La carrière amateur : entre continuité et discontinuité

L’itinéraire modal des enquêtés débute très souvent précocement par des jeux informels puis par l’entrée rapide dans un club. Ce premier moment se caractérise par une initiation dans laquelle la mise en exercice de la pratique est assez faible. Ils évoluent alors dans des clubs de niveaux différents, mais la pratique dans et en dehors du club est investie de manière intensive. Leur goût pour l’activité physique s’actualise également dans les enseignements sportifs scolaires. Ces deux modes d’initiation, formel et informel, sont associés étroitement. La pratique est aussi l’occasion d’une sociabilité importante qui est souvent commune aux différentes sphères d’appartenance des joueurs (club, jeux informels, école) et qui participe à l’ancrage local du jeu. Leur forte intégration au club et à ses activités (tournois, festivités) participe de leur intériorisation d’une culture footballistique. Les premières reconnaissances de leurs compétences footballistiques ont lieu à l’intérieur de leur famille et de cet espace de sociabilité. L’horizon de référence de la pratique est davantage un espace local de « connaissances » qu’un espace d’« experts ». Leur expérience combine, selon des proportions différentes, un goût pour les performances distinctives et pour le jeu comme pratique de sociabilité.

L’entrée dans une nouvelle phase correspond, le plus souvent, à l’orientation vers de nouveaux clubs nettement mieux situés dans la hiérarchie sportive et qui constituent un nouveau cadre de socialisation tourné, de façon homogène, vers la production de dispositions et compétences légitimes. Cette orientation n’est qu’une discontinuité partielle puisqu’elle est conditionnée par la réalisation de performances qui témoignent d’une appropriation adéquate du jeu, sous-tendue par une disposition à s’investir dans un apprentissage formel, éloignant ainsi les populations les plus précarisées car les moins disposées à établir ce type de rapport à l’effort et au temps et souvent favorisée par des pères adhérant à une logique d’apprentissage sportif (footballeurs de haut niveau et/ou éducateurs). C'est cette disposition qui, par ailleurs, permet d’expliquer leur réussite en cours d’E.P.S ainsi que la position minoritaire des parcours marqués par de fortes difficultés scolaires. Cette phase se caractérise cependant par l’insertion et l’appartenance forte à un univers sportif où la règle de la performance prime, à un espace compétitif et hiérarchisé de pratiques sportives amateurs. Evoluent à la fois la position dans la hiérarchie de la discipline, avec les profits symboliques qui lui sont associés, et des caractéristiques importantes de la manière de jouer. Ainsi, les changements de clubs, associés à l’entrée dans de nouvelles catégories d’âge, modifient le mode d’apprentissage de la pratique dont la spécialisation et l’intensité sont accrues. Football en club et football informel sont plus fortement dissociés dans leur forme de pratique et dans leurs réseaux de sociabilité respectifs. L'engagement des joueurs passe davantage par des formes encadrées qui valorisent la mise en exercice du jeu (multiplication des entraînements, stages, journées des sélections fédérales). Ils évoluent alors dans un espace de pratique où leur investissement génère la reconnaissance experte de nouveaux acteurs (éducateurs réputés, responsables des sélections fédérales, recruteurs). Ces élections permettent l’évolution de leurs aspirations et facilitent ainsi la reconnaissance des sollicitations produites par les institutions de formation. Celles-ci aboutissent à un second tournant dans leur parcours : l’entrée dans un nouvel espace, celui du football professionnel et plus précisément dans son sous-espace dédié à la formation, marquant une nouvelle rupture avec l’ancrage local de la pratique.

Mode d’apprentissage (forme des savoir-faire, relation établie avec l’entraîneur), mode de sociabilité et rapport à son propre jeu (intériorisation du sentiment d’être « doué ») ont ainsi évolué selon les moments des parcours des joueurs, leur place dans l’ordre sportif. Cette succession ne s’est pourtant pas faite au même rythme et selon les même modalités pour tous les enquêtés.