Depuis sa première formulation, le concept de carrière a été mobilisé pour mettre en relation une situation sociale et des « significations intimes »270. Or il est possible de voir que la carrière amateur des joueurs connaît une série d’inflexions en termes de « positions » dans un espace structuré et de « changements dans les perspectives »271 ou d’aspirations qui permettent de dégager ce que l’on peut appeler une deuxième phase. Au cours de celle-ci, la pratique et le rapport que les joueurs entretiennent avec elle évoluent sous les effets de la structuration de cet espace de pratique. Il convient de préciser cependant que l’idée de phase telle que nous l’employons ne doit pas être entendue comme une séquence monolithique et hermétique. D’une part, comme nous invite à le penser Muriel Darmon272, elle autorise une série de variations internes. Quoique partageant une tendance commune qu’il est nécessaire de dégager, elle permet une variété de déclinaisons à l’intérieur de ce séquençage (en particulier en termes de durée et d’acteurs qui interviennent dans sa construction). Enfin, ce modèle théorique ne doit pas entraver la perception des continuités qui trament ces trajectoires et il faut considérer que les phases peuvent se superposer en partie, la seconde succédant progressivement à la première.
Pour E. Goffman par exemple, « d’un côté, il s’applique à des significations intimes, que chacun entretient précieusement et secrètement, image de soi et sentiment de sa propre identité ; de l’autre il se réfère à la situation officielle de l’individu, à ses relations de droit, à son genre de vie et entre ainsi dans le cadre des relations sociales. Le concept de carrière autorise donc un mouvement de va-et-vient du privé au public, du moi à son environnement social » [Asiles, Op. Cit., p. 179].
En référence à la manière dont a été conçu le concept de carrière dans la sociologie américaine et que résume ainsi H. Becker : « Dans les études de professions, où ce concept a d’abord été élaboré, il renvoie à la suite des passages d’une position à une autre accomplis par un travailleur dans un système professionnel. (…). Cette notion désigne les facteurs dont dépend la mobilité d’une position à une autre, c'est-à-dire aussi bien les faits objectifs relevant de la structure sociale que les changements dans les perspectives, les motivations et les désirs de l’individu. » [Outsiders, Paris, Métailié, 1985, p. 47].
S’inspirant des remarques de l’inventeur du concept [E.C. Hughes, Le Regard sociologique, Op. Cit.], Muriel Darmon parle à ce sujet des « relations dialectiques entre récurrence et variations » : « une perspective en termes de carrière s’assigne deux objectifs : tout d’abord montrer ce qui est commun aux divers individus engagés dans une même carrière en faisant émerger et en construisant des phases communes aux diverses expériences individuelles. Mais il s’agit également de repérer, au sein de ces phases communes, les variations qui peuvent s’y trouver. » [Devenir anorexique, Paris, La Découverte,2003, p. 87].