2.2 Seuils Relatifs.

Le fait d’assimiler la pauvreté à une certaine forme de privations relatives (Towensend 1979) amène à reconsidérer la pauvreté par rapport à une norme de référence. Le but d’un tel raisonnement est de prendre en considération la distribution des ressources au sein de la société.

Il est de fait que la pauvreté ne se définit pas simplement par les revenus en chiffres absolus, mais aussi en partie par les revenus relatifs. Sur un plan social, les personnes défavorisées sont celles qui doivent vivre au- dessous du niveau que la majorité considère, à période et à endroit donnés, comme la norme minimale acceptable”. 28

Pour Atkinson (1975), la pauvreté perd sa significativité si elle est définie de manière absolue. Il soutient qu’un individu pauvre aujourd’hui, dans un pays développé peut disposer d’un revenu largement supérieur à celui d’un individu non pauvre dans un pays pauvre. En d’autres termes, la pauvreté doit être interprétée en relation avec le niveau de vie de la société pour permettre les comparaisons dans le temps et dans l’espace.

Les seuils relatifs de pauvreté sont très largement utilisés dans les pays développés. Dans cette optique, le seuil de pauvreté correspondrait à une fraction donnée d’une norme de référence – généralement la moyenne ou la médiane – calculée à partir de la distribution d’un indicateur de niveau de vie. Alors, si nous disposons d’une répartition des individus suivant le niveau des dépenses réelles per capita, nous sommes en mesure de définir un seuil de pauvreté en dessous duquel une certaine proportion de la population est identifiée comme pauvre.

Sur le plan théorique, l’approche utilitariste donnerait lieu d’abord à la fixation d’une utilité de référence (U z ) interprétée comme un seuil absolu dans l’espace de l’utilité. Une fois U z déterminée, le seuil de pauvreté, noté z, sera donnée par le point de la fonction de coûts de consommation qui correspondrait à cette utilité de référence. Nous considérons une fonction d’utilité U qui dépend – outre du niveau de dépenses de l’individu y – de sa position au sein du groupe auquel il appartient représenté par y/m m est la dépense moyenne (ou modale) du groupe.

L’utilité de référence s’écrit :

Donc nous pouvons déterminer implicitement z.

Dans la même optique Ravallion et Lokshin (2006) définissent le seuil de pauvreté:

“In theory, a poverty line can be defined as the cost of a common (inter- personally comparable) utility level across a population” 29

En d’autres termes, la ligne de pauvreté représente le montant monétaire nécessaire, pour un groupe de la population, en vue d’atteindre un niveau minimum de bien-être pour échapper à la pauvreté, la formalisation de cette approche peut être effectuée de la manière suivante.

Notons par j = 1, , N les N groupes exclusifs de la population définis de manière ou à l’intérieur de chaque groupe les individus font face aux mêmes prix et possèdent le même niveau d’utilité. U j (q), une fonction d’utilité comparable interpersonnelle déduite à partir d’un panier de m biens q. deux individus auront les mêmes besoins de consommation si, à égalité de niveaux d’utilité, leurs vecteurs de consommation sont identiques. Naturellement, chaque individu choisit son niveau de consommation de manière à maximiser son niveau d’utilité. L’hypothèse de convexité de la fonction d’utilité est aussi maintenue.

A l’intérieur des groupes, les prix et les besoins sont constants. Entre les groupes, les besoins peuvent être constants – malgré la différence de prix – si par exemple, pour les deux groupes i et j, U j (q) = U j (q). Ravallion et Lokshin (2006) supposent alors, qu’il existe n ensemble de groupe où les besoins sont homogènes. Ces ensembles seront indexés par k, k = 1, , n avec 1≤nN. Le k ème ensemble de groupes homogènes sera noté N k

La ligne de pauvreté en terme d’utilité est définie comme étant le coût minimum de l’utilité, évalué aux prix auxquels fait face chaque groupe. La fonction de dépense e j (p j ,u) donne le coût minimum nécessaire pour atteindre le niveau d’utilité u dans le groupe j, et ce au vecteur de prix P j .

La propriété de “consistency ” implique que -le niveau minimum d’utilité pour échapper à la pauvreté- sera constant pour tous les groupes. Le seuil consistent est donné par :

Dans l’analyse, la fonction d’utilité joue un double rôle. D’abord, elle reproduit les préférences ordinales des individus à l’intérieur des groupes. Ensuite, elle reflète les différences inter- groupes en terme de besoins de consommation.

Le problème qui se pose est en relation avec le choix du niveau d’utilité de référence. Un autre problème s’ajoute concernant l’identification de la fonction des coûts. En effet, le passage d’un niveau d’utilité donné à un niveau monétaire exige la définition de la fonction de coûts c. Le seuil de pauvreté z est interprété comme étant le niveau minimum de dépenses pour atteindre un niveau d’utilité de référence U z étant données le système des prix et les caractéristiques non monétaires des ménages : a.30

La définition d’un seuil de pauvreté nécessite d’abord le choix d’une norme de référence. Ensuite, il faudrait fixer la proportion k de la norme qui sera retenue pour l’évaluation du seuil. C’est à dire que : z = k . m

Si nous notons η l’élasticité de la ligne de pauvreté par rapport à m

Par conséquent, le seuil de pauvreté relatif varie avec le niveau de vie. La variation à l’intérieur du groupe dépend étroitement de la norme de référence. Il faut dire que la moyenne reste plus sensible aux aléas statistiques notamment les observations aberrantes. De plus, l’adoption d’une mesure relative de la pauvreté en tant que « la moitié du revenu moyen » signifie que la pauvreté ne peut être radiée. L’argumentation est très claire puisque le seuil de pauvreté comme indiqué un peu avant évolue avec la norme de référence. Par contre, le choix de la consommation modale présente l’avantage de tenir compte de l’effet de la réduction des inégalités sur la pauvreté.

Ainsi, la mesure de pauvreté Ps’exprime :

L’indicateur P met en avant une information sur l’ampleur des inégalités dans la société, il s’exprime en fonction de la courbe de Lorenz (L). Cette dernière constitue une représentation géométrique de la relation entre les proportions cumulées de la population et celle du niveau de vie. Elle offre un résumé statistique des inégalités qui règnent dans la société.

Sur le plan empirique, l’étude de Ravallion, Datt et Dewalle (1991) sur un échantillon de 36 pays remet en cause que l’élasticité de zpar rapport à m soit égale à l’unité. Les résultats montrent que l’élasticité augmente avec la valeur de la norme de référence. Elle prend la valeur de 0,66 au point moyen. Toutefois, l’élasticité est proche de 1 seulement pour les pays à revenu élevé. Un argument de plus en faveur de l’adoption d’une perception relative de la pauvreté dans les pays développés.

Le seuil de pauvreté calculé, pour le cas de la France par l’INSEE, est un seuil relatif qui fait référence au revenu médian. Le revenu est calculé selon l’échelle d’Oxford modifiée qui attribut un poids de :

  • 1 pour le premier adulte
  • 0.5 pour tout adulte supplémentaire âgé de plus de 14 ans
  • 0.3 pour chaque enfant de moins de 14 ans
  • 0.2 pour les familles monoparentales

L’évolution du seuil de pauvreté en France est décrite par le graphe 2. Nous notons que la valeur du seuil a presque doublé de 1970 à 2002.

Notes
28.

Gillis et al (1998)

29.

Ravallion et Lokshin 2006

30.

Ravallion (1998)