Ce que l’on peut appeler la carrière amateur des joueurs est fortement structuré, dans les récits et les pratiques, par la mise en opposition de « l’avant » et « l’après » entrée dans un processus de formation professionnalisante (entrée dans un club professionnel, entrée dans un centre fédéral de préformation). Cet événement constitue l’axe central autour duquel s’organisent les perceptions que les enquêtés ont de leur propre parcours. Les travaux sociologiques portant sur la formation des footballeurs professionnels mettent en évidence ce clivage central qui organise les représentations des joueurs. Pour J-M Faure et C. Suaud, la trajectoire amateur qui prépare à la conversion au métier est un long processus fait de consécrations successives qui amènent progressivement le joueur à se penser comme un aspirant au monde professionnel211. Cette démarche permet ainsi de dévoiler les mécanismes de l’imposition progressive d’une vocation. C'est pour cette raison que ces travaux mettent l’accent sur l’ensemble des « opérations de marquage symbolique »212 qui scandent ces trajectoires. Mais en orientant l’analyse vers ce moment charnière de leurs trajectoires qu’est l'entrée en formation, l’attention à tendance à se détourner de la pratique antérieure, prise en elle-même. D’une certaine manière, cette démarche tend à n’appréhender la carrière amateur que comme une succession d’élections sportives en raison du soin particulier apporté à l’étude de sa dimension ascensionnelle. Du fait de cette construction de l’objet, les caractéristiques de la pratique amateur (type de club, d’entraînements et d’entraîneurs, place du football hors club, etc.) sont peu travaillées. C'est aussi le cas des travaux d’Hassen Slimani213 alors que, avec un cadre théorique différent, l’étude de D. Demazière et B. Csakvary prend pour point de départ l’entrée des joueurs dans la formation, elle en fait ainsi la « première étape » du parcours analysé, et ne traite donc pas du parcours préalable214.
Donner une place significative à « l’avant » dans la grille d’entretiens215, c'est permettre au regard de se décentrer vers ce moment particulier. Les questions, posées pour chaque club connu pour l’enquêté, permettent ainsi de faire émerger ce qui évolue au cours de ces années de pratique amateur. Or ce travail révèle les récurrences chronologiques de ces carrières. Si les joueurs opposent régulièrement les clubs « amateurs » et le club « professionnel », ils introduisent, à mesure que se précisent les interrogations, une nouvelle discontinuité en comparant leurs différents clubs « amateurs » entre eux. Se dégage à travers leurs récits un nouveau clivage prégnant qui permet de distinguer deux phases distinctes à l’intérieur de cette carrière. Ils discriminent certes fortement « l’avant » et « l’après » entrée en formation, mais ils isolent aussi deux temps et deux formes d’engagement sportif différenciés à l’intérieur de leur parcours amateur. Ces deux moments se distinguent à la fois par les significations données à la pratique et par les conditions dans lesquelles elle se déroule.
Si cette première phase autorise une certaine gamme de variations, elle se concrétise par une série de caractéristiques communes qui lui donnent un corps cohérent. Ainsi, elle s’étale généralement sur les deux premières catégories d’âge, « Débutant » et « Poussin », même si comme nous le verrons, la durée est aussi un élément de variation.
J-M. Faure, C. Suaud, Le football professionnel à la française, Op. Cit.
Ibid., p. 196.
H. Slimani, La professionnalisation du football français, Op. Cit.
D. Demazière, B. Csakvary, « Devenir professionnel », Panoramiques, Paris, 2002, p. 86.
Pour ce faire, une série de questions portant sur la forme de la pratique étaient systématiquement posées sur chaque club connu pour chaque joueur (entraînements, compétitions, postes, consécrations, suivi des parents, sélections…). On peut voir en annexe la grille d’entretien en annexe (p. 626).