Chapitre 2. Du joueur « doué » à l’entrée en formation

L’analyse des premières années d’exercice du football a permis de mettre en évidence la précocité et l’engagement dont il fut l’objet chez les enquêtés. Cet investissement s’est aussi caractérisé par l’ancrage local du jeu et les relations de sociabilité qui ont pu s’y nouer. L’étude de la poursuite de la pratique révèle les transformations qui l’affectent lors de ce qui peut être catégorisé comme une deuxième phase de la carrière amateur et qui se singularise par l’intégration ascensionnelle à un espace amateur fortement hiérarchisé. Parce que cette analyse implique de comprendre comment cette intégration s’accompagne de l’intériorisation du sentiment d’être « doué », on peut mobiliser ici des travaux appartenant à des traditions théoriques différentes mais qui se rejoignent dans leur capacité à révéler les mécanismes sociaux de production de groupes distincts en rompant avec une vision essentialiste. Les travaux interactionnistes américains sur la « déviance »268 ou le « stigmate »269 peuvent, en effet, être ici utilement associés aux études sur les formes de consécration scolaire ou sportive. Les deux types d’approches partagent la mise en évidence de l’intériorisation et la construction de frontières à l’intérieur du monde social (qui distinguent le « normal » et le « pathologique », l’« excellence » d’élite et l’« ordinaire ») et permettent ainsi de lutter contre les tendances à l’essentialisation de ces caractéristiques distinctives légitimes ou illégitimes. Enfin, le travail permet de décrire comment cette phase prend fin avec l’entrée dans un processus de formation professionnelle. Arrêter le regard sur ce dernier moment permettra alors de mettre en évidence la force des différentes logiques qui trament ce passage à un apprentissage professionnalisant.

Notes
268.

H.S. Becker., Outsiders, Op. Cit.

269.

E. Goffman, Stigmate : les usages sociaux des handicaps, Paris, Minuit, 1975 (1963), 175 p.