Partie 2 : Pauvreté dans l’Approche par les capabilités

Chapitre 4 : Approche par les capabilités et étude de la privation : fondements théoriques

Introduction :

Sen (1984, 1985, 1987) a fortement contesté l’approche utilitariste du bien-être. Il introduit la notion de “capabilités” comme étant l’ensemble des “fonctionnements” qu’un individu est en mesure de mettre en œuvre. Les fonctionnements, comme nous le verrons plus en détail dans la première section de ce chapitre, caractérisent les possibilités de choix et d’action. Ainsi, les ressources matérielles ne constituent plus une fin en soi : seules les capabilités possèdent une valeur intrinsèque. L’approche par les capabilités se présente alors comme un cadre de pensée, une nouvelle orientation dans l’évaluation et la comparaison du bien-être.82

Les voix se font de plus en plus nombreuses aujourd’hui, pour réclamer la lutte contre la pauvreté sous toutes ses faces. Il ne suffit plus de considérer la privation au niveau de la seule dimension monétaire, mais il devient indispensable de comprendre tous les mécanismes qui se cachent derrière ce phénomène et doter les individus des moyens nécessaires pour s’en sortir.

Les développements récents de la littérature appellent à accorder plus l’intérêt à la qualité de l’existence humaine dans tous ses sens et sous tous ses aspects. L’étude de la pauvreté dans l’espace des fonctionnements s’inscrit dans cette logique. L’objectif est de fournir un schéma plus complet de la privation en incorporant à l’analyse des dimensions inexplorées de la vie humaine. Les travaux sur la pauvreté multidimensionnelle ne cessent de se multiplier dans les pays occidentaux. Nous faisons référence ici, à titre d’exemple, à Brandollini D’Allessio (1998) ; Chiappero Martinetti (2000) sur données italiennes ou encore Lelli (2000) sur données belges. Les résultats sont révélateurs de l’apport de la perception multidimensionnelle dans la compréhension de la pauvreté.

L’approche par les capabilités insiste sur l’aptitude des individus à transformer les caractéristiques des biens de manière à en tirer profit. La possession des biens- avec leurs caractéristiques – est seulement un moyen pour réaliser les choses jugées de valeur par les individus. Ainsi, une voiture est valorisée dans la mesure où elle permet à son détenteur de se déplacer (ou pour réaliser une tout autre fin). La voiture n’est pas d’une grande utilité pour quelqu’un qui ne peut s’en servir

Cette nouvelle approche a suscité de multiples développements, tant sur le plan théorique que sur le plan empirique, visant à mieux prendre en compte la qualité de la vie humaine. Dans cette perspective, les indicateurs sociaux se présentent comme un outil efficace et rigoureux pour juger de l’amélioration des performances en matière de développement humain. L’adoption d’une vision de la pauvreté en termes de capabilités a recueilli les fruits, outre de la construction des indicateurs du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD)83, de la généralisation des mesures unidimensionnelles au cas multidimensionnelle84. De plus, la théorie des sous ensembles flous semble réaliser des avancées considérables dans cette direction.

Notes
82.

Robeyns 2000

83.

Notamment l’Indicateur de Développement Humain IDH et l’indicateur de Pauvreté Humaine IPH. Ces indicateurs possèdent la particularité d’étudier les progrès réalisés et les carences observées non seulement en termes matériels. Nous reviendrons sur ces indicateurs dans la deuxième partie du travail.

84.

Cette approche consiste, comme précisé par Bibi et El lagha (2006) à “mesurer, dans un premier temps, la privation individuelle en termes des différents attributs pour en construire un indicateur composite de la pauvreté pour chaque individu. L’agrégation de ces indicateurs à travers les individus, dans un deuxième temps, permet d’obtenir un indice multidimensionnel de pauvreté pour l’ensemble de la population. Bourguignon et Chakravarty (2002, 2003), Chakravarty et al. (1998) et Tsui (2002) sont à cet égard parmi les principaux fondateurs de cette approche”.