A. L’orientation sportive et ses conditions familiales

1. Une orientation sportive précoce

1.1. « Toucher » ses premiers ballons et entrer dans un club

Le parcours sportif de notre population révèle la rapidité de cette orientation vers le football. Plus de la moitié des joueurs enquêtés sont entrés dans un club un ou deux ans avant d’atteindre l’âge de six ans et ont ainsi anticipé l’entrée dans la pratique institutionnelle dont l’âge d’accès théorique est de six ans avec l’ouverture de la catégorie « débutant ». Ces enquêtés ont profité de l’offre d’accueil de certains clubs pour les « pré-débutants », soit à l’intérieur d’un groupe institué (appelé « baby-foot » ou « école de foot »), soit par l’admission anticipée dans la catégorie des débutants (sans prendre part aux matchs organisés). Dans ce dernier cas, ils ont souvent bénéficié du soutien d’un membre de leur famille (père, oncle) qui est impliqué directement dans le club (en tant qu’éducateur ou président du club par exemple) et qui facilite leur intégration. Dix-neuf enquêtés sur trente-trois entrent ainsi dans leur premier club à l’âge de quatre ou cinq ans. D’autres, environ un quart de l’échantillon, intègrent une structure dans la catégorie « débutant » à l’âge de six ans. Finalement, seulement cinq joueurs sont entrés dans un club de façon plus tardive, à partir de la catégorie « Poussin », c'est-à-dire à partir de l’âge de 8 ans. Ces données sont très proches de celles produites par Jérôme Courio sur une population de joueurs ayant fréquenté le centre de formation du FC Nantes entre 1988 et 1998. Dans son enquête par questionnaire, il apparaît que 75,4 % de ces apprentis footballeurs ont commencé l’activité entre 5 et 7 ans164. Cette précocité est accentuée par le fait que l’accès à une pratique sportive encadrée constitue rarement leur premier pas en matière de football. Si les enquêtés situent spontanément le début de leur pratique au moment de leur entrée en club, une question de relance permet de vérifier qu’ils estiment tous, après coup, avoir joué au football avant ce passage dans un club. Ils ont connu une première initiation au sport par le biais d’une pratique informelle. « Jouer au ballon » dans la cour de récréation ou « taper dans la balle » avec un frère ou un cousin, constituent leurs premiers souvenirs. Cette première appropriation, « proto-footballistique » pourrait-on dire, atteste d’attentes précoces tout en contribuant à les produire. Effectuée en référence au football institutionnel, elle participe d’une première initiation au jeu. L’entrée en club est ainsi souvent exprimée comme une continuité avec les premiers jeux de l’enfance. Arnaud explique ainsi son entrée dans la catégorie débutant : « Ben moi depuis tout petit, j’tapais, dès que j’ai marché j’ai tapé dans un ballon. Donc après ben après j’ai eu envie de jouer quoi »165. Elle est alors présentée comme une suite logique dans laquelle domine l’impression de suivre une voie « normale ».

Il est aussi possible de mettre en lumière la précocité de cet intérêt pour la pratique en la comparant avec leurs autres pratiques sportives. En effet, l’orientation vers le football constitue bien souvent leur première insertion dans un club de sport. Pour plus d’un tiers d’entre eux, il s’agit même du seul sport qu’ils aient jamais pratiqué en club. Pour ceux-ci, la pratique ne souffre pas de la concurrence offerte par l’offre de pratiques sportives. Par exemple, Olivier, aussi loin qu’il s’en souvienne, ne se rappelle pas avoir désiré faire un autre sport : « J’ai toujours joué au foot. Ouais que du foot. Sinon bon du sport avec l’école, sinon… / T’as pas eu envie de faire d’autres sports quoi ? / Non. Puis même… j’ai jamais pensé à faire un autre sport donc à la rigueur, j’ai toujours pensé au foot. J’ai jamais eu l’esprit de me dire tiens ça m’amuserait de faire ça, de jouer au basket ou autre chose »166. Un autre tiers de l’effectif a débuté le sport par le football et a connu ensuite d’autres pratiques. Ici, la pratique n’interdit pas le développement d’autres intérêts sportifs, mais ceux-ci constituent, au moins chronologiquement, un « deuxième choix ». Au final, trois quarts des interviewés ont donc opté pour ce sport avant toute autre activité physique. Seulement un enquêté sur cinq a été initié à ce sport parallèlement à d’autres ou après s’être essayé à une pratique différente.

Le sentiment d’évidence du choix souvent exprimé par les enquêtés doit être compris en relation avec la place particulièrement importante qu’occupe ce sport dans l’espace des pratiques, notamment des pratiques enfantines. Ainsi, nous savons que pour les enfants de 9 ans et moins, la Fédération de football regroupe le plus grand nombre de licenciés sportifs167. Il est aussi le premier sport pratiqué par les 6-14 ans avec un taux de pratique qui s’élève à 18 % pour cette tranche d’âge168. Cependant, cette probabilité statistique importante ne doit pas conduire à négliger le fait que la complicité ancienne des enquêtés avec ce sport prend racine dans un univers familial dont le rôle est d’autant plus fort que ces pratiquants sont jeunes et fortement dépendants de celui-ci.

Notes
164.

L’échantillon est constitué de soixante quatorze individus ayant été formés dans ce centre entre 1988 et 1998 [J. Courio, Réussite et échec au centre de formation de Nantes : profil des élus et reconversion des exclus, DEA de Sociologie, Université de Nantes, 1999, p. 21].

165.

Arnaud est un apprenti enquêté (17 ans), il est le fils d’un employé de bureau qui a pratiqué intensivement le football amateur (jusqu’en championnat de CFA).

166.

Olivier est fils d’un ouvrier, lui-même ancien pratiquant amateur et entraîneur du club (de niveau « District ») de leur commune de résidence.

167.

Soit 349 134 licenciés [S. Bouffin, « Les jeunes dans la pratique sportive licenciée en 2003 », Stat-Info, MJS, n°05-01, février 2005, 4 p.]

168.

S. Octobre, Les loisirs culturels des 6-14 ans, Paris, La Documentation Française, 2004, p 346. Nous savons par ailleurs qu’entre 12 et 17 ans, 50 % des garçons déclarent pratiquer le football, en club ou non, selon l’enquête menée en 2001 par l’INSEP et le Ministère de la Jeunesse et des Sports [Truchot G. (dir.), Les adolescents et le sport, Paris, MJS- INSEP, 2004, 200 p.].