Quand on s’intéresse aux pratiques de sociabilités des joueurs, la place des relations construites dans les établissements scolaires depuis l’arrivée en formation est souvent mineure et parfois inexistante. Les enquêtés scolarisés dans trois structures au moment de l’entretien (LGT, LEP, Greta) attribuent presque systématiquement une place réduite à ce type de relations, malgré, pour la plupart d’entre eux, un long temps de scolarisation dans ces établissements821. Cette place réduite est encore plus significative si on la compare à la sociabilité « ordinaire » de cette classe d’âge car « les camarades d’études fournissent 62 % du réseau amical des jeunes de 15 à 24 ans, 69 % pour ceux encore en cours d’études »822. Quand ils évoquent leurs « amis » ou leurs « copains », il s’agit rarement d’affinités créées sur les bancs de ces établissements. Ces déclarations se voient confirmées par les descriptions de leurs loisirs : les relations de lycée ou de collège y sont soient absentes (pour la majorité des enquêtés), soit minoritaires. Ceux pour qui ces camarades de classe prennent une place dans leurs loisirs sont très souvent des internes qui ont plusieurs années de formation derrière eux. Davantage isolés, leur propension plus marquée à nouer des liens amicaux nouveaux bénéficie de l’absence de concurrence d’un réseau de sociabilité local déjà établi.
Si l’éloignement entre l’établissement et le lieu de résidence (habitation familiale ou internat) ainsi que la rareté de leur temps libéré des contraintes pèsent sur leur sociabilité, la compréhension de la faible densité de ces amitiés scolaires doit prendre en compte la façon dont se nouent les relations à l’intérieur des établissements scolaires. Ainsi, une raison importante de ce phénomène se trouve dans la fréquentation assidue des pairs qui constitue une concurrence puissante à la création d’attachements extérieurs. Pour les joueurs, l’établissement est prioritairement un lieu de prolongation des relations entre partenaires. L’organisation mise en place par les établissements n’y est pas étrangère puisque les joueurs appartiennent aux mêmes classes : si elles ne sont que très rarement réservées en totalité aux lycéens en formation à l’Olympique Lyonnais, les joueurs partagent leur scolarité au collège et au lycée avec au moins quatre ou cinq partenaires. La classe est donc un premier lieu de proximité entre partenaires qu’encourage la structuration des établissements. De plus, la densité de ces relations se révèle dans les temps qui ne sont pas directement encadrés. Ceux-ci sont l’occasion de regroupements entre joueurs (récréations, temps de restauration). Les joueurs se retrouvent très souvent ensemble, et au lycée J. Ferry, où ils sont nettement le plus nombreux, ce rassemblement s’inscrit fortement dans l’espace. Il existe ce que tous nomment le « coin des sportifs » ou le « mur des sportifs »823. Les usages sélectifs qu’ils font de l’espace du lycée tend à délimiter un périmètre dans lequel ils ont l’habitude de se rejoindre lors des pauses. Gabriel résume ainsi cet état de fait, que les observations ne font que confirmer : « Y a le coin O.L. et le reste du lycée ». Ces élèves du lycée sont d’ailleurs régulièrement rejoints par ceux du Greta qui partagent les mêmes locaux. Le restaurant scolaire offre le même genre de regroupements et certaines tables sont privilégiées par les apprentis footballeurs. Cet espace physique et relationnel, que vient institutionnaliser la force des habitudes au point qu’on lui donne un nom, est le produit d’une appropriation collective du lycée fondée sur la délimitation d’un espace à soi qui structure leur rapport à l’établissement. L’expression récurrente « on a notre petit coin » est révélatrice de l’attachement à cet espace824. Ils délimitent ainsi un espace à part, support et produit d’une sociabilité spécifique, qui les distingue dans l’établissement.
Toutefois, cette première description donne une image déformée de la réalité des échanges dans ces espaces scolaires. En insistant sur le poids des pairs dans cette sociabilité se dégage une vision unifiée qui ne rend pas justice de la segmentation interne au groupe des joueurs. Les observations menées au lycée général et technologique ont permis de vérifier qu’à l’intérieur du « coin des sportifs » ou du restaurant scolaire, des entités se recomposent selon des affinités particulières. Mais surtout, cette frontière établie avec les autres élèves ne doit pas être perçue comme une délimitation hermétique et homogène.
Pour les enquêtés, la durée moyenne de scolarisation dans ce cadre aménagé est dépasse quatre années au moment de l’entretien.
J-L. Pan Ké Shon, « « D’où sont mes amis venus ?… » », INSEE Première, n° 613, 1998.
Ce lieu principal de regroupement n’est pas unique, il est surtout fréquenté durant les récréations et la pause de midi, alors qu’un couloir tient le même rôle avant la première heure de cours de la journée et que certaines tables sont privilégiées lors des repas.
Il faut souligner toutefois qu’un un tel espace ne paraît pas exister, ou pas de manière aussi cristallisée, au lycée professionnel, notamment du fait du nombre limité de joueurs qui fréquentent cet établissement. Malgré cela, les joueurs de cet établissement disent eux aussi privilégier les discussions et les contacts avec leurs partenaires de club.