2. Une approche locale

Parce que la pratique physique sportive ou artistique intensive et de haut niveau est particulièrement susceptible de modifier, de manière objectivable, les dispositions mentales et corporelles des individus, ce type d’engagement a davantage donné lieu à des investigations sur les processus de socialisation. A côté des travaux d’orientation socio-historique précédemment cités, quelques enquêtes de type socio-ethnographique ont pris pour objet principal les mécanismes de socialisation sportive. Les travaux de Loïc Wacquant⁶⁶ sur la boxe, de Sylvia Faure⁶⁷ sur la danse ou de Christine Mennesson⁶⁸ sur des sportives engagées dans des sports masculins, en sont les principaux représentants. Ces approches ont privilégié l’étude, par observations et entretiens, d’un seul club ou d’un nombre limité d’institutions afin de saisir les mécanismes d’une intériorisation de dispositions et savoir-faire sportifs et corporels. Pour nous aussi, l’orientation méthodologique consiste à explorer de manière durable et intensive un seul club professionnel et, plus particulièrement, son système de formation. Il s’agit, dans une approche locale, d’analyser les processus de socialisation à l’aide d’un matériau en grande partie issu d’observations et entretiens. Si l’on se réfère à la définition qu’en donne Stéphane Beaud et Florence Weber⁶⁹, l’enquête a une dimension ethnographique puisqu’elle consiste en une insertion de longue durée dans une institution qui constitue aussi un « milieu d’interconnaissance »impliquant l’attribution d’une place personnalisée à l’enquêteur. Il s’agit donc d’analyser, de manière approfondie, une seule institution et les relations récurrentes auxquelles elle donne lieu en tant que matrice de socialisation et un nombre limité d’aspirants footballeurs, sans intention de représentativité statistique.

Ainsi, ce que l’enquête perd en ambition à la représentativité, elle peut le gagner en pluralité des dimensions abordées et en contextualisation. De plus, même si l’enquête se prive alors des vertus du comparatisme, une telle approche peut s’appuyer sur les travaux existant sur l’espace du football professionnel et éviter ainsi d’aboutir à une monographie décontextualisée. L’exploitation des analyses disponibles facilite ainsi la démarche et cela d’autant plus que le cursus de formation mis en place par le club s’insère dans un espace de concurrence relativement autonome, un marché de la formation au football professionnel, dans lequel il est soumis à un mode de régulation national, notamment par le biais de l’intervention fédérale. En dehors de la position spécifique du club et des propriétés qui la définissent, le centre de formation de l’Olympique Lyonnais obéit à un grand nombre de normes et règles qui s’appliquent à l’ensemble des institutions de formation. La formation des encadrants, l’obligation de scolarité, les sélections en équipes fédérales ou les types de relations contractuelles entre le club et les apprentis s’imposent, par exemple, à l’ensemble des centres. La singularité de l’univers étudié en est d’autant réduite et le va-et-vient avec la structuration de l’espace national du football professionnel facilité.

Aussi, c'est parce qu’elle nous est apparue comme une approche à la fois pertinente en rapport avec la problématique et complémentaire avec les travaux déjà existants sur le métier de footballeur, que l’étude localisée s’est imposée à notre démarche.