Partie IV. La vie hors champ : une jeunesse singulière

L’intensité de l’engagement exigé par la formation rompt avec la pratique sportive antérieure et rend problématiques les investissements sociaux parallèles. La réalité de l’absorption à cet espace se mesure donc également par ses effets sur les appartenances des apprentis à d’autres univers et à d’autres scènes sociales. En effet malgré le degré d’immersion dans les enjeux sportifs dont nous avons fait état, cette emprise ne conduit pas à un enfermement strict, au sens d’une appartenance exclusive à l’univers footballistique ou de l’intégration à une institution totale. L’assignation à un espace et un temps particuliers n’est pas totale, si l’on entend par là qu’elle exclut les contacts et les insertions extérieures, mais elle est dominante parce qu’elle tend à subordonner et à imposer ses prérogatives aux autres lieux et temps sociaux (scolaires, familiaux, etc.). Pour cette raison, il nous semble préférable de parler d’emprise plutôt que d’enfermement. La frontière qui circonscrit cet espace-temps de la formation ne doit pas être envisagée comme une ligne nette et hermétique, mais plutôt comme un lieu de rapports de force. Ainsi, apprentis footballeurs, ils demeurent intégrés au monde scolaire et insérés dans des configurations familiales et de sociabilité. Membres du champ sportif, ils restent également des élèves, des fils, des amis selon des contextes qui sont potentiellement porteurs d’injonctions et d’attentes contraires avec les dispositions inculquées au Centre. Enjeu pour l’institution formatrice dont l’intérêt est de limiter la variation de cadres socialisateurs hétérogènes, cette multi-appartenance oblige les apprentis à trouver une place au croisement de ces univers. Comprendre leur expérience et leur socialisation suppose alors que la formation soit analysée dans ses relations avec les autres espaces car c'est aussi dans l’interdépendance de leurs lieux d’affiliation que s’exprime l’intériorisation du métier de footballeur.

Pour ce faire, les analyses suivantes entendent d’abord montrer comment la formation implique une modification de la forme de leur appartenance à ces autres univers et des rapports qu’ils entretiennent avec ceux-ci. La vocation peut se trouver renforcée par la réduction des investissements dans ces univers, mais aussi par l'attribution d’une place « à part » dans ces différents lieux. Maintenir l’engagement sportif suppose, en effet, de contenir les investissements problématiques, qu’ils soient concurrentiels ou contradictoires avec le style de vie inculqué. La recomposition des appartenances se trouve donc au cœur des propos développés. De plus, ouvrir l’angle d’observation au hors champ implique de s’interroger sur le degré de transversalité des dispositions incorporées dans l’apprentissage sportif. Les usages de ces espaces révèlent dans quelle mesure les dispositions intériorisées dans le contexte sportif s’actualisent et se transfèrent dans des contextes non-sportifs. Les parcours scolaires et rapports à l’école seront analysés dans cette perspective avant que ce traitement ne soit appliqué aux relations familiales et de sociabilité.