1. L’emboîtement des socialisations

Le centre de formation dispense un apprentissage qui se caractérise par son emprise sur la vie des aspirants footballeurs et par sa sélectivité. Si ces deux dimensions justifient l’attention portée à la formation comme cadre socialisateur (et les caractéristiques de ce mode), elles exigent aussi d’analyser les conditions préalables qui rendent à la fois possible et désirable pour les enquêtés un tel engagement. Il s’agit alors de comprendre le recrutement de l’institution qui lui permet d’exploiter, tout en les modelant en fonction de ses exigences propres, des dispositions préexistantes. L’investissement dans l’apprentissage du football professionnel est ainsi analysé comme l’articulation entre la manière dont « les agents exploitent les institutions pour assouvir leurs pulsions » et celle par laquelle « les institutions, inversement, mettent les pulsions des agents au service de leurs fins »106. Dans cette perspective, la continuité et l’articulation des processus de socialisation supposent d’interroger « l’emboîtement des socialisations plus que leur simple succession ou juxtaposition »107 et d’étudier comment l’institution prend en charge une « culture importée »108 par les jeunes apprentis. L’analyse rétrospective des pratiques, essentiellement sportives et scolaires, et de leurs conditions d’émergence comporte ainsi un double intérêt : permettre, d’une part, l’objectivation des effets de la socialisation dans le Centre par la mise en évidence de variations diachroniques et, d’autre part, de mettre en lumière les dispositions préalablement construites qui favorisent l’accès à la formation professionnelle.

Du côté de l’activité footballistique, l’analyse se fonde essentiellement sur les récits rétrospectifs obtenus auprès des joueurs membres du Centre. Elle consiste en une étude, sur la base de ce matériau, des parcours sportifs et des conditions familiales qui les ont permis. L’attention portée aux parents des enquêtés est ainsi centrée sur leur investissement et leur rôle dans l’initiation footballistique. Les entretiens permettent également de détailler les parcours sportifs. Il s’agit alors de mettre en évidence les ascensions sportives en interaction avec l’espace sportif dans lequel elles prennent place. L’objectivation des positions sportives des clubs d’appartenance et des « élections » vécues au cours des trajectoires permet de mettre en évidence le « marquage symbolique »109 qui précède l’entrée en formation et facilite l’intériorisation de la vocation. De manière plus générale, l’analyse de cette première socialisation sportive révèle les formes d’appropriation auxquelles donne lieu le football dans ces premières années de jeu, les dispositions qui y sont actualisées et les attentes qui y sont associées.

Du côté de l’école, l’analyse des habitudes et investissements scolaires passés constitue un autre lieu important de l’observation de l’« emboîtement » des socialisations. L’étude des parcours et rapports à l’école joue un double rôle. D’une part, l’école est envisagée comme un domaine d’investissement, potentiellement concurrent, et c'est son poids dans l’orientation vers la formation sportive qui est envisagé, dans une analyse relationnelle de l’engagement dans ces deux cursus (avant et pendant la formation sportive). Cet axe de recherche nous éclaire donc sur la manière dont intervient le rapport à l’école dans l’orientation sportive et sur la façon dont il est transformé par celle-ci. Mais, d’autre part, les pratiques scolaires peuvent être aussi révélatrices de dispositions qui structurent une manière de s’engager dans un apprentissage. Il s’agit alors de s’interroger sur les communications repérables dans les manières dont les joueurs s’impliquent dans les deux formations.

L’école ne pose cependant pas uniquement la question de l’articulation des socialisations dans le temps, mais également celle de la pluralité des investissements à un moment donné. Ce domaine tient alors une place non-négligeable dans un deuxième axe d’analyse des parcours individuels.

Notes
106.

P. Bourdieu, J. Maître, « Avant-propos dialogué », In J. Maître, L’autobiographie d’un paranoïaque, Paris, Anthropos, 1994, p. 6.

107.

M. Darmon, La socialisation, Paris, Armand Colin, 2006, p. 112.

108.

C'est par ce terme qu’Erving Goffman désigne les socialisations passées et incorporées « importées » par les reclus au sein de l’institution totale [E. Goffman, Asiles : études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Minuit,1968 (trad.), 447 p.].

109.

J.M. Faure, C. Suaud, Le football professionnel à la française, Op. Cit., p. 196.