Section 1. Capabilités et Education

L’éducation constitue une dimension fondamentale dans les politiques de croissance et de développement. L’émergence de la théorie de la croissance endogène a conforté l’intérêt porté à l’augmentation des compétences compte tenu de son effet sur la productivité. La théorie du capital humain suppose que l’intérêt des dépenses en matière d’éducation (et autres services publiques) consiste avant tout à élever la productivité des travailleurs et donc le revenu qu’ils perçoivent.

Le rôle de l’éducation est très important, non seulement dans le domaine économique, mais il touche le domaine démographique, social et politique. Au niveau démographique, la scolarisation, et notamment celle des femmes, contribue à lutter contre la mortalité infantile et à réduire le taux de fécondité. Sur le plan social, comme le souligne Vernières (2003) l’éducation est un moyen essentiel pour “assurer la cohérence culturelle et morale d’une société. Elle peut renforcer, ou contribuer à créer, l’homogénéité culturelle d’un pays. Elle peut également, dans une société pluri- culturelle, favoriser la compréhension entre les groupes qui la composent156. Sur ce plan aussi, l’éducation permet de lutter contre les inégalités liées au sexe dans la répartition au sein de la famille157. Sur le plan politique, il est clair que la participation des citoyens à la prise de décisions exige un certain niveau des capacités intellectuelles et mentales. La formation scolaire est un moyen essentiel pour développer et améliorer ces capacités. L’éducation sensibilise les gens à l’importance de leur rôle comme des acteurs de la vie politique.

Pour Sen, l’éducation est une capabilité basique indispensable pour promouvoir le développement et échapper à la pauvreté. Elle joue un rôle majeur dans le renforcement d’autres capabilités vu l’interconnexion qui existe entre les différentes dimensions du développement. De ce point de vue, il ne suffit plus d’apprendre aux gens à lire et écrire, il s’agit avant tout de développer en eux la capacité de compréhension et d’action.

Saito (2003) examine la relation entre l’approche de Sen et l’éduction. L’approche par les capabilités prend en considération l’éducation de deux manières. La première est de nature empirique en relation avec l’élaboration de L’IDH. En effet, l’accès à l’éducation et au savoir occupe une place importante dans la construction de cet indicateur. La deuxième raison est de nature théorique. Sen tient dans son discours à insister sur la prise en compte au sein de l’approche par les capabilités “des conséquences directes et indirects des facultés humaine158. Il appelle aussi à distinguer entre “capital humain ” d’un part et “Capabilités humaines” d’une autre part. il articule le rôle de ces capabilités en trois points :

i. Elles sont directement importantes pour le bien-être et la liberté des gens, puisqu’elles les aident à vivre de manière plus saine, plus fructueuse.

ii. Elles influencent de manière directe le changement social en réalisant les choix et les décisions qui améliorent directement l’existence humaine.

iii. Elles influencent de manière indirecte la production économique en développant des fonctionnements créant une production ou ayant une valeur d’échange sur le marché.

Sen conclut alors que :

“La perspective des capacités prend en compte chacun de ces aspects, quand « l’école de capital humain » considère en priorité le troisième de ces rôles. Pour partie, le terrain est commun. Mais il est indispensable de dépasser cette acception restreinte du capital humain afin d’appréhender le développement comme liberté” 159 .

Si nous revenons au travail de Saito (2003), nous remarquons qu’il attribue deux rôles majeurs à l’éducation dans l’approche par les capabilités. D’abord, l’éducation permet de favoriser l’expansion d’autres capabilités et élargir ainsi l’ensemble des opportunités auquel les individus font face. Ensuite, l’éducation permet aussi de transmettre les valeurs morales que les gens doivent respecter en exerçant leurs actions160.

Dans cette direction, l’éducation par les compétences de vie (life skills education) s’est construite comme une approche compréhensive pour une éducation de qualité. Elle se fixe comme objectif le renforcement de l’autonomie des individus, leur sens de responsabilité ainsi que leur intégration au sein de la société. La notion de compétence de vie, initialement employé dans le domaine de la santé, peut être fortement reliée à celle de capabilité, comme le note Hoffmann (2006). L’approche par les capabilités devient une source d’inspiration pour la mise en œuvre des programmes d’éducation par les institutions nationales et internationales et les organisations publiques ou privés.

Les organisations internationales (WHO, UNESCO) se sont intéressées à la question de l’éducation, avec la déclaration de la convention des droits de l’enfance en 1989 par l’Assemblée générale des Nations Unies. Cette déclaration insiste sur l’acquisition de compétences personnelles pour développer la personnalité de l’enfant, ses talents, son potentiel mental et physique.

L’effet bénéfique de l’éducation ne se limite pas seulement à augmenter la qualification des travailleurs, mais le dépasse pour viser le renforcement des compétences de vie des individus et donc élargir l’ensemble des choix auxquels ils font face. Selon Lanzi (2007) l’optique des capabilités, en matière d’éducation, permet de comprendre comment l’acquisition des connaissances permet de promouvoir le changement social à travers la capacité de création et de critique dont elle dote les gens. Cela a été souligné par Sen lui même :

“L’alphabétisation, la diffusion de l’éducation dans un pays ou une région donnée sont des facteurs de changement social (qui influencent jusqu’aux taux de fertilité et de mortalité) et de progrès technique.” 161

Notes
156.

Vernières (2003), page 33.

157.

Sen (2003)

158.

Sen (2003), page 383.

159.

Sen (2003), page 387.

160.

Saito (2003) pose la question s’il est approprié de renforcer toutes les capabilités. En d’autres termes, il s’interroge sur les résultats possibles d’une capabilité. Il donne l’exemple de la capabilité : puissance physique lorsqu’elle utilisée pour porter atteinte aux autres. Il confronte la proposition de Sen qui affirme qu’une capabilité est toujours bonne à celle de Nussbaum qui retient la possibilité d’une mauvaise utilisation des capabilités. Il conclut que le rôle de l’éducation consiste à sensibiliser et transmettre les valeurs humaines : “we need to develop judjement of the person to be able to value in which way it is appropiate to use capabilities through education”

161.

Sen 2003, page 175