Section 2. Capabilités et Santé

Jusqu’au début des années 1970, la dimension de santé était totalement ignorée dans les politiques de développement. Toutefois “dans les année 70, la santé et le développement ont suscité un intérêt accru, du fait de l’attention portée aux stratégies de développement fondées sur l’équité, puis en raison des inquiétudes provoquées par les effets du ralentissement de la croissance économique, dans les années 80 sur la santé des enfants, notamment en Afrique.”162

Les dépenses de santé, appréhendées comme un investissement en capital humain constituent une source de gain de productivité en améliorant l’état physique des travailleurs, et à long terme, en influençant la capacité des générations futurs à acquérir de nouvelles compétences. L’amélioration de l’état de santé de la population a aussi pour conséquence d’éviter de lourdes dépenses de soins curatifs qui peuvent alors être allouées à d’autres emplois.

La santé, en tant qu’état de bien-être total sur les plans physique, mental et social, est un bien recherché intrinsèquement, indépendamment de toute relation avec l’essor économique. La possibilité de vivre longtemps, en bonne santé est une valeur humaine à préserver et à renforcer. Il s’agit, pour les gens, de pouvoir échapper aux famines, aux maladies, épidémies et autres fléaux. Aussi, il est nécessaire de leur garantir un environnement sain et un accès à des services de santé de qualité. Tous ces éléments constituent une condition indispensable pour mener une vie épanouie et réaliser les activités que les gens valorisent.

Parmi les applications de l’approche par les capabilités dans le domaine de santé, nous citons, Le Clainche (2006) qui étudie la relation entre les déterminants des états de santé et les capabilités aux plans macro et microéconomique. Sur le plan macroéconomique, la santé constitue un facteur de croissance dans le sens où elle est considérée comme un investissement en capital humain. Mais, comme nous aurons l’occasion de le souligner, la croissance ne coïncide souvent pas avec des meilleurs indicateurs de santé. L’effet de la croissance sur la santé dépend de plusieurs facteurs. Selon Anand et Ravallion (1993), la corrélation croissance- espérance de vie dépend des dépenses publiques de santé ainsi que de l’efficacité des politiques de lutte contre la pauvreté dans la mesure où les pauvres représentent la partie de la population la plus vulnérable aux maladies (outre qu’ils ont une faible capacité à recourir aux soins privés).

L’élaboration d’une politique de santé efficace passe par une compréhension exhaustive des déterminants microéconomiques des états de santé de la population :

“Connaître les déterminants des états de santé, les processus par lesquels ils agissent, à défaut de la mesure de leur part respective, est ainsi nécessaire pour mettre en œuvre une politique de santé (préventive et curative) performante”. 163

Nous pouvons classer ces déterminants en trois classes :

i. Déterminants individuels : comportant des facteurs génétiques, biologiques et de comportements.

ii. Déterminants sociaux : tels le revenu, le statut social, le genre, etc.…

iii. Déterminants environnementaux : notamment les conditions climatiques et épidémiologiques.

En reprenant la démarche d'Alkire (2002)164, Le Clainche insiste sur la pertinence de l’approche par les capabilités pour élaborer des politiques permettant d’accroître les potentialités des individus (rôle de la prévention et de l’éducation) et leur réel accès aux soins, appliqué à l’exemple de l’infection au VIH. Nous voyons ici encore une fois l’interconnexion entre les diverses formes de libertés : un bon état de santé dépend étroitement de la diffusion de l’enseignement ainsi que des conditions politiques. Les statistiques américaines du “National Center for Health Statistics 1998” reprises par Wolfe (1999), a titre d’exemple, montrent que le taux de mortalité est nettement plus élevé parmi les femmes les moins éduquées.

Dans la même logique, Destefanis et Sena (2006) étudient la relation entre des variables socio-économiques et les états de santé sur un échantillon d’adultes britanniques. Ils soulignent aussi la nécessité de distinguer les différents déterminants pour pouvoir élaborer des politiques efficaces. A travers la construction d’un indice de capabilités165, les résultats confirment l’influence des variables socioéconomiques (notamment le revenu et le niveau d’éducation) sur les fonctionnements.

Notes
162.

Gillis et al 1998, page 348

163.

Le clainche 2006, page 98

164.

Cette démarche consiste à définir des fonctionnements à réaliser et qui soient conçus comme des objectifs intermédiaires avant de pouvoir accomplir l’objectif ultime.

165.

L’indice est mesuré par estimation d’une fonction de production dont les inputs sont les variables socio-économiques et les ressources de santé (variable de contrôle) et l’output les fonctionnements de santé (ou états de santé)