Section 1 : L’économie du bonheur : une nouvelle orientation ?

La théorie économique standard se base sur les choix et les décisions observables pour inférer les utilités individuelles. Les individus sont considérés comme étant en mesure de prendre les décisions conformément à ce qui est le mieux pour eux. Dans cette optique, il devient non indispensable de connaître le but du comportement humain. Il suffit donc d’observer les choix individuels pour tracer les préférences. Cette position traditionnelle s’efforce de rejeter les informations subjectives, jugées non scientifiques à cause de leur caractère non observable. En réponse à ce point, plusieurs études tendent à montrer la robustesse, la crédibilité et la validité des mesures subjectives.65

D’un autre côté, les hypothèses comportementales de rationalité et d’égoïsme, hypothèses fondamentales de la théorie dominante, suggèrent que le seul objectif de l’individu consiste à maximiser son propre intérêt matériel. Ces hypothèses ont été fortement critiquées, dans la mesure où certains biens “non objectifs” influencent les décisions individuelles ainsi que le bien-être : il s’agit des biens émotionnels et des relations affectives à titre d’exemple.

Le bonheur, cette fin que tout être humain cherche à atteindre, revient au centre de l’intérêt comme un concept plus large que celui de l’utilité “décisionnelle” :

‘“However, happiness is a much broader concept than decision utility; it’s includes experience as well as procedural utility. It may be argued that happiness is the fundamental goal of people, because to be happy is a goal in itself.”66

Partant de cette conviction, que le bonheur est l’objectif ultime – sinon unique de la vie, il devient nécessaire d’investir dans l’effort de construction de mesures de bien-être subjectif capables de refléter la satisfaction de la vie. Les économistes modernes apparaissent très hostiles à l’utilisation des mesures subjectives ainsi qu’à l’application des utilités cardinales. Toutefois, le recours aux seuls éléments objectifs paraît de loin suffisant pour traiter certains problèmes économiques.67

Outre cette valeur intrinsèque, Frey et Stutzer (2002) énumèrent trois raisons majeures en faveur d’un plus grand intérêt envers cette notion :

1. Politique économique : à partir de données subjectives, il est possible de mener un arbitrage entre chômage et inflation.

2. Effets des conditions institutionnelles : en explorant l’effet de la qualité de gouvernance sur le bien-être individuel.

3. Comprendre la formation du bien-être subjectif : en identifiant ses déterminants.

Notes
65.

Voir par exemple Fernandez-Dols et Ruiz-Belda, 1995 ; Sandvik, Diener et Seidlitz, 1993…

66.

Frey et Stutzer 2000

67.

Kahneman et Krueger (2006) explique la domination des données objectives : “For good reasons, economists have had a long-standing preference for studying peoples’ revealed preferences; that is, looking at individuals’ actual choices and decisions rather than their stated intentions or subjective reports of likes and dislikes.”

Toutefois ils notent que ce chois n’est pas tout à fait judicieux : “Yet people often make choices that bear a mixed relationship to their own happiness. A large literature from behavioral economics and psychology finds that people often make inconsistent choices, fail to learn from experience, exhibit reluctance to trade, base their own satisfaction on how their situation compares with the satisfaction of others and depart from the standard model of the rational economic agent in other ways.”

Pour cette raison le recours à des données de type subjectif présente une alternative intéressante pour étudier les questions de bien-être : “Direct reports of subjective well-being may have a useful role in the measurement of consumer preferences and social welfare, if they can be done in a credible way.”