Alors qu’ils entrent dans le second cycle des études secondaires, les aspirants footballeurs pénètrent dans la phase dite de formation et l’engagement devient plus intensif encore (le nombre d’entraînements augmente sensiblement, les joueurs salariés deviennent rapidement majoritaires). Or l’analyse montre que l’emprise des enjeux footballistiques est plus sensible durant le lycée. Outre les effets sur l’orientation avec notamment le développement des choix de la filière technologique, l’évolution du travail scolaire et des résultats témoigne de ce mouvement. La poursuite de la scolarité est alors beaucoup plus souvent vécue en concurrence et en tension avec la « vocation » sportive. Ils sont nombreux à penser que la conciliation entre les deux activités est, à ce stade, plus difficile à réaliser. De plus, l’analyse des dossiers scolaires des élèves du lycée général et technologique révèle une baisse significative des résultats au sein d’une population pourtant sélectionnée. Un seul enquêté voit ses notes progresser entre le début et la fin de ce cycle et la diminution des moyennes générales affecte la majorité des enquêtés. Cette baisse est encore légère lors des trois premières années (-0,6 points entre les moyennes de seconde et celles de la deuxième année de première (19 cas)) mais les sanctions des conseils de classe sont elles beaucoup plus nombreuses (de 3 à 16 « avertissements »). La chute s’accélère sensiblement lors de la classe de terminale avec une moyenne de 8,6 sur 20 (soit une baisse de 2,6 points par rapport à la classe de seconde) alors que la proportion de sanctions négatives par élève reste tout aussi élevée. Outre ces « avertissements », les commentaires professoraux déplorant le manque d’investissement sont nombreux, tout particulièrement lors de cette dernière année. Ils sanctionnent le « manque de travail » et les absences qui sont nettement plus fréquentes en terminale. Environ deux tiers de cette population du lycée J. Ferry connaît un déclin accentué des performances. Cette baisse est particulièrement visible et forte chez ceux qui ont un passé scolaire aux résultats élevés et l’on y voit, plus nettement encore, les effets scolaires de l’engagement sportif. C'est le cas de Paul, Frédéric, Malek, Romaric847 ou Antoine. Ce dernier848 avait eu, par exemple, un parcours marqué par la réussite scolaire avant l’entrée en formation : ses derniers bulletins de l’école primaire (« Travail sérieux appliqué, régulier. Résultats très satisfaisants », « beaucoup de capacités, des connaissances sûres », etc.), tout comme ses résultats au collège (il obtient quatre fois les « Félicitations » et sept fois les « Encouragements » des conseils de classe, a en moyenne 1,8 point de plus que sa classe) le montrent. Son entrée au lycée et en formation ne marque pas une rupture brutale mais provoque une dégradation lente et prononcée de ses résultats : ses notes baissent tout au long du cycle, il est sanctionné par deux « Avertissements travail » et les remarques professorales se dégradent nettement (le dernier bulletin commente ainsi son comportement : « Résultats en baisse continue. De très nombreuses absences au troisième trimestre. A d'autres priorités que le bac »). Ayant dès la première année revu à la baisse ses intentions en matière d’orientation (« Au début je voulais prendre S mais après j’ai vu… Y a Laurent qui est avec nous-là, qui était au Centre, qui était en S, puis je voyais le travail qu’il avait à faire tout ça, je me suis dit “j’pourrai pas le faire moi”. Donc j’ai pris ES. Parce qu’au départ j’arrivais mieux dans les matières scientifiques, j’aimais bien la bio et tout, donc je voulais faire S, et puis quand j’ai vu ça, j’ai dit “toute façon vaut mieux faire un truc où y a un peu moins de travail” »), la baisse de son investissement scolaire est parallèle à son apprentissage du métier de footballeur et son engagement sportif rend difficile la préservation de son intérêt scolaire. Interrogé en troisième année de lycée, il est lui-même conscient de ce basculement : « Mais pour l’instant c'est plus… c'est plus sur le foot, et pour ça aussi j’pense que j’ai lâché un peu à l’école parce que plus ça va, plus j’ai envie de réussir donc… je me donne à fond dans le foot. Donc pour l’instant je pense pas trop à l’école ». Si tous les lycéens n’affichent pas un désinvestissement aussi net, ils sont nombreux à déclarer que leur travail personnel est en baisse ou que, comme Gabriel, leur engagement scolaire est en déclin : « C'est plus en avançant qu’on a moins envie de travailler en fait. Toute les deux premières années à Ferry ça allait, j’travaillais bien, j’faisais bien mon boulot tout ça. Et en fait plus on avance et plus… Plus on en est à bout de l’école quoi. C'est vrai que plus on avance et on a vite envie de voir la fin quoi. On va dire que j’pourrais faire beaucoup mieux à l’école, mais j’suis… ‘fin j’fais ce qu’il faut faire quoi, j’fais pas… j’fais ce qu’on nous demande de faire et j’en fais pas plus quoi » [Gabriel, en 3ème année de lycée, STT].
