Cette première partie rend compte des pratiques et des trajectoires footballistiques des enquêtés jusqu’à leur entrée dans un processus de formation à visée professionnelle. Elle doit permettre de mieux saisir, de manière rétrospective, les modalités et les conditions de cet engagement. L’enjeu est donc de mettre en évidence les modes d’appropriation du football et les conditions, familiales et scolaires, qui rendent possibles ces trajectoires ascensionnelles. L’analyse des pratiques permet de mettre en évidence les processus de socialisation qui soutiennent et rendent possible l’entrée en formation ou comment, pas à pas, l’engagement sportif s’intensifie en produisant les dispositions et compétences nécessaires à un accès au club professionnel. L’intérêt de traiter ces pratiques est d’autant plus grand que cette première socialisation sportive a été longue, elle s’étale sur une durée dépassant souvent celle de la formation professionnalisante (assez souvent comprise en six et huit années), et c'est elle qui permet l’entrée dans un univers fortement sélectif.
Comme toute démarche d’analyse d’un processus de socialisation, il existe cependant un risque central, celui de surévaluer la linéarité des parcours en prenant comme point de référence l’issue du processus. Se prémunir contre ce risque suppose tout d’abord d’être attentif aux variations des trajectoires et de leurs conditions. Il s’agit donc de dégager les traits récurrents significatifs des modes d’appropriation du football des enquêtés et de leurs conditions tout en étant attentif aux déclinaisons différenciées possibles. En d’autres termes, on peut se demander dans quelle mesure il est possible de rassembler les enquêtés dans un portrait cohérent et unique en termes de socialisation sportive familiale et de trajectoire footballistique et scolaire. A ce risque d’homogénéisation inter-individuelle excessive s’ajoute celui de faire comme si chaque trajectoire consistait uniquement en un mouvement linéaire de renforcement continu. Quand l’étude est dominée par l’analyse des sélections et élections successives servant l’intériorisation de la vocation, les appropriations sportives sont surtout appréhendées à travers leur dimension ascensionnelle. D’où l’intérêt de faire des pratiques amateurs un objet à part entière, en s’interrogeant sur les types d’appropriations et leur contexte (les clubs, les formes de jeu et les types de sociabilité sportive, par exemple). C'est pour essayer de tenir ensemble ces éléments et de faire la juste mesure entre une tendance au renforcement et les changements dans les modes d’appropriations qu’a été utilisé le concept de carrière, reproduisant en cela son emploi de plus en plus fréquent dans l’analyse des socialisations sportives160. En effet, l’emploi du concept de carrière, parce qu’il nous oblige à dégager des séquences temporelles en articulant l’offre de pratique et les appropriations auxquelles elle donne lieu, se révèle être un instrument précieux pour décrire les processus de socialisation à l’œuvre. En mobilisant ce concept introduit en sociologie par E. Hughes161 et particulièrement développé par H.S. Becker162 et E. Goffman163, l’analyse des parcours sportifs de ces « élus » révèle la succession de deux phases successives qui précèdent l’entrée en formation. Chacune des phases sera ainsi décrite pour montrer comment l’appropriation de la pratique à laquelle elle donne lieu rend possible l’accession à la phase suivante. Après avoir présenté les pratiques enfantines dans leur singularité et dans leurs contextes familiaux et sportifs, l’étude se penchera sur l’insertion des apprentis dans un marché amateur fortement hiérarchisé et sur l’acte terminal de ces carrières amateurs, l’orientation dans une structure de formation.
On peut citer, parmi beaucoup d’autres, les travaux récents de C. Mennesson [Etre une femme dans le monde des hommes, Paris, L’Harmattan, 2005, 363 p.], de L. Gras [Le sport en prison, Paris, L’Harmattan, 2005, 282 p.].
E. Hughes, Le regard sociologique : essais choisis, Paris, éd. de l’EHESS, 1996, 344 p.
H.S. Becker, Outsiders : études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985 (1963), 247 p.
E. Goffman, Asiles : études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Minuit, 1968 (1961), 447 p.