est même un peu chiant des fois ».

- Ceux qui portent de l’intérêt pour la politique sont, lors du visionnage, plus attentifs à ce que la série fait du politique, ce qu’elle en montre, ou ce qu’elle en traduit à l’écran. Ils se posent plus de questions à ce sujet. David (S+P+) parle de la disponibilité des hommes politiques dans la série. Il est persuadé que l’emploi du temps politique même en cas de crise ne permet pas au personnel politique de faire la leçon à des étudiants pour une durée aussi importante. Pascale, elle, insiste sur le côté « noble » de la série, sur l’implication des personnages, dénués de « convoitises personnelles », tout le contraire de la réalité selon son opinion. Laurence trouve que les « enjeux politiques » sont bien retransmis à l’écran. Dans le groupe S-P+, Fanette s’inquiète d’une telle distorsion de la réalité politique : « Les spectateurs vont se dire que leur gouvernement est composé de chics types (…), spirituels, élégants », ce n’est pas ce qu’elle attend en premier lieu de nos représentants. Pour Walter, c’est le décor qui pose un problème, qui sonne faux, tandis qu’Emmanuelle s’interroge sur l’expérience des personnages de la série : « L’expérience est un mot-clé en politique. (…) La série démontre un excès de jeunisme regrettable ».

- Ceux qui n’aiment pas la politique jugent les hommes politiques plus sur les images (costumes, aisance) qui leur sont proposées, que sur les discours entendus. Les jugements et les discours obtenus lors de ces entretiens sont moins extrêmes, plus affinés que ceux qui ont été obtenus lors des questionnaires. Pour Anne-Marie (S+P-), les hommes au pouvoir dans The West Wing, « ne font pas très vrai »., tandis que pour Guillaume, ce sont les faits qui rendent l’histoire « très réelle ». Nicolas, lui, trouve que les personnages sont « décontractés », « ils blaguent entre eux », comme Alice, qui insiste sur leur jeunesse, une qualité selon elle. François a de la sympathie pour les personnages car « on a l’impression qu’ils sont prêts à se battre physiquement pour défendre leurs points de vue ». Sylvie (S-P-) aussi les trouve « sympathiques ». Rodolphe a plus de mal avec un personnage, l’assistante de Josh Lyman : »La blonde, la fille qui bosse avec eux, elle gigote de partout, et elle parle comme elle veut à tout le monde, alors que c’est qu’une secrétaire ». Dominique, enfin, est assez clair : « Moi, je tiens plus en compte la personnalité que le discours de la personne ». C’est la détermination qui le touche, plus que les idées d’une équipe au pouvoir.

- Ceux qui portent de l’intérêt pour la politique n’ont pas exprimé la volonté de voter pour un gouvernement ressemblant au gouvernement « Bartlet », dans la réalité. Ces interviewés se laissent moins « prendre » au jeu des images a fortiori. Selon Julien (S+P+), « la fiction reste la fiction. Il est inimaginable de trouver de tels hommes politiques dans la réalité. C’est la morale de l’histoire ». Trop américains pour beaucoup (Corentin, Clément, Sylvie), trop « stars de cinéma » pour Philippe, trop « craquants » pour Laurence. Dans le groupe S-P+, le refus de voter pour un tel gouvernement dans la réalité est plus nettement validé. Pour Emmanuelle, « l’élégance n’excuse pas tout ».

- Ceux, au contraire qui apprécient les séries, sont assez « emballés » par l’équipe au pouvoir à l’écran. Certains parlent même d’elle avec plus de respect que de celle du président Bush, comme si la seconde semblait « assistée » dans la vie politique, et pas la première. « Des hommes responsables, qui veulent expliquer les choses à la jeunesse, aux futurs citoyens », pour Géraldine (S+P+). « J’espère que la série va créer aux Etats-Unis des politiques du même acabit, comme ça on (la France) pourra en avoir aussi, dix ans après », confie Pascale. Vanessa, trouve, elle, que le côté texan de Bush n’a rien à voir avec la touche « new-yorkaise » de la série et des personnages. Selon Anne-Marie (S+P-), « Les héros sont très intelligents, ils apparaissent comme les bons, et dans les médias, on voit plutôt Bush et son équipe comme les méchants, ceux qui ont fait la guerre à l’Irak, etc… ». Pour Hélène, les personnages sont un peu les « gendres idéaux », « la série montre comment un gouvernement bien fait doit réagir face à des situations. Elle montre comment le pouvoir devrait être administré, a contrario d’un gouvernement réel ».

- Ceux qui apprécient la politique et pas les séries sont déçus par l’image de la politique dans l’épisode Isaac et Ismaël . Ainsi, selon eux, la fiction qui se veut réaliste doit montrer la réalité, et non pas une vision déformée, utopique de la réalité. Les seules sources de contentement viennent de la simple existence de l’objet The West Wing, le seul fait qu’une série politique existe à la télévision, même si c’est un miroir déformant de la réalité politique. « Les hommes politiques de l’épisode veulent nous dire la vérité, ils assènent leurs vues historico-personnelles, que je trouve d’ailleurs un peu limites, je ne crois pas que les gouvernements détiennent une vérité aussi écrasante, les spectateurs ne seraient donc qu’une bande d’élèves boutonneux, je trouve le propos très dégradant pour ceux qui regardent. (…) Ce côté prof est insupportable » nous dit Fanette, qui résume pour l’ensemble assez bien les discours des interviewés de ce groupe.

- Ceux qui n’apprécient pas les séries ne portent que peu d’intérêt à la télévision en général. Pour Sylvie (S-P-), la télévision est « trop déformée aujourd’hui pour tenir un discours intéressant sur la politique ». Fernanda, elle, est déçue à la fois par la télévision et la politique qui ne l’ont jamais « aidée » une fois dans sa vie, alors que Julie pense que la télévision est mauvaise pour « le cerveau et la santé ». Sébastien partage cet avis ; « Les gens s’ennuient. (…) La télévision, ça rend mort avant l’âge ». Pour Medhi, au contraire, la télévision est juste « un passe-temps », il ne s’y intéresse pas beaucoup plus lui-même, il n’y a pas motif d’inquiétude. Le spectateur est juste un « habitué «  de l’écran, pour « se changer les idées ». Fanette, du groupe S-P+, voit d’un mauvais œil ce recul qui masque selon elle une passivité intellectuelle dangereuse. Pour Emmanuelle, la télévision est dangereuse « pour l’avenir ».

- Ceux qui ont de l’intérêt pour les séries ont généralement apprécié l’épisode de The West Wing , notamment dans sa qualité de « fiction politique  ». Ils sont d’ailleurs bien souvent disposés à visionner d’autres épisodes de la série, ils avaient un a priori sur son contenu politique, sur le possible côté rébarbatif des scénarios, et finalement la volonté de pédagogie des créateurs de ce programme est reconnue par la plupart d’entre eux. François (S+P+) trouve qu’il a de la « chance de pouvoir voir des séries comme ça. Ce n’est pas nos parents qui auraient pu ». Nathalie partage son avis : « ça fait du bien aussi un peu de sérieux à la télé, pas sérieux comme ennuyeux, non, simplement une série qui parle des choses qui nous touchent intimement, là, c’est le terrorisme (…) C’est passionnant ». Pour Céline (S+P-), « la série montre les problèmes de notre époque. C’est plus intéressant que les aventures de dauphins ou de chiens, comme avant, là, c’était surtout des séries pour enfants. Ce qui est bien aujourd’hui, c’est qu’ils font des séries pour adultes, des programmes malins pour nous, et on regarde beaucoup parce que ça nous concerne, justement. On a moins besoin de rêves et d’imaginaire, mais plus de réponses à des questions de vie quotidienne ».