Pour les membres du club inscrits dans le lycée professionnel, l’objectivation d’une évolution globale des résultats est plus difficile (plus petit nombre de cas, formation courte). Il faut toutefois souligner que parmi eux, un nombre non négligeable (presque un tiers, soit cinq cas) ont quitté la filière prématurément et n’ont plus suivi que la formation continue. Pour ce groupe de joueurs, qui avait accumulé les dépréciations scolaires, l’entrée au Greta prend l’allure d’un abandon de l’investissement scolaire. Pour eux, comme pour ceux qui y sont entrés après l’arrêt de la préparation au baccalauréat, cette formation, qui accueille environ huit apprentis chaque année, est peu rentable sur le marché du travail et constitue surtout une « occupation » imposée par le club :
‘« Maintenant c'est ça, c'est juste histoire de dire j’vais à l’école parce que c'est pas super super ce qu’on fait. (…). On a pas de pression, t’as moins de pression que quand tu dis “ouais j’vais à l’école, j’ai un DS, j’ai pas révisé, j’ai pas eu le temps de faire les devoirs”. Là, t’as pas de devoirs, t’as rien à réviser. Mais bon c'est la facilité hein. C'est la facilité » [Lucas, a arrêté la préparation du baccalauréat, a obtenu le BEP VAM]. ’ ‘« C'est plutôt une classe pour nous occuper, pour dire qu’on fait quelque chose, j’veux dire plutôt que… Donc j’vais là-bas pour m’occuper. J’suis sur ordinateur, j’suis sur Internet, j’navigue une peu. Plus pour m’occuper que pour faire des cours » [Olivier, a arrêté la préparation au baccalauréat en 3ème année]’Pour les joueurs qui ont stoppé leur préparation du brevet professionnel ou du baccalauréat, l’entrée en formation continue constitue un désengagement qui fait suite à des difficultés scolaires. La formation est alors vécue davantage comme une contrainte et une voie de « stationnement » que comme un parcours qualifiant. Ces « abandons » sont très souvent le fait des joueurs ayant le plus accumulé de difficultés dans l’apprentissage scolaire et les moins disposés à attendre quelque chose de l’école et donc les plus susceptibles de ne se consacrer qu’aux enjeux footballistiques. C'est ainsi le passé et les dispositions scolaires qui interviennent beaucoup plus nettement que le degré de consécration sportive des différents apprentis footballeurs. Ces cas d’« abandons » de joueurs qui ne présentent aucun des diplômes possibles dans le dispositif (BEP ou Baccalauréat) sont minoritaires (environ 1/5ème des cas analysés849), ils sont eux aussi révélateurs d’une tendance au désinvestissement scolaire face auquel certains sont plus « fragiles ».
Ces années qui suivent la fréquentation du collège et qui correspondent à l’essentiel du cursus au Centre sont le lieu où s’observe, globalement, une baisse des résultats scolaires et de l'investissement. Ayant des passés et des dispositions scolaires inégales, cette tendance n’a pas les mêmes conséquences pour tous : alors que les élèves les plus en difficulté abandonnent parfois la formation scolaire, ceux qui disposaient d’acquis importants poursuivent leur cursus tout en voyant leurs résultats diminuer. L’emprise croissante des enjeux footballistiques affaiblit leurs performances scolaires avant même le passage des examens. L’école tend de plus en plus a être perçue comme une contrainte concurrente de la « passion » sportive et les plus « fragiles » scolairement sont souvent tentés par l’abandon.
On peut se reporter à la présentation de leur parcours en annexe, p. 573-618.
Il est le fils d’un chauffeur routier (diplômé d’un CAP) et d’une chef de cuisine (restaurant scolaire, diplômée d’un BEP).
Les entretiens et les dossiers ont permis de distinguer 8 cas (soit 20,5 % des effectifs (sur 39 parcours complets)) de joueurs ayant abandonné en cours de route la préparation d’un diplôme du second cycle des études secondaires.