Chapitre 3 : Bonheur, Bien-être Subjectif et Pauvreté.

Introduction

Le concept de “bonheur” a attiré durant ces dernières décennies un intérêt croissant dans le cadre de la théorie économique. Ainsi, les travaux menés, sous l’impulsion des psychologistes tels Diener et Kahneman, ont abouti à la construction des mesures du bonheur ainsi qu’à l’identification de ses déterminants. Ces travaux supportent l’idée selon laquelle le bien-être subjectif constitue un concept plus large que la notion d’utilité traditionnelle62. Peu d’économistes ont tenté d’approcher ce sujet. Les rares contributions sont celles d'Easterlin (1974), Oswald (1997). Nous pouvons aussi citer les travaux de Ng (1997), qui traite la mesurabilité, ou celui de Kahneman et al. (1999) qui souligne l’intérêt de l’expérience dans l’utilité63.

L’application de l’économie du bonheur a touché des sujets divers, allant de la discrimination salariale à l’analyse des coûts- bénéfices dans le cas des biens publics. L’objectif premier commun à toutes ces études consiste à explorer les facteurs déterminants de la satisfaction de la vie. La généralisation des méthodes d’investigation participatives a permis d’élargir le champ d’application de l’analyse de la pauvreté. Non seulement il est possible d’étudier la pauvreté directement selon les évaluations propres des individus, mais il est aussi possible de dériver des lignes de pauvreté à partir de ces données64.

L’objectif de ce chapitre est double. Dans un premier temps, nous allons dériver une ligne de pauvreté à partir des données subjectives. Dans un second temps, nous nous penchons sur l’identification des déterminants microéconomiques du bien-être financier subjectif en nous basant sur des données françaises fournies par le dispositif d’Enquêtes Permanentes sur les Conditions de Vie des ménages (EPCV) réalisé par l’INSEE de 1996 à 2003. La France est un pays riche, mais comme le note Leroux (2004), la pauvreté y est toujours présente. Le contraste entre richesse et pauvreté a débouché sur de nouvelles formes de privations. L’exploration de la pauvreté d’un point de vue monétaire ne peut rendre compte de la complexité du phénomène.

Notre ambition consiste à explorer l’influence du revenu ainsi que certains autres facteurs socio-économiques sur la satisfaction financière. Nous introduisons aussi l’évolution et l’anticipation des individus sur leur niveau de vie. Après avoir présenté l’utilité de l’économie du bonheur pour étudier le bien-être subjectif et la pauvreté, nous avancerons le travail empirique basé sur la construction des lignes de pauvreté subjective selon le modèle de Ferrer-I-carbonell et Van Praag (2001) et l’identification des déterminants de la satisfaction.

Notes
62.

Frey et Stutzer (2000)

63.

Kahneman (2000) note la différence entre la notion d’utilité d’expérience et celle de décision : “The concept of utility has carried two different meanings in its long history. As Bentham (1789) used it, utility refers to the experiences of pleasure and pain, the “sovereign masters” that “point out what we ought to do, as well as determine what we shall do.” In modern decision research, however, the utility of outcomes refers to their weight in decisions: utility is inferred from observed choices and is in turn used to explain choices. To distinguish the two notions I refer to Bentham’s concept as experienced utility and to the modern usage as decision utility.”

64.

Voir par exemple Pradhan et Ravallion (2000) ou Ferrer-I- Carbonell et Van Praag (2001).