2.1 Seuils Absolus.

En dépit de l’unanimité presque totale en faveur d’une vision relative de la pauvreté, il existe de bonnes raisons pour adopter une approche absolue. Sen (1984), à travers l’étude des famines soutient l’existence d’un noyau absolu de privation. Il défend alors la nature absolue de la pauvreté sans pour autant rejeter l’approche en termes de privation relative. Cette dernière pourrait constituer un complément d’analyse.

Pour Sen, le caractère absolu des besoins ne signifie en aucun cas que ces besoins sont fixes. Quoique la satisfaction des besoins absolus dépend de la situation relative dans la société – avoue Sen -, un pauvre préférerait “être absolument mieux” plutôt que “d’être mieux que”. Il faut différencier, à ce niveau, la situation de pauvreté relativement aux autres de la situation de pauvreté absolue à cause de l’échec comparé aux autres.

Un seuil de pauvreté absolue correspond à un seuil constant en termes de niveau de vie. Il est unique sur l’ensemble du domaine (domaine spatial et temporel). La modification du domaine implique un changement de la valeur du seuil. Dans cette perspective, la ligne choisie n’évolue pas avec l’indicateur de niveau de vie, elle traduit un seuil déterminé en termes de l’indicateur utilisé.

La spécification d’un seuil unique sur tout le domaine spatial d’étude implique un traitement égal pour tous les individus. Toutefois, il est indispensable d’apporter à la ligne de pauvreté les ajustements adéquats pour refléter les différences inter- personnelles. Ces différences proviennent des caractéristiques physiques, culturelles ainsi que la localisation géographique, etc. A titre d’exemple, il faut différencier entre enfants et adultes. Il faut aussi tenir comptes des différences régionales en termes de prix.

Deux méthodes de seuil absolu sont couramment appliquées : la méthode de l’énergie nutritive et celle de la part du budget consacré à l’alimentation. On présente ici un aperçu des deux méthodes qui ont suscité l’intérêt dans plusieurs travaux.24

La méthode de l’énergie nutritive cherche à déterminer le niveau des dépenses qui permet d’assurer exactement les besoins énergétiques. Il s’agit d’estimer dans une première étape les besoins énergétiques en calorie par personne et par jour. Généralement la moyenne des besoins caloriques est établie à 2100 calories par personne et par jour. Le seuil de pauvreté est alors défini comme étant “ le montant de dépenses de consommation totales auquel on peut s’attendre lorsqu’une personne est nourrie de manière adéquate dans la société considérée25. La deuxième étape, la transformationdu niveau calorique en unmontant monétaire, n’est pas sans difficulté. En effet, plusieurs combinaisons de biens permettent d’atteindre ce niveau énergétique. La relation besoins énergétiques- dépenses de consommation varie considérablement entre les groupes, selon les goûts, les prix relatifs ou le niveau d’activité. C’est le cas notamment entre les secteurs urbain et rural. Par suite, la méthode pourrait conduire à des comparaisons non cohérentes, dans le temps et dans l’espace. Pour faire face à ce problème, on peut recourir à la fixation de seuils multiples : rural et urbain par exemple.

Greer et Thorbecke (1986) proposent d’estimer une fonction de coût des calories de la forme :

X : représente les dépenses du panier de biens consommés.

C : le nombre de calories obtenues à partir de la consommation.

u : un terme d’erreur.

Si R constitue les besoins effectifs de calories, la ligne de pauvreté alimentaire peut être obtenue par :

La méthode la part du budget consacré à l’alimentation consiste à déterminer un panier de biens alloués à la consommation suffisant pour satisfaire les besoins de consommation de base, pour un groupe de ménages jugés pauvres (20% les plus pauvres par exemple). L’estimation du coût du panier se fait pour chaque groupe à part dans le but de tenir compte de la variation des prix ainsi que celle des goûts. Les coûts des besoins de base sont le reflet du coût de l’utilité ainsi que de la norme sociale minimum pour échapper à la pauvreté. La méthode cherche à estimer dans un premier temps un seuil alimentaire, évalué aux prix locaux, qui correspond à un coût moyen, auquel fait face un groupe particulier, d’un panier de produits habituellement consommés par ce groupe. Cette méthode constitue un prolongement du travail pionnier de Rowntree (1901) qui définit la pauvreté comme un manque de revenu en vue de satisfaire les besoins de consommation essentiels au maintien de la bonne  “tenue” physique.26

Dans un deuxième temps, il faudrait déterminer un seuil non alimentaire. Il est à considérer qu’il existe d’autres besoins, autres qu’alimentaires, qui sont basiques dans la vie humaine. Nous pouvons hiérarchiser les besoins en deux catégories: d’abord les besoins alimentaires de survie, ensuite les besoins non alimentaires de base. En conséquence, l’estimation du seuil se fait à partir d’une régression de la part alimentaire définie par la courbe d’Engel.

Dans un dernier temps, on arrive à définir deux seuils. Un seuil de pauvreté inférieur qui “ représente la somme du seuil de pauvreté alimentaire et d’une provision au titre des besoins non alimentaire de base (égale aux dépenses non alimentaires types de personnes qui peuvent tout juste satisfaire aux besoins associés au seuil de pauvreté alimentaire) ”. Par contre, le seuil supérieur  “correspond au montant des dépenses d’un ménage qui atteint typiquement le seuil de pauvreté alimentaire dans chaque secteur ”27. Cette méthode est appliqué dans plusieurs pays notamment la Tunisie (voir encadré 2)

Notes
24.

Voir par exemple Ravallion (1994, 1995, 1998) ; Greer et Thorbeck (1986), etc.

25.

Ravallion (1995, page 37)

26.

Marx fut parmi les premiers à étudier les causes de la pauvreté dans les sociétés capitalistes du 19 ème siècle. La cause principale réside dans ‘l’accaparement, par la bourgeoisie de la plus- value dégagée durant le processus de production’. Le salaire perçu par la main d'œuvre, fixé à un niveau inférieur à sa valeur réelle, ne permet que d'assurer au travailleur sa survie physique et celle de sa famille.

27.

Ravallion (1995)