3. Sélection des capabilités basiques.

Dans l’espace des fonctionnements, l’existence d’un noyau absolu de pauvreté permet de définir la privation comme un manque de réalisation de certaines “capabilités basiques”120. L’évaluation passe donc par la sélection des fonctionnements élémentaires. Toutefois, Sen refuse d’établir une liste de ces fonctionnements, il refuse même de donner une méthodologie de sélection. Le choix des fonctionnements doit être le résultat d’investigation et de discussion au niveau collectif pour arriver à détecter les composantes de la vie les plus valorisées par les membres de la société. De plus, on doit tenir compte de la nature et de l’objectif du travail mené.

La parfaite illustration provient du Rapport Mondial sur le Développement Humain, où le choix des dimensions essentielles de la vie humaine répondait au souci de mener des comparaisons internationales. La pauvreté en termes de Développement Humain est traitée comme un manque de choix et d’opportunités pour vivre. Cette vision de la pauvreté a le mérite d’éclairer les retards de développement que connaît une société donnée.

D’autres travaux se sont intéressés à la détermination des éléments d‘une telle liste. Ainsi, Nussbaum (1995, 2000) définit un ensemble de “capabilités humaines basiques” composé de 10 fonctionnements universels. Cette liste ouverte possède le caractère d’être désirable dans toutes les sociétés. Le but est de recenser les conditions essentielles pour atteindre une «vie humaine », dans la mesure où seule une vie humaine doit être valorisée. La construction de deux seuils permet de distinguer trois types de vie. Au–dessous du premier seuil, la vie n’est pas considérée comme humaine pour autant. Pour Nussbaum, une bonne vie humaine n’est réalisée qu’en dessus du deuxième seuil.

La liste proposée par Nussbaum inclut des éléments relatifs à la bonne tenue physique (vie, santé, déplacement, sécurité, etc.), des éléments psychologiques (imagination, libre pensé, émotion, etc.). Il s’agit aussi de permettre aux individus de vivre en harmonie avec leur environnement social et naturel (affiliation : interactions sociales, respect de soi ; relation avec la nature : animaux et plantes, etc.) et leur assurer la participation à la prise de décisions politiques et l’accès à de vraies opportunités en termes de propriété et d’emploi à titre d’exemple.

Dans la même direction, Desai (1995) introduit dans sa liste 5 capabilités relatives à la vie, la santé, le savoir et les relations sociales. Ulrich (1993) étudie les éléments socio- économiques nécessaires pour garantir et protéger la dignité de la vie humaine. Il s’agit d’assurer les droits essentiels aux individus, en vue de décider de leur sort et être en mesure de réaliser leurs objectifs. Les 8 capabilités retenues font référence à certains droits fondamentaux : droit à l’éducation, droit de participation à la vie sociale et politique, droit à la sécurité, etc.

Alkire (1998) propose une méthode de sélection des fonctionnements basiques. Pour être considéré comme basique, un accomplissement doit satisfaire six critères121 :

i. Etre un élément de l’ensemble des capabilités.

ii. Constituer un besoin fondamental de la vie humaine.

iii. Ne dépendre d’aucun fonctionnement non basique.

iv. Ne dépend pas de la présence d’une compétence particulière ou d’un talent extraordinaire.

v. Le seuil minimum de l’accomplissement peut être spécifié et observé.

vi. Dans le long terme, la réalisation de ce fonctionnement ne compromet pas la liberté d’accomplir d’autres fonctionnements importants.

Notes
120.

Sen (1984)

121.

Dans Alkire (2002) la liste des critères ne contient que deux éléments. Ainsi, les fonctionnements basiques doivent :
i) Être d’une importance particulière pour le groupe de la population considéré, à l’instant donné t.
ii) Être sensible à l’action sociale. C'est-à-dire que les règles économiques et sociales ont une influence directe sur le niveau de ces fonctionnements (santé, éducation, emploi…)