Des manières différenciées de faire la « carrière »

Les moments de changement, de bifurcation, permettent de distinguer des façons différentes de parcourir cette carrière. Il est possible de distinguer deux cas de figure opposés, deux pôles extrêmes, entre lesquels se répartissent les différents cas. Les enquêtés ne correspondent pas systématiquement aux portraits dressés, mais ceux-ci permettent de dégager des tendances révélatrices.

Le premier profil correspond à ceux pour lesquels la discontinuité temporelle est la moins forte, ceux à qui la « vocation » semble la plus naturelle et la plus intériorisée. Issus d’une famille dont le père a fortement investi le football (en jouant à un haut niveau, en s’engageant comme bénévole), ils se distinguent par leur précocité à chacune des étapes : entrée dans la pratique, accès au meilleur niveau de pratique de leur âge puis à une instance de formation. Leur ascension sportive est rapide parce qu’ils sont exposés précocement à des principes de jugement issus de la pratique amateur de haut niveau. Leur parcours est aussi marqué par la présence forte de la tutelle paternelle à chacune de ces étapes et par l’inculcation diffuse d’un intérêt footballistique. Le « ballon » est l’occasion de la construction d’une relation privilégiée entre les deux, qui pèse sur l’orientation des enquêtés dès le choix du premier club. Celle-ci permet l’insertion dans des lieux de socialisation plus uniformément tournés vers l’excellence sportive (par le choix du premier club, par leur présence forte (en tant qu’entraîneur parfois), par l’orientation précoce vers les clubs les mieux placés sportivement). C'est aussi pour eux que l’entrée en formation est la plus vécue comme un aboutissement, que les élections antérieures ont annoncé. A la manière des « héritiers » de la culture légitime, ils ont accumulé la plus grande assurance quant à leurs capacités sportives. Environ 45 % de nos enquêtés se rapprochent fortement de ce modèle397 dans lequel l’entrée à l’Olympique Lyonnais est vécue sur le mode de l’« amour comblé ».

En revanche, les joueurs issus des familles les plus distantes (ceux dont le père n’a jamais pratiqué en particulier) ont souvent une carrière moins précoce, moins rapide, et dont les bifurcations sont plus hésitantes. Pour eux, le processus d’ « étiquetage » et d’intériorisation d’un destin footballistique est plus long, il est l’occasion de ruptures plus nettes dans le parcours. Ils partagent une même distance initiale à la pratique du football de haut niveau, qui freine la constitution du sentiment d’une légitimité sportive particulière. Ce modèle est pourtant plus hétérogène. Certains héritent de dispositions sportives familiales fortes qu’ils mettent en œuvre dans des pratiques sportives multiples. Lorsqu'ils sont issus de familles de diplômés, l’acceptation de l’entrée en formation est fortement conditionnée par des exigences scolaires398. C'est l’entrée dans l’espace professionnel qui génère le plus d’hésitations. D’autres, souvent issus de milieux populaires, témoignent d’une très forte insertion dans le premier club et dans la sociabilité qui y est associée. Leurs attentes scolaires (et celles de leurs parents) semblent moins fortes, notamment en raison de parcours plus souvent marqués par des difficultés scolaires399. Ce second profil idéal-typique est donc hétérogène en raison d’origines sociales composites .

Après cette première série d’observations, les parties suivantes permettent d’analyser les effets de l’intégration à un nouvel espace, celui de la formation professionnelle, et à une position singulière dans celui-ci, c'est-à-dire à l’intérieur de la structure de formation de l’Olympique Lyonnais.

Notes
397.

Douze dont le père a atteint un niveau élevé de pratique (niveau « national ») et, dans une moindre mesure, trois qui se sont fortement investis dans le club où débute leur fils (entraîneur ou président).

398.

Notamment pour Paul, Frédéric ou Stéphane.

399.

Maxence, Gabriel, Renaud, Romuald et Adlen se rapprochent fortement de cette variante